Mais sa réputation l'avait précédé à Angers, et Bussy en fut quitte pour ses avances.
À la porte du palais ducal, Bussy trouva une figure franche, loyale et rieuse, qu'il croyait à quatre-vingts lieues de lui.
– Ah! dit-il avec un vif sentiment de joie, c'est toi, Remy!
– Eh! mon Dieu oui, monseigneur.
– J'allais t'écrire de venir me rejoindre.
– En vérité?
– Parole d'honneur!
– En ce cas, cela tombe à merveille: je craignais que vous ne me grondassiez.
– Et de quoi?
– De ce que j'étais venu sans permission. Mais, ma foi! j'ai entendu dire que monseigneur le duc d'Anjou s'était évadé du Louvre, et qu'il était parti pour sa province. Je me suis rappelé que vous étiez dans les environs d'Angers, j'ai pensé qu'il y aurait guerre civile et force estocades données et rendues, bon nombre de trous faits à la peau de mon prochain; et, attendu que j'aime mon prochain comme moi-même et même plus que moi-même, je suis accouru.
– Tu as bien fait, Remy; d'honneur, tu me manquais.
– Comment va Gertrude, monseigneur?
Le gentilhomme sourit.
– Je te promets de m'en informer à Diane, la première fois que je la verrai, dit-il.
– Et moi, en revanche, soyez tranquille, la première fois que je la verrai, dit-il, de mon côté, je lui demanderai des nouvelles de madame de Monsoreau.
– Tu es un charmant compagnon, et comment m'as-tu trouvé?
– Parbleu, belle difficulté! j'ai demandé où était l'hôtel ducal, et je vous ai attendu à la porte, après avoir été conduire mon cheval dans les écuries du prince, où, Dieu me pardonne, j'ai reconnu le vôtre.
– Oui, le prince avait tué le sien, je lui ai prêté Roland, et, comme il n'en avait pas d'autre, il l'a gardé.
– Je vous reconnais bien là, c'est vous qui êtes prince, et le prince qui est le serviteur.
– Ne te presse pas de me mettre si haut, Remy, tu vas voir comment monseigneur est logé.
Et, en disant cela, il introduisit le Haudoin dans sa petite maison du rempart.
– Ma foi! dit Bussy, tu vois le palais; loge-toi où tu voudras et comme tu pourras.
– Cela ne sera point difficile, et il ne me faut pas grand'place, comme vous savez; d'ailleurs, je dormirai debout, s'il le faut. Je suis assez fatigué pour cela.
Les deux amis, car Bussy traitait le Haudoin plutôt en ami qu'en serviteur, se séparèrent, et Bussy, le cœur doublement content de se retrouver entre Diane et Remy, dormit tout d'une traite.
Il est vrai que, pour dormir à son aise, le duc, de son côté, avait fait prier qu'on ne tirât plus le canon, et que les mousquetades cessassent; quant aux cloches, elles s'étaient endormies toutes seules, grâce aux ampoules des sonneurs.
Bussy se leva de bonne heure, et courut au château en ordonnant qu'on prévint Remy de l'y venir rejoindre: il tenait à guetter les premiers bâillements du réveil de Son Altesse, afin de surprendre, s'il était possible, sa pensée dans la grimace, ordinairement très significative, du dormeur qu'on éveille.
Le duc se réveilla, mais on eût dit que, comme son frère Henri, il mettait un masque pour dormir. Bussy en fut pour ses frais de matinalité.
Il tenait tout prêt un catalogue de choses toutes plus importantes les unes que les autres.
D'abord une promenade extra-muros pour reconnaître les fortifications de la place.
Une revue des habitants et de leurs armes.
Visite à l'arsenal et commande de munitions de toutes espèces.
Examen minutieux des tailles de la province, à l'effet de procurer aux bons et fidèles vassaux du prince un petit supplément d'impôt destiné à l'ornement intérieur des coffres.
Enfin, correspondance.
Mais Bussy savait d'avance qu'il ne devait pas énormément compter sur ce dernier article; le duc d'Anjou écrivait peu; dès cette époque, il pratiquait le proverbe: Les écrits restent.
Ainsi muni contre les mauvaises pensées qui pouvaient venir au duc, le comte vit ses yeux s'ouvrir, mais, comme nous l'avons dit, sans pouvoir rien lire dans ces yeux.
– Ah! ah! fit le duc, déjà toi!
– Ma foi oui, monseigneur; je n'ai pas pu dormir, tant les intérêts de Votre Altesse m'ont, toute la nuit, trotté par la tête. Çà, que faisons-nous ce matin? Tiens! si nous chassions.
Bon! se dit tout bas Bussy, voilà encore une occupation à laquelle je n'avais pas songé.
– Comment! dit le duc, tu prétends que tu as pensé à mes intérêts toute la nuit, et le résultat de la veille et de la méditation est de venir me proposer une chasse. Allons donc!
– C'est vrai, dit Bussy; d'ailleurs nous n'avons pas de meute.
– Ni de grand veneur, fit le prince.
– Ah! ma foi, je n'en trouverais la chasse que plus agréable pour chasser sans lui.
– Ah! je ne suis pas comme toi, il me manque.
Le duc dit cela d'un singulier air. Bussy le remarqua.
– Ce digne homme, dit-il, votre ami; il paraît qu'il ne vous a pas délivré non plus, celui-là.
Le duc sourit.
– Bon, dit Bussy, je connais ce sourire-là; c'est le mauvais: gare au Monsoreau!
– Tu lui en veux donc? demanda le prince.
– Au Monsoreau?
– Oui.
– Et de quoi lui en voudrais-je?
– De ce qu'il est mon ami.
– Je le plains fort, au contraire.
– Qu'est-ce à dire?
– Que plus vous le ferez monter, plus il tombera de haut, quand il tombera.
– Allons, je vois que tu es de bonne humeur.
– Moi?
– Oui, c'est quand tu es de bonne humeur que tu me dis de ces choses-là. N'importe, continua le duc, je maintiens mon dire, et Monsoreau nous eût été bien utile dans ce pays-ci.
– Pourquoi cela?
– Parce qu'il a des biens aux environs.
– Lui?
– Lui ou sa femme.
Bussy se mordit les lèvres: le duc ramenait la conversation au point d'où il avait eu tant de peine à l'écarter la veille.