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XXXII Diplomatie de M. de Saint-Luc.

Bussy retourna chez lui à pied, au milieu d'une nuit épaisse; mais, au lieu de Saint-Luc qu'il s'attendait à y rencontrer, il ne trouva qu'une lettre qui lui annonçait l'arrivée de son ami pour le lendemain.

En effet, vers six heures du matin, Saint-Luc, suivi d'un piqueur, avait quitté Méridor et avait dirigé sa course vers Angers. Il était arrivé au pied des remparts à l'ouverture des portes, et, sans remarquer l'agitation singulière du peuple à son lever, il avait gagné la maison de Bussy. Les deux amis s'embrassèrent cordialement.

– Daignez, mon cher Saint-Luc, dit Bussy, accepter l'hospitalité de ma pauvre chaumière. Je campe à Angers.

– Oui, dit Saint-Luc, à la manière des vainqueurs, c'est-à-dire sur le champ de bataille.

– Que voulez-vous dire, cher ami?

– Que ma femme n'a pas plus de secrets pour moi que je n'en ai pour elle, mon cher Bussy, et qu'elle m'a tout raconté. Il y a communauté entre nous: recevez tous mes compliments, mon maître en toutes choses, et, puisque vous m'avez mandé, permettez-moi de vous donner un conseil.

– Donnez.

– Débarrassez-vous vite de cet abominable Monsoreau: personne ne connaît à la cour votre liaison avec sa femme, c'est le bon moment; seulement, il ne faut pas le laisser échapper; lorsque, plus tard, vous épouserez la veuve, on ne dira pas au moins que vous l'avez faite veuve pour l'épouser.

– Il n'y a qu'un obstacle à ce beau projet, qui m'était venu d'abord à l'esprit comme il s'est présenté au vôtre.

– Vous voyez bien, et lequel?

– C'est que j'ai juré à Diane de respecter la vie de son mari, tant qu'il ne m'attaquera point, bien entendu.

– Vous avez eu tort.

– Moi!

– Vous avez eu le plus grand tort.

– Pourquoi cela?

– Parce qu'on ne fait point de pareils serments. Que diable! si vous ne vous dépêchez pas, si vous ne prenez pas les devants, c'est moi qui vous le dis, le Monsoreau, qui est confit en malices, vous découvrira, et, s'il vous découvre, comme il n'est rien moins que chevaleresque, il vous tuera.

– Il arrivera ce que Dieu aura décidé, dit Bussy en souriant; mais, outre que je manquerais au serment que j'ai fait à Diane en lui tuant son mari…

– Son mari!… vous savez bien qu'il ne l'est pas.

– Oui, mais il n'en porte pas moins le titre. Outre, dis-je, que je manquerais au serment que je lui ai fait, le monde me lapiderait, mon cher, et celui qui aujourd'hui est un monstre à tous les regards paraîtrait dans sa bière un ange que j'aurais mis au cercueil.

– Aussi ne vous conseillerais-je pas de le tuer vous-même.

– Des assassins! ah! Saint-Luc, vous me donnez là un triste conseil.

– Allons donc! qui vous parle d'assassins?

– De quoi parlez-vous donc, alors?

– De rien, cher ami; une idée qui m'est passée par l'esprit et qui n'est pas suffisamment mûre pour que je vous la communique. Je n'aime pas plus ce Monsoreau que vous, quoique je n'aie pas les mêmes raisons de le détester: parlons donc de la femme au lieu de parler du mari.

Bussy sourit.

– Vous êtes un brave compagnon, Saint-Luc, dit Bussy, et vous pouvez compter sur mon amitié. Or, vous le savez, mon amitié se compose de trois choses: de ma bourse, de mon épée et de ma vie.

– Merci, dit Saint-Luc, j'accepte, mais à charge de revanche.

– Maintenant que vouliez-vous me dire de Diane? voyons.

– Je voulais vous demander si vous ne comptiez pas venir un peu à Méridor?

– Mon cher ami, je vous remercie de l'insistance, mais vous savez mes scrupules.

– Je sais tout. À Méridor, vous êtes exposé à rencontrer le Monsoreau, bien qu'il soit à quatre-vingts lieues de nous; exposé à lui serrer la main, et c'est dur de serrer la main à un homme qu'on voudrait étrangler; enfin exposé à lui voir embrasser Diane, et c'est dur de voir embrasser la femme qu'on aime.

– Ah! fit Bussy avec rage, comme vous comprenez bien pourquoi je ne vais pas à Méridor! Maintenant, cher ami…

– Vous me congédiez? dit Saint-Luc se méprenant à l'intention de Bussy.

– Non pas; au contraire, reprit celui-ci, je vous prie de rester, car maintenant c'est à mon tour de vous interroger.

– Faites.

– N'avez-vous donc pas entendu, cette nuit, le bruit des cloches et des mousquetons?

– En effet, et nous nous sommes demandé là-bas ce qu'il y avait de nouveau.

– Ce matin, n'avez-vous point remarqué quelque changement en traversant la ville?

– Quelque chose comme une grande agitation, n'est-ce pas?

– Oui. J'allais vous demander d'où elle provenait.

– Elle provient de ce que M. le duc d'Anjou vient d'arriver hier, cher ami.

Saint-Luc fit un bond sur sa chaise, comme si on lui eût annoncé la présence du diable.

– Le duc à Angers! on le disait en prison au Louvre.

– C'est justement parce qu'il était en prison au Louvre qu'il est maintenant à Angers. Il est parvenu à s'évader par une fenêtre, et il est venu se réfugier ici.

– Eh bien? demanda Saint-Luc.

– Eh bien! cher ami, dit Bussy, voici une excellente occasion de vous venger des petites persécutions de Sa Majesté. Le prince a déjà un parti, il va avoir des troupes, et nous brasserons quelque chose comme une jolie petite guerre civile.

– Oh! oh! fit Saint-Luc.

– Et j'ai compté sur vous pour faire le coup d'épée ensemble.

– Contre le roi? dit Saint-Luc avec une froideur soudaine.

– Je ne dis pas précisément contre le roi, dit Bussy; je dis contre ceux qui tireront l'épée contre nous.

– Mon cher Bussy, dit Saint-Luc, je suis venu en Anjou pour prendre l'air de la campagne, et non pas pour me battre contre Sa Majesté.

– Mais laissez-moi toujours vous présenter à monseigneur.

– Inutile, mon cher Bussy; je n'aime pas Angers, et comptais le quitter bientôt; c'est une ville ennuyeuse et noire; les pierres y sont molles comme du fromage, et le fromage y est dur comme de la pierre.

– Mon cher Saint-Luc, vous me rendriez un grand service de consentir à ce que je sollicite de vous: le duc m'a demandé ce que j'étais venu faire ici, et, ne pouvant pas le lui dire, attendu que lui-même a aimé Diane et a échoué près d'elle, je lui ai fait accroire que j'étais venu pour attirer à sa cause tous les gentilshommes du canton; j'ai même ajouté que j'avais, ce matin, rendez-vous avec l'un d'eux.