Изменить стиль страницы

Citroën se leva et dispersa les brindilles.

– J'en ai assez, dit-il. Un autre jeu.

Déjà Joël et Noël s'étaient remis à creuser.

– Je suis sûr qu'on va trouver d'autres choses, dit Noël. Sa pelle, à cet instant, heurta quelque chose de dur.

– Voilà un caillou énorme, dit-il.

– Fais voir! dit Citroën.

Un beau caillou jaune avec des cassures luisantes, qu'il lécha pour voir si c'était bon comme ça en avait l'air. Presque. De la terre crissait sous la dent. Mais dans un creux du caillou, une petite limace, jaune aussi, était collée. Il regarda.

– Ça, dit Citroën, ce n'est pas une bonne. Tu peux la manger quand même, mais ce n'est pas une bonne. C'est les bleues qui vous font voler.

– Il y en a des bleues? demanda Noël.

– Oui, dit Citroën.

Noël goûta la jaune. Très sain. Bien meilleur que la terre, en tout cas. Mou. Et gluant. Bon, en somme.

Cependant, Joël, à son tour, venait d'insérer le tranchant de sa pelle sous une pierre lourde. Et il pesa. Deux limaces noires.

Il en tendit une à Citroën qui la regarda avec intérêt mais la repassa à Noël. Cependant Joël dégustait la sienne.

– Pas fameux, dit-il. On dirait du tapioca.

– Oui, dit Citroën, mais les bleues, c'est bon. C'est comme de l'ananas.

– C'est vrai? demanda Joël.

– Et après, on vole, dit Noël.

– On ne vole pas tout de suite, dit Citroën. Il faut travailler avant.

– On pourrait peut-être travailler d'abord, dit Noël. Après, si on en trouve des bleues, on volera tout de suite quand même.

– Oh! dit Joël qui creusait pendant ce temps-là, j'ai une belle graine toute neuve.

– Montre, dit Citroën.

C'était une graine presque aussi grosse qu'une noix.

– Il faut cracher dessus cinq fois, dit Citroën et elle va pousser.

– Tu es sûr, demanda Joël.

– Sûr, dit Citroën. Mais il faut la poser sur une feuille fraîche. Va en chercher une, Joël.

De la graine, il sortit un arbre minuscule aux feuilles roses. Dans ses branches de fil d'argent grêle voltigeaient des oiseaux chanteurs. Le plus gros était juste aussi gros que l'ongle du petit doigt de Joël.

XI

347juillembre.

Déjà six ans, trois jours et deux heures que je suis venu m'enterrer dans ce sacré pays, se dit Jacquemort en contemplant son reflet dans la glace.

Sa barbe se maintenait d'une longueur moyenne.

XII

348 juillembre.

Jacquemort allait sortir, lorsqu'il croisa Clémentine dans le couloir. Il ne la voyait plus guère. Depuis des mois. Les jours s'écoulaient de façon si continue et si furtive qu'il perdait la notion de leur nombre. Elle le retint.

– Où allez-vous comme ça?

– Comme d'habitude, répondit Jacquemort. Je vais voir mon vieil ami La Gloïre.

– Vous continuez à le psychanalyser? demanda Clémentine.

– Hum… oui, dit Jacquemort.

– C'est long.

– Ça doit être total.

– Votre tête grossit, remarqua Clémentine.

Il s'écarta un peu parce qu'elle lui parlait de très près et qu'il repérait dans son haleine un relent indiscutable de charogne.

– C'est possible, dit Jacquemort. Lui, en tout cas, devient vraiment très transparent et je commence à être inquiet.

– Ça n'a pas l'air de vous rendre heureux, dit Clémentine. Vous aviez cherché un sujet assez longtemps!

– Tous mes sujets se sont dérobés, l'un après l'autre, dit Jacquemort. J'ai dû me rabattre sur La Gloïre, parce qu'il ne restait que lui. Mais je vous avoue que son contenu mental n'est pas spécialement propre à réjouir son récipiendaire.

– Vous en êtes loin? demanda Clémentine.

– Comment?

– Votre psychanalyse est-elle très avancée?

– Mon Dieu, pas mal, dit Jacquemort. En fait, je vois arriver avec inquiétude le moment où j'aborderai le sondage des plus infimes détails. Mais tout ceci est sans intérêt. Et vous, qu'est-ce que vous devenez. On ne vous voit plus aux repas. Ni à midi, ni le soir.

– Je mange dans ma chambre, dit Clémentine avec un contentement dans la voix.

– Ah! bon, dit Jacquemort.

Il examina la silhouette de la jeune femme.

– Ça n'a pas l'air de mal vous réussir, dit-il simplement.

– Je ne mange plus que ce que je dois, dit Clémentine. Jacquemort cherchait désespérément à entretenir la conversation.

– Et le moral est bon? demanda-t-il platement.

– Je ne peux pas dire. Oui et non.

– Qu'est-ce qui ne va pas?

– A la vérité, expliqua-t-elle, j'ai peur.

– Peur de quoi?

– J'ai peur pour mes enfants. En permanence. Il peut leur arriver n'importe quoi. Et je me le représente. Oh! les choses les plus simples; je ne me mets pas martel en tête pour des impossibilités ou des idées folles; non, mais la liste stricte de ce qui pourrait survenir suffit à m'affoler. Et je ne peux pas m'empêcher d'y penser. Naturellement, je ne compte même pas ce qu'ils risquent en dehors du jardin; par bonheur, ils n'ont pas, jusqu'ici, eu l'idée d'en sortir. Mais j'évite pour l'instant d'aller jusque-là parce que ça me donne le vertige.

– Mais ils ne risquent rien, dit Jacquemort. Les enfants savent plus ou moins consciemment ce qui est bon pour eux et ils ne se mettent guère souvent en mauvaise posture.

– Croyez-vous?

– J'en suis sûr, dit Jacquemort. Sans quoi nous ne serions pas là, ni vous ni moi.

– C'est un peu vrai, dit Clémentine. Mais ce sont des enfants si différents des autres.

– Oui, oui, dit Jacquemort.

– Et je les aime tant. Je crois que je les aime tellement que j'ai pensé à tout ce qui pouvait leur arriver dans cette maison et ce jardin et je n'en dors plus. Vous ne pouvez pas imaginer quelle quantité d'accidents ça fait. Comprenez quelle épreuve c'est pour une mère qui aime ses enfants comme je les aime. Mais il y a tant de choses à faire dans une maison et je ne peux pas être tout le temps sur leur dos à les surveiller.

– Et la bonne?

– Elle est stupide, dit Clémentine. Avec elle ils sont plus en danger que tout seuls. Elle n'a aucune sensibilité et j'aime autant les éloigner d'elle le plus possible. Et elle est incapable de la moindre initiative. Que les enfants creusent un peu profondément dans le jardin avec leurs pelles, qu'ils rencontrent un puits de pétrole, que le pétrole jaillisse et les noie tous, et elle ne saura que faire. Les frayeurs que je peux avoir! Ah! c'est que je les aime!

– Effectivement, dit Jacquemort. Je constate que vous ne négligez rien dans vos prévisions.

– Et il y a autre chose qui me tourmente, dit Clémentine. Leur éducation. Je tremble à la pensée de les envoyer à l'école du village. Bien entendu, il ne serait pas question qu'ils y aillent tout seuls. Mais je ne peux pas les faire accompagner par cette fille. Il leur arrivera un accident. J'irai moi-même; vous me remplacerez de temps en temps, si vous me promettez de faire très attention. Mais non, je crois qu'il faudra que j'y aille moi-même. Remarquez, il ne faut pas trop se préoccuper de leurs études pour l'instant, après tout, ils sont encore très jeunes; l'idée de les voir sortir du jardin m'affole tant que je n'ai pas encore pu réaliser tout ce que cela comporte comme risques.

– Faites venir un précepteur à domicile, dit Jacquemort.

– J'y ai bien pensé aussi, répondit Clémentine, mais je vous avoue que je suis jalouse. C'est tout bête et tout simple, mais je ne pourrais supporter de les voir s'attacher à quelqu'un d'autre que moi. Or, si c'est un bon précepteur, ils s'attacheront forcément à lui; si c'est un mauvais, je ne tiens pas à ce que mes enfants tombent entre ses mains. De toute façon, je n'ai pas déjà très confiance en l'école, mais au moins y a-t-il un instituteur; tandis que le problème du précepteur paraît pratiquement insoluble.

– Le curé ferait un précepteur assez traditionnel…, dit Jacquemort.

– Je ne suis pas très religieuse et je ne vois pas pourquoi je désirerais que mes enfants le devinssent.