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À présent, l'excitation était à son comble chez les huit.

– Fantastique! s'exclama David. Infra-World sera même capable d'alimenter mon «Centre des questions». Avec ton monde virtuel, tu trouveras sûrement des réponses à toutes sortes de questions que nous n'aurions pas résolues autrement.

Francine avait un regard de visionnaire.

David lui donna une bourrade dans le dos.

– En fait, tu te prends pour Dieu. Tu vas créer de toutes pièces un petit monde complet et tu l'observeras avec la même curiosité que Zeus et les dieux de l'Olympe scrutèrent cette terre.

– Peut-être que déjà, chez nous, les lessives sont tes tées à l'intention d'une dimension supérieure, intervint Narcisse, narquois.

Ils pouffèrent puis leurs rires se firent moins naturels.

– … Peut-être, murmura Francine, soudain songeuse.

132. ENCYCLOPÉDIE

JEU D'ÉLEUSIS: Le but du jeu d'Eleusis est de trouver… sa règle.

Une partie nécessite au moins quatre joueurs. Au préalable, l'un des joueurs, qu'on appelle Dieu, invente une règle et l'inscrit sur un morceau de papier. Cette règle est une phrase baptisée «La Règle du monde». Deux jeux de cinquante-deux cartes sont ensuite distribués jusqu'à épuisement entre les joueurs. Un joueur entame la partie en posant une carte et en déclarant: «Le monde commence à exister.» Le joueur baptisé Dieu fait savoir «cette carte est bonne» ou «cette carte n'est pas bonne». Les mauvaises cartes sont mises à l'écart, les bonnes alignées pour former une suite. Les joueurs observent la suite de cartes acceptées par Dieu et s'efforcent, tout en jouant, de trouver quelle logique préside à cette sélection. Lorsque quelqu'un pense avoir trouvé la règle du jeu, il lève la main et se déclare «prophète». Il prend alors la parole à la place de Dieu pour indiquer aux autres si la dernière carte posée est bonne ou mauvaise. Dieu surveille le prophète et, si celui-ci se trompe, il est destitué. Si le prophète parvient à donner pour dix cartes d'affilée la bonne réponse, il énonce la règle qu'il a déduite et les autres la comparent avec celle inscrite sur le papier. Si les deux se recoupent, il a gagné, sinon, il est destitué. Si, les cent quatre cartes posées, personne n'a trouvé la règle et que tous les prophètes se sont trompés, Dieu a gagné. Mais il faut que la règle du monde soit facile à découvrir. L'intérêt du jeu, c'est d'imaginer une règle simple et pourtant difficile à trouver. Ainsi, la règle «alterner une carte supérieure à neuf et une carte inférieure ou égale à neuf» est très difficile à découvrir car les joueurs ont naturellement tendance à prêter toute leur attention aux figures et aux alternances des couleurs rouge et noire. Les règles «uniquement des cartes rouges, à l'exception des dixième, vingtième et trentième» ou «toutes les cartes à l'exception du sept de cœur» sont interdites car trop difficiles à démasquer. Si la règle du monde est introuvable, c'est le joueur «Dieu» qui est disqualifié. Il faut viser «une simplicité à laquelle on ne pense pas d'emblée». Quelle est la meilleure stratégie pour gagner? Chaque joueur a intérêt à se déclarer au plus vite prophète même si c'est risqué.

Edmond Wells, Encyclopédie du Savoir Relatif et Absolu, tome III.

133. LA RÉVOLUTION EN MARCHE

Princesse 103e se baisse pour suivre les évolutions d'un troupeau d'acariens qui transhume entre les griffes de sa patte avant, vers le trou d'une souche de sapin.

Ces acariens sont sans doute aussi petits pour nous que nous le sommes pour les Doigts, pense-t-elle.

Elle les observe par curiosité. L'écorce gris pâle se fissure longitudinalement en plaques courtes et étroites, petits ravins remplis d'acariens. 103e se penche et assiste à la guerre entre cinq mille acariens, qu'elle reconnaît comme étant de type oribates, contre trois cents acariens de type hydrachnidés. Princesse 103e les regarde un instant. Les oribates sont particulièrement impressionnants avec leurs griffes plantées n'importe où, sur les coudes, les épaules, et même le visage.

La princesse se demande pourquoi les hydrachnidés qu'on trouve essentiellement dans l'eau viennent envahir les arbres. Ces infimes crustacés poilus, caparaçonnés, armés de crochets, de scies, de. stylets, de rostres compliqués se livrent des batailles épiques. Dommage que 103e n'ait pas le temps de poursuivre son observation. Nul ne connaîtra les guerres, les invasions, les drames, les tyrans du peuple des acariens. Nul ne saura qui d'entre les oribates ou les hydrachnidés a gagné la minuscule bataille de la trentième fissure verticale du grand sapin. Peut-être que, dans une autre fissure, d'autres acariens encore plus spectaculaires, des sarcoptes, des tyroglyphes, des ixodes, des dermancentors, ou des argas, se livrent des batailles encore plus fantastiques pour des enjeux encore plus passionnants. Mais tout le monde s'en désintéresse. Même les fourmis. Même 103e.

Pour sa part, elle a décidé de s'intéresser aux Doigts géants et puis à elle-même. Cela lui suffit.

Elle reprend la route.

Tout autour d'elle, la colonne de la Révolution des Doigts ne cesse de grandir. Ils étaient trente-trois après l'incendie, ils sont bientôt cent insectes de différentes sortes. Loin de les effrayer, la fumée produite par le brasero attire en effet les curieux. Ils viennent voir le feu dont ils ont tant entendu parler et écouter les récits de l'odyssée de 103e.

Princesse 103e demande régulièrement aux nouveaux arrivants s'ils n'ont pas vu un mâle fourmi dont les odeurs passeport répondent au numéro de 24e. Personne n'a ce nom en tête. Tous veulent voir le feu.

Ce serait donc ça, le terrible feu.

Prisonnier dans sa gangue de pierre, le monstre semble assoupi, mais les mères coléoptères n'en avertissent pas moins leurs petits de ne pas s'approcher, c'est dangereux.

Comme le brasero est lourd, 14e, spécialiste des contacts avec les peuplades étrangères, propose de le faire porter par un escargot. Elle parvient à se faire comprendre d'un gastéropode et le convainc qu'avoir une chaleur sur le dos est très bon pour la santé. La bête accepte plus par peur des fourmis qu'autre chose. Satisfaite, 5e suggère qu'on charge de la même manière d'autres escargots de nourriture et de braseros.

L'escargot est un animal lent qui présente l'avantage d'être tout terrain. Son mode de locomotion est vraiment bizarre. Il lubrifie le sol de sa bave puis glisse sur la patinoire qu'il a ainsi créée devant lui. Les fourmis, qui jusque-là les mangeaient sans les observer, n'en reviennent pas de voir ces animaux produire de la bave à l'infini.

Évidemment, la substance pose un problème aux fourmis qui marchent derrière et se retrouvent à patauger dedans. Cela les oblige à avancer sur deux colonnes de chaque côté de la ligne de bave.

Cette procession de fourmis, où s'intercalent des escargots écarlates et fumants, impressionne. Des insectes, fourmis pour la plupart, sortent des fourrés, l'antenne interrogatrice, l'abdomen replié. Il n'existe pas de certitudes dans ce monde au ras des pierrailles, l'idée de marcher ensemble pour résoudre une énigme cosmique exalte quelques exploratrices étrangères blasées et quelques jeunes guerrières effrontées.

De cent, ils passent à cinq cents. La Révolution proDoigts prend figure de grande armée en transhumance.

Seul élément surprenant, le peu d'enthousiasme de la princesse héroïne. Les insectes ne parviennent pas à comprendre qu'on puisse accorder autant d'importance à un individu en particulier, fut-il prince 24e. Mais 10e entretient bien la légende et elle explique que c'est là encore une maladie typiquement doigtesque: l'attachement aux êtres particuliers.