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Mais aux dernières paroles de Sainte-Maline, les cris de joie de ses compagnons montrèrent à Ernauton qu'il devait paraître satisfait, et qu'il était pleinement vengé.

Son bon sens le força donc à se taire.

En même temps, un regard jeté sur Sainte-Maline lui indiquait qu'il devait se défier de lui plus que jamais.

– Ce misérable est brave, cependant, se dit tout bas Ernauton, et s'il cède en ce moment, c'est par suite de quelque odieuse combinaison qui le satisfait davantage.

Le verre de Sainte-Maline était plein; il remplit celui d'Ernauton.

– Allons, allons! la paix, la paix! crièrent toutes les voix: à la réconciliation de Carmainges et de Sainte-Maline!

Carmainges profita du choc des verres et du bruit de toutes les voix, et se penchant vers Sainte-Maline, avec le sourire sur les lèvres pour qu'on ne pût soupçonner le sens des paroles qu'il lui adressait:

– Monsieur de Sainte-Maline, lui dit-il, voilà la seconde fois que vous m'insultez sans m'en faire réparation; prenez garde: à la troisième offense, je vous tuerai comme un chien.

– Faites, monsieur, si vous trouvez votre belle, répondit Sainte-Maline, car, foi de gentilhomme, à votre place, j'en ferais autant que vous.

Et les deux ennemis mortels choquèrent leurs verres, comme eussent pu faire les deux meilleurs amis.

LXI Ce qui se passait dans la maison mystérieuse

Tandis que l'hôtellerie du Fier-Chevalier, séjour apparent de la concorde la plus parfaite, laissait, portes closes, mais caves ouvertes, filtrer, à travers les fentes de ses volets, la lumière des bougies et la joie des convives, un mouvement inaccoutumé avait lieu dans cette maison mystérieuse, que nos lecteurs n'ont jamais vue qu'extérieurement dans les pages de ce récit.

Le serviteur, au front chauve, allait et venait d'une chambre à l'autre, portant ça et là des objets empaquetés qu'il enfermait dans une caisse de voyage.

Ces premiers préparatifs terminés, il chargea un pistolet et fit jouer dans sa gaîne de velours un large poignard; puis il le suspendit, à l'aide d'un anneau, à la chaîne qui lui servait de ceinture, à laquelle il attacha, en outre, son pistolet, un trousseau de clefs et un livre de prières relié en chagrin noir.

Tandis qu'il s'occupait ainsi, un pas léger comme celui d'une ombre effleurait le plancher du premier étage et glissait le long de l'escalier.

Tout à coup une femme pâle et pareille à un fantôme, sous les plis de son voile blanc, apparut au seuil de la porte, et une voix, douce et triste comme un chant d'oiseau au fond d'un bois, se fit entendre.

– Remy, dit cette voix, êtes-vous prêt?

– Oui, madame, et je n'attends plus, à cette heure, que votre cassette pour la joindre à la mienne.

– Croyez-vous donc que ces boîtes seront facilement chargées sur nos chevaux?

– J'en réponds, madame; d'ailleurs, si cela vous inquiète le moins du monde, nous pouvons nous dispenser d'emporter la mienne: n'ai-je point là-bas tout ce qu'il me faut?

– Non, Remy, non, sous aucun prétexte je ne veux que vous manquiez du nécessaire en route; et puis, une fois là-bas, le pauvre vieillard étant malade, tous les domestiques seront occupés autour de lui. O Remy! j'ai hâte de rejoindre mon père; j'ai de tristes pressentiments, et il me semble que depuis un siècle je ne l'ai pas vu.

– Cependant, madame, dit Remy, vous l'avez quitté il y a trois mois, et il n'y a pas entre ce voyage et le dernier plus d'intervalle qu'entre les autres.

– Remy, vous qui êtes si bon médecin, ne m'avez-vous pas avoué vous-même, en le quittant la dernière fois, que mon père n'avait plus longtemps à vivre?

– Oui, sans doute, mais c'était une crainte exprimée et non une prédiction faite; Dieu prend parfois en oubli les vieillards, et ils vivent, c'est étrange à dire, par l'habitude de vivre; il y a même plus: parfois encore le vieillard est comme l'enfant, malade aujourd'hui, dispos demain.

– Hélas! Remy, et comme l'enfant aussi, le vieillard, dispos aujourd'hui, demain est mort.

Remy ne répondit pas, car aucune réponse rassurante ne pouvait réellement sortir de sa bouche, et un silence lugubre succéda pendant quelques minutes au dialogue que nous venons de rapporter.

Chacun des deux interlocuteurs resta dans sa position morne et pensive.

– Pour quelle heure avez-vous demandé les chevaux, Remy? reprit enfin la dame mystérieuse.

– Pour deux heures après minuit.

– Une heure vient de sonner.

– Oui, madame.

– Personne ne guette au dehors, Remy?

– Personne.

– Pas même ce malheureux jeune homme?

– Pas même lui!

Remy soupira.

– Vous me dites cela d'une façon étrange, Remy.

– C'est que celui-là aussi a pris une résolution.

– Laquelle? demanda la dame en tressaillant.

– Celle de ne plus nous voir, ou du moins de ne plus essayer à nous voir.

– Et où va-t-il?

– Où nous allons tous: au repos.

– Dieu le lui donne éternel, répondit la dame d'une voix grave et froide comme un glas de mort, et cependant…

Elle s'arrêta.

– Cependant? reprit Remy.

– N'avait-il rien à faire en ce monde.

– Il avait à aimer si on l'eût aimé.

– Un homme de son nom, de son rang et de son âge devrait compter sur l'avenir.

– Y comptez-vous, vous, madame, qui êtes d'un âge, d'un rang et d'un nom qui n'ont rien à envier au sien?

Les yeux de la dame lancèrent une sinistre lueur.

– Oui, Remy, dit-elle, j'y compte, puisque je vis; mais attendez donc…

Elle prêta l'oreille.

– N'est-ce pas le trot d'un cheval que j'entends?

– Oui, ce me semble.

– Serait-ce déjà notre conducteur?

– C'est possible; mais, en ce cas, il aurait devancé le rendez-vous de près d'une heure.

– On s'arrête à la porte, Remy.

– En effet.

Remy descendit précipitamment, et arriva au bas de l'escalier au moment où trois coups, rapidement heurtés, se faisaient entendre.