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Mais elle supporta son examen sans laisser paraître qu’elle comprît un sens caché sous ses paroles; et même les yeux du jeune homme, d’abord fixés sur les siens, se baissèrent bientôt, forcés de reconnaître la puissance supérieure de ceux qu’ils avaient osé défier.

– Dans mon enfance, répondit-elle d’un ton d’indifférence parfaite, j’ai su quelques mots d’espagnol, mais je pense maintenant les avoir oubliés. Ainsi, parlez-moi français si vous voulez que je vous comprenne. Voyons, que chante votre devise?

– Elle conseille la discrétion, Madame.

– Par ma foi! nos jeunes courtisans devraient prendre cette devise, surtout s’ils pouvaient venir à bout de la justifier par leur conduite. Mais vous êtes bien savant! monsieur de Mergy. Qui vous a donc appris l’espagnol? Je gage que c’est une dame?

Mergy la regarda d’un air tendre et souriant.

– Je ne sais que quelques mots d’espagnol, dit-il à voix basse, et c’est l’amour qui les a gravés dans ma mémoire.

– L’amour! répéta la comtesse d’un ton de voix moqueur.

Comme elle parlait fort haut, plusieurs dames tournèrent la tête à ce mot, comme pour demander de quoi il s’agissait. Mergy, un peu piqué de sa moquerie, et mécontent de se voir traité de la sorte, tira de sa poche la lettre espagnole qu’il avait reçue de la vieille, et la présentant à la comtesse:

– Je ne doute pas, dit-il, que vous ne soyez aussi savante que moi, et vous comprendrez sans peine cet espagnol-là.

Diane de Turgis saisit le billet, le lut ou fit semblant de le lire, et, en riant de toutes ses forces, elle le donna à la dame qui se trouvait le plus près d’elle.

– Tenez, madame de Châteauvieux, lisez donc ce billet doux que Mr de Mergy vient de recevoir de sa maîtresse, et qu’il veut bien me sacrifier, à ce qu’il dit. Le bon de l’affaire, c’est que je reconnais la main qui l’a écrit.

– Je n’en doute point, dit Mergy avec un peu d’aigreur, mais toujours à voix basse.

Madame de Châteauvieux lut le billet, rit et le passa à un gentilhomme, celui-ci à un autre, et en un instant il n’y eut personne dans la galerie qui ignorât le bon traitement que Mergy recevait d’une dame espagnole.

Quand les éclats de rire furent un peu apaisés, la comtesse demanda d’un air moqueur à Mergy s’il trouvait jolie la femme qui avait écrit ce billet.

– Sur mon honneur, Madame, je ne la trouve pas moins jolie que vous.

– Ô ciel! que dites-vous là? Jésus! Mais il faut que vous ne l’ayez vue que la nuit; car je la connais bien, et… par ma foi! je vous fais compliment de votre bonne fortune.

Et elle se mit à rire plus fort.

– Ma toute belle, dit la Châteauvieux, nommez-nous donc cette dame espagnole assez heureuse pour posséder le cœur de Mr de Mergy.

– Avant de la nommer, je vous prie de dire devant ces dames, monsieur de Mergy, si vous avez vu votre maîtresse au jour?

Mergy était véritablement mal à son aise, et son inquiétude et son humeur se peignaient d’une façon assez comique sur sa physionomie. Il ne répondit rien.

– Sans plus de mystère, dit la comtesse, ce billet est de la señora doña Maria Rodriguez; je connais son écriture comme celle de mon père.

– Maria Rodriguez! s’écrièrent toutes les dames en riant.

Maria Rodriguez était une personne de plus de cinquante ans. Elle avait été duègne à Madrid. Je ne sais comment elle était venue en France, ni pour quel mérite Marguerite de Valois l’avait prise dans sa maison. Peut-être qu’elle tenait cette espèce de monstre auprès d’elle pour faire ressortir encore ses charmes par la comparaison, de même que les peintres ont tracé sur la même toile le portrait d’une beauté de leur temps et la caricature de son nain. Quand la Rodriguez paraissait au Louvre, elle amusait toutes les dames de la cour par son air guindé et son costume à l’antique.

Mergy frissonna. Il avait vu la duègne, et se rappela avec horreur que la dame masquée s’était donné le nom de doña Maria: ses souvenirs devinrent confus. Il était tout à fait décontenancé, et les rires redoublaient.

– C’est une dame fort discrète, disait la comtesse de Turgis, et vous ne pouviez faire un meilleur choix. Elle a vraiment bon air quand elle a mis ses dents postiches et sa perruque noire. D’ailleurs, elle n’a certainement pas plus de soixante ans.

– Elle lui aura jeté un sort! s’écria la Châteauvieux.

– Vous aimez donc les antiquités? demandait une autre dame.

– Quel dommage, disait tout bas en soupirant une demoiselle de la reine, quel dommage que les hommes aient des caprices si ridicules!

Mergy se défendait de son mieux. Les compliments ironiques pleuvaient sur lui, et il faisait une fort sotte figure, quand le roi, paraissant tout à coup au bout de la galerie, fit cesser à l’instant les rires et les plaisanteries. Chacun s’empressa de se ranger sur son passage, et le silence succéda au tumulte.

Le roi reconduisait l’Amiral, avec lequel il s’était entretenu longuement dans son cabinet. Il appuyait familièrement sa main sur l’épaule de Coligny, dont la barbe grise et les vêtements noirs contrastaient avec l’air de jeunesse de Charles et ses habits tout brillants de broderies. À les voir, on eût dit que le jeune roi, avec un discernement rare sur le trône, avait fait choix pour son favori du plus vertueux et du plus sage de ses sujets. Comme ils traversaient la galerie et que tous les regards étaient fixés sur eux, Mergy entendit à son oreille la voix de la comtesse, qui murmurait tout bas:

– Sans rancune! Tenez, ne regardez que lorsque vous serez dehors.

En même temps quelque chose tomba dans son chapeau, qu’il tenait à la main. C’était un papier cacheté enveloppant quelque chose de dur. Il le mit dans sa poche, et un quart d’heure après, aussitôt qu’il fut hors du Louvre, il l’ouvrit, et trouva une petite clef avec ces mots:

«Cette clef ouvre la porte de mon jardin. À cette nuit, à dix heures. Je vous aime. Je n’aurai plus de masque pour vous, et vous verrez enfin doña Maria et Diane.»

Le roi reconduisit l’Amiral jusqu’au bout de la galerie.

– Adieu, mon père, dit-il en lui serrant les mains. Vous savez si je vous aime, et moi je sais que vous êtes à moi corps et âme, tripes et boyaux.

Il accompagna cette phrase par un grand éclat de rire. Puis, quand il rentra dans son cabinet, il s’arrêta devant le capitaine George.

– Demain, après la messe, dit-il, vous viendrez me parler dans mon cabinet.

Il se retourna et jeta un regard presque inquiet vers la porte par où Coligny venait de sortir, puis il quitta la galerie pour s’enfermer avec le maréchal de Retz.