Elle ferma la fenêtre, s'approcha du lit et regarda le Français qui dormait. «Sans vêtement, il a l'air d'un adolescent, se dit-elle. J'ai dû le geler avec cette fenêtre ouverte.» Elle ramena avec précaution la couverture sur lui, se glissa à ses côtés. Lentement, un peu raide, elle s'étendit sur le dos.

Tout se mit brusquement à tournoyer devant ses yeux – des bribes de conversations, la sensation sur ses lèvres de tous les sourires de la journée, les gens, les visages… les visages… Juste au moment de sombrer, à la manière d'une prière enfantine à demi chuchotée, une pensée l'effleura: «Ce serait bien s'il me payait en devises… Je pourrais racheter l'Etoile du père…»

Andreï Makine

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Andreï Makine naît le 10 septembre 1957 à Krasnoïarsk (Sibérie). Il obtient un doctorat en lettres de l'Université d'État de Moscou Lomonossov après avoir déposé une thèse sur la littérature française contemporaine. Il enseigne ensuite la philosophie à l'Institut Novgorod et collabore à la revue russe Littérature moderne à l'étranger.

En 1987, dans le cadre des échanges culturels entre la France et l'URSS pendant plus de 1 an, il est lecteur dans un lycée. C'est à ce moment qu'il décide de rester en France. Il obtient l'asile politique et se consacre à l'écriture tout en donnant quelques cours de littérature et de culture russe à l'École normale supérieure et à Sciences Po.

Après le refus de ses premiers manuscrits par les éditeurs, le premier qu'il réussit à faire éditer est La fille d'un héros de l'Union soviétique en 1990 en faisant croire que celui-ci est une traduction du russe. Deux ans plus tard, il dépose une thèse de doctorat à la Sorbonne consacrée à l'œuvre de l'écrivain russe Ivan Bounine (1870-1953). Il obtient en 1995 le prix Goncourt, le prix Goncourt des lycéens et le prix Médicis ex æquo pour son roman Le Testament français.