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– Encore une bonne œuvre qui ne nous rapportera rien! soupira Ji-woong.

– Pas du tout! Attends un peu, protesta David. Toute question a un prix et nous facturerions notre réponse en fonction de sa complexité ou des difficultés à la trouver.

– Je ne comprends pas.

– De nos jours, la vraie richesse, c'est le savoir. Il y a eu tour à tour l'agriculture, la production d'objets manufacturés, le commerce, les services; à présent, c'est le savoir. Le savoir est en soi une matière première. Celui qui est suffisamment savant en météorologie pour prévoir avec exactitude le temps de l'année prochaine est à même d'indiquer où et quand planter des légumes pour obtenir un rendement maximal. Celui qui sait au mieux où implanter son usine pour en tirer la meilleure production au moindre coût gagnera plus d'argent. Celui qui connaît la vraie bonne recette de la soupe au pistou peut ouvrir un restaurant qui gagnera de l'argent. Ce que je propose c'est de créer la banque de données absolue, celle qui répondra, je le répète, à toutes les questions qu'un humain peut se poser.

– La soupe au pistou et quand planter les légumes? ironisa Narcisse.

– Oui, c'est infini. Cela va de «quelle heure est-il très précisément?» question que nous facturerons peu cher, à «quel est le secret de la pierre philosophale?» qui coûtera bien plus. Nous délivrerons des réponses tous azimuts.

– Tu n'as pas peur de délivrer des secrets qui ne doivent pas être révélés? demanda Paul.

– Lorsqu'on n'est pas prêt à entendre ou à comprendre une réponse, elle ne nous profite pas. Si je te donnais, à cet instant, le secret de la pierre philosophale ou du Graal, tu ne saurais quoi en faire.

Cette réponse suffit à convaincre Paul.

– Et toi, comment feras-tu pour avoir réponse à tout?

– Il faut s'organiser. Nous nous brancherons sur toutes les banques de données informatiques courantes, banques de données scientifiques, historiques, économiques, etc. Nous utiliserons également le téléphone pour demander des réponses aux instituts de sondages, à de vieux sages, recouper des informations, avoir recours à des agei ces de détectives, aux bibliothèques du monde entier. En fait, je propose d'utiliser intelligemment les réseaux et les banques d'information qui existent déjà afin de créer un carrefour du savoir.

– Très bien, j'ouvre la filiale «Centre des questions», annonça Ji-woong. Nous lui allouerons le plus gros disque dur et le plus rapide des modems du lycée.

Francine se plaça à son tour au centre du cercle. Après le projet de David, il semblait impossible de surenchérir. Pourtant Francine semblait sûre d'elle, comme si elle avait gardé le meilleur pour la fin.

– Mon projet est, lui aussi, lié aux fourmis. Que sont-elles pour nous? Une dimension parallèle mais plus petite, donc nous n'y prêtons pas attention. Nous ne déplorons pas leurs morts. Leurs chefs, leurs lois, leurs guerres, leurs découvertes nous sont inconnus. Pourtant, de nature, nous sommes attirés par les fourmis car, intuitivement, dès l'enfance, nous savons que leur observation nous renseigne sur nous-mêmes.

– Où veux-tu en venir? demanda Ji-woong, dont le seul souci était: cette idée donnera-t-elle lieu à une filiale ou pas?

Francine prenait son temps.

– Comme nous, les fourmis vivent dans des cités parcourues de pistes et de routes. Elles connaissent l'agriculture. Elles se livrent à des guerres de masse. Elles sont séparées en castes… Leur monde est semblable au nôtre, en plus petit, c'est tout.

– D'accord, mais en quoi cela débouche-t-il sur un projet? s'impatienta Ji-woong.

– Mon idée consiste à créer un monde plus petit que nous observerons afin d'en tirer des leçons pratiques. Mon projet est de créer un monde informatique virtuel dans lequel nous implanterons des habitants virtuels, une nature virtuelle, des animaux virtuels, une météo virtuelle, des cycles écologiques virtuels afin que tout ce qui se passe là-bas soit similaire à ce qui se passe dans notre monde.

– Un peu comme dans le jeu Évolution? demanda Julie qui commençait à comprendre où son anr.e voulait en venir.

– Oui, si ce n'est que dans Évolution les habitants font ce que leur commande le joueur. Moi, je compte pousser plus loin la similitude avec notre monde. Dans Infra-World, c'est le nom que j'ai donné à mon projet, les habitants seront complètement libres et autonomes. Tu te rappelles la conversation que nous avons eue, Julie, à propos du libre arbitre?

– Oui, tu disais que c'était la plus grande preuve d'amour que Dieu nous porte, il nous laisse faire des bêtises. Et tu disais que c'était mieux qu'un dieu directif, car cela permettait de savoir si on voulait bien se comporter et si on était capables de trouver par nous-mêmes la bonne voie.

– Exactement. Le «libre arbitre»… la plus grande preuve d'amour de Dieu pour les hommes: sa non-intervention. Eh bien, je compte offrir la même chose à mes habitants d'Infra-World. Le libre arbitre. Qu'ils décident eux-mêmes de leur évolution sans que quiconque les aide. Ainsi, ils seront vraiment comme nous. Et j'étends cette notion cruciale de libre arbitre à tous les animaux, tous les végétaux, tous les minéraux. Infra-World est un monde indépendant et c'est en cela qu'il sera similaire, je crois, au nôtre. Et c'est aussi en cela que son observation nous apportera des informations vraiment précieuses.

– Tu veux dire que, contrairement au jeu Évolution, il n'y aura personne pour leur indiquer quoi que ce soit?

– Personne. Nous ne ferons que les observer et à la limite introduire des éléments dans leur monde pour voir comment ils réagissent. Les arbres virtuels pousseront tout seuls. Les gens virtuels cueilleront instinctivement leurs fruits. Les usines virtuelles en feront, très logiquement, des confitures virtuelles.

– … Qui seront ensuite mangées par des consommateurs virtuels, continua Zoé, très impressionnée.

– Quelle différence avec notre monde alors?

– Le temps. Il passera dix fois plus vite là-bas qu'ici. Ce qui nous permettra d'observer les macrophénomènes. Un peu comme si nous observions notre monde en accéléré.

– Et où est l'intérêt économique? s'inquiéta Ji-woong, toujours soucieux de rentabilité.

– Il est énorme, répondit David qui avait déjà perçu toutes les implications du projet de Francine. On pourra tout tester dans Infra-World. Imaginez un monde informatique où tous les comportements des habitants virtuels ne sont plus préprogrammés mais librement issus de leurs esprits!

– Comprends toujours pas.

– Si on veut savoir si le nom d'une marque de lessive intéresse le public, il suffira de l'introduire dans Infra-World et on saura comment les gens réagissent. Les habitants virtuels choisiront ou repousseront librement le produit. On obtiendra ainsi des réponses bien plus fidèles et bien plus rapides que celles fournies par les instituts de sondages car, au lieu de tester une marque sur un échantillon de cent personnes réelles, on la testera sur des populations entières de millions d'individus virtuels.

Ji-woong fronça les sourcils pour bien saisir la portée d'un tel projet.

– Et comment introduiras-tu tes barils de lessive à tester dans Infra-World?

– Par des hommes-ponts. Des individus aux apparences normales: des ingénieurs, des médecins, des chercheurs de leur monde auxquels nous livrerons les produits à tester. Eux seuls sauront que leur univers n'existe pas et qu'il n'a pour finalité que de réaliser des expériences au bénéfice de la dimension supérieure.

Il leur était apparu difficile de surpasser en ambition le projet «Centre des questions» de David et, pourtant, Francine y était parvenue. Maintenant, ils commençaient à entrevoir l'ampleur de son projet.

– On pourra même tester des politiques entières dans Infra-World. On vérifiera quels résultats produisent à court, moyen et long terme le libéralisme, le socialisme, l'anarchisme, l'écologisme… Les députés verront les effets d'une loi. Nous aurons à notre disposition une mini-humanité cobaye qui nous permettra de gagner du temps en épargnant à l'humanité grandeur nature de faire fausse route.