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Du Tigre et du Renard.

Un Chasseur armé de traits et de flèches qu’il lançait de tous côtés avec beaucoup d’adresse, faisait à toute outrance la guerre aux Animaux, qui fuyaient devant un ennemi si redoutable, et qui n’osaient tenir la campagne. Le Tigre plus fier et plus hardi que les autres, se présenta, et promit de faire tête lui seul à leur ennemi commun. Le Chasseur lança avec raideur une flèche qui atteignit le Tigre. Il se mit à jeter de hauts cris, et à regarder de tous côtés pour reconnaître l’auteur de sa blessure. Le Renard vint au-devant du Tigre, et lui demanda qui avait eu l’audace de blesser un animal si fier et si courageux. – Je ne sais, répondit le Tigre; mais je sens bien à ma blessure qu’elle vient d’un homme qui a beaucoup de force et de vigueur. -

Des Taureaux et du Lion.

Quatre Taureaux résolurent de se liguer ensemble pour leur conservation réciproque, et de ne se séparer jamais les uns des autres, pour être toujours en état de se secourir mutuellement. Le Lion qui les voyait paître les uns auprès des autres, n’osa jamais les insulter, quoiqu’il se sentît extrêmement pressé de la faim. Mais pour les vaincre plus aisément, il crut qu’il devait les séparer par de spécieux prétextes, afin de les attaquer séparément. Cet artifice lui réussit, et il dévora les quatre Taureaux les uns après les autres.

Du Sapin et du Buisson.

Le Sapin regardant avec mépris le Buisson, se vantait de sa hauteur, et de ce qu’on le choisissait pour être employé à la construction des Palais des Princes, à faire les mâts des plus grands vaisseaux, et il reprochait au Buisson de n’être bon à aucun usage. Le Buisson répondit modestement au Sapin que les grands avantages dont il se vantait avec tant d’orgueil, l’exposaient à de grands malheurs; car le Bûcheron le met en pièces sans miséricorde, et le jette par terre à coups de cognée; au lieu que le Buisson vit en sûreté dans une condition plus obscure.

D’un Pêcheur et d’un petit Poisson.

Un Pêcheur ayant pris un petit Poisson, dont le goût est très agréable, résolut de le manger. Ce petit animal, pour se tirer des mains du Pêcheur, lui représentait qu’il devait lui donner le temps de croître et le priait très instamment de le relâcher, lui promettant de revenir de son bon gré mordre à l’hameçon au bout de quelque temps. – Il faudrait que j’eusse perdu l’esprit, lui répliqua le Pêcheur, si je me fiais à tes promesses et si sous l’espérance d’un bien futur et incertain, je me privais d’un bien présent et assuré. -

De l’Avare et de l’Envieux.

Jupiter voulant connaître à fond les sentiments des hommes, envoya Apollon sur la terre pour sonder leurs inclinations. Il rencontra d’abord un Avare et un Envieux. Il leur dit de la part de Jupiter qu’il avait ordre de leur accorder tout ce qu’ils lui demanderaient, à condition que le second aurait le double de ce que le premier aurait demandé. Cette circonstance fut cause que l’Avare ne put jamais se résoudre à rien demander, dans l’appréhension qu’il eut que l’autre ne fût mieux partagé que lui; mais l’Envieux demanda qu’on lui arrachât un oeil, afin qu’on arrachât les deux yeux de l’Avare, selon les conventions d’Apollon.

De l’Enfant et de l’Avare.

Un Enfant pleurait auprès d’un puits, et donnait des marques d’une grande douleur. Un Avare qui passait par-là, s’approcha de lui, et lui demanda le sujet de ses larmes, et pourquoi il s’affligeait de la sorte. – Que je suis malheureux, répondit cet Enfant, en pleurant toujours de plus en plus! J’avais une cruche d’or, qui vient maintenant de tomber dans le puits, parce que la corde s’est rompue. – L’Avare aveuglé par sa convoitise, ne s’avisa point de demander à l’Enfant d’où il avait apporté cette cruche d’or, ni comment elle lui était tombée entre les mains. Sans balancer davantage, il quitte ses habits, et descend dans le puits, où il ne trouva point la cruche d’or dont l’Enfant lui avait parlé; mais il fut bien plus surpris, lorsque, étant sorti du puits, il ne trouva point ses habits que l’Enfant avait emportés, et qu’il avait cachés dans la forêt voisine, où il s’était sauvé.

D’un Lion et d’une Chèvre.

Un Lion ayant aperçu une Chèvre qui broutait sur le haut d’un rocher: – Que ne descends-tu dans la plaine, lui dit-il, où tu trouveras en abondance le thym et les saules verts que tu mangeras à ta discrétion? Quitte ces lieux secs et stériles, et viens en pleine campagne. – Je te suis fort obligée, lui répondit la Chèvre, du bon avis que tu me donnes; mais ton intention me paraît suspecte, et je ne crois pas que tu me parles sincèrement. -

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De la Corneille et de la Cruche.

La Corneille ayant soif, trouva par hasard une Cruche où il y avait un peu d’eau; mais comme la Cruche était trop profonde, elle n’y pouvait atteindre pour se désaltérer. Elle essaya d’abord de rompre la Cruche avec son bec; mais n’en pouvant venir à bout, elle s’avisa d’y jeter plusieurs petits cailloux, qui firent monter l’eau jusqu’au bord de la Cruche. Alors elle but tout à son aise.

Du Laboureur et du Taureau.

Un Laboureur avait dans son étable un Taureau indocile, qui ne pouvait souffrir le joug, ni être lié; mais pour l’empêcher de frapper de ses cornes, comme il avait accoutumé de faire, il s’avisa de les scier fort près du crâne, et l’attacha à une charrue, dont il tenait le manche. Le Taureau ne pouvant plus frapper de ses cornes, pour se venger en quelque façon de son Maître qui l’avait mis sous le joug, lui remplissait la bouche et les yeux de poussière, qu’il faisait voler avec sa tête et ses pieds.

Du Satyre et du Paysan.

Un Paysan ayant rencontré dans une forêt un Satyre demi-mort de froid, le conduisit dans sa maison. Le Satyre voyant que ce Paysan soufflait dans ses mains, lui en demanda la raison. – C’est pour les réchauffer, lui répondit-il. -

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Peu de temps après, s’étant mis à table, le Satyre vit que le Paysan soufflait sur son potage. Il lui demanda, tout étonné, pourquoi il le faisait. – C’est pour le refroidir, répliqua le Paysan. -

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Alors le Satyre se levant de table, sortit promptement de la maison. – Je ne veux point de commerce, dit-il au Paysan, avec un homme qui souffle de la même bouche le chaud et le froid. -