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Mais ce qui semblait encore plus concluant, et ce qui surprenait tout le monde, c’était de voir le jeune huguenot, ce railleur impitoyable de toutes les cérémonies du culte catholique, aujourd’hui fréquentant les églises avec assiduité, ne manquant guère de processions, et même trempant ses doigts dans l’eau bénite, ce que, peu de jours auparavant, il aurait considéré comme un sacrilège horrible. On se disait à l’oreille que Diane venait de gagner une âme à Dieu, et les jeunes gentilshommes de la religion réformée déclaraient qu’ils songeraient peut-être sérieusement à se convertir, si, au lieu de capucins et de cordeliers, on leur envoyait pour les prêcher de jeunes et jolies dévotes comme madame de Turgis.

Il s’en fallait de beaucoup pourtant que Bernard fût converti. Il est vrai qu’il accompagnait la comtesse à l’église; mais il se plaçait à côté d’elle, et, tant que durait la messe, il ne cessait de lui parler à l’oreille, au grand scandale des dévots. Ainsi, non seulement il n’écoutait pas l’office, mais encore il empêchait les fidèles d’y prêter l’attention convenable. On sait qu’une procession était alors une partie de plaisir aussi amusante qu’une mascarade. Enfin, Mergy ne se faisait plus de scrupule de tremper ses doigts dans l’eau bénite, puisque cela lui donnait le droit de serrer en public une jolie main qui tremblait toujours en touchant la sienne. Au reste, s’il conservait sa croyance, il avait de rudes combats à soutenir, et Diane argumentait contre lui avec d’autant plus d’avantage qu’elle choisissait ordinairement, pour entamer ses disputes théologiques, les instants où Mergy avait le plus de peine à lui refuser quelque chose.

– Cher Bernard, lui disait-elle un soir, appuyant sa tête sur l’épaule de son amant, tandis qu’elle enlaçait son cou avec les longues tresses de ses cheveux noirs; cher Bernard, tu as été aujourd’hui au sermon avec moi. Eh bien! tant de belles paroles n’ont-elles produit aucun effet sur ton cœur? Veux-tu donc rester toujours insensible?

– Bon! chère amie, comment veux-tu que la voix nasillarde d’un capucin puisse opérer ce que n’a pu faire ta voix si douce et tes argumentations religieuses si bien soutenues par tes regards amoureux, ma chère Diane?

– Méchant! je veux t’étrangler.

Et, serrant légèrement une natte de ses cheveux, elle l’attirait encore plus près d’elle.

– Sais-tu à quoi j’ai passé mon temps pendant le sermon. À compter toutes les perles qui étaient dans tes cheveux. Vois comme tu les as répandues par la chambre.

– J’en étais sûre. Tu n’as pas écouté le sermon; c’est toujours la même histoire. Va, dit-elle avec un peu de tristesse, je vois bien que tu ne m’aimes pas comme je t’aime; si cela était, il y a longtemps que tu serais converti.

– Ah! ma Diane, pourquoi ces éternelles discussions? Laissons-les aux docteurs de Sorbonne et à nos ministres; mais nous, passons mieux notre temps.

– Laisse-moi… Si je pouvais te sauver, que je serais heureuse! Tiens, Bernardo, pour te sauver, je consentirais à doubler le nombre des années que je dois passer en purgatoire.

Il la pressa dans ses bras en souriant, mais elle le repoussa avec une expression de tristesse indicible.

– Toi, Bernard, tu ne ferais pas cela pour moi; tu ne t’inquiètes pas du danger que court mon âme tandis que je me donne ainsi à toi…

Et des larmes roulaient dans ses beaux yeux.

– Chère amie, ne sais-tu pas que l’amour excuse bien des choses, et…?

– Oui, je le sais bien. Mais, si je pouvais sauver ton âme, tous mes péchés me seraient remis; tous ceux que nous avons commis ensemble, tous ceux que nous pourrons commettre encore… tout cela nous serait remis. Que dis-je? nos péchés auraient été l’instrument de notre salut!

En parlant ainsi, elle le serrait dans ses bras de toute sa force, et la véhémence de l’enthousiasme qui l’animait en parlant avait, dans sa situation, quelque chose de si comique, que Mergy eut besoin de se contraindre pour ne pas éclater de rire à cette étrange façon de prêcher.

– Attendons encore un peu pour nous convertir, ma Diane. Quand nous serons vieux l’un et l’autre… quand nous serons trop vieux pour faire l’amour…

– Tu me désoles, méchant; pourquoi ce sourire diabolique sur tes lèvres? Crois-tu que j’aie envie de les baiser maintenant?

– Tu vois que je ne souris plus.

– Voyons, soyez tranquille. Dis-moi, querido Bernardo, as-tu lu le livre que je t’ai donné?

– Oui, je l’ai achevé hier.

– Eh bien, comment l’as-tu trouvé? C’est là du raisonnement! et les incrédules ont la bouche close.

– Ton livre, ma Diane, n’est qu’un tissu de mensonges et d’impertinences. C’est le plus sot qui soit jusqu’à ce jour sorti de dessous une presse papiste. Gageons que tu ne l’as pas lu, toi qui m’en parles avec tant d’assurance!

– Non, je ne l’ai pas encore lu, répondit-elle en rougissant un peu; mais je suis sûre qu’il est plein de raison et de vérité. Je n’en veux pas d’autre preuve que l’acharnement des huguenots à le dépriser.

– Veux-tu, par passe-temps, que, l’Écriture à la main, je te montre…?

– Oh! garde-t-en bien, Bernard! Merci de moi! je ne lis pas les Écritures, comme font les hérétiques. Je ne veux pas que tu affaiblisses ma croyance. D’ailleurs tu perdrais ton temps. Vous autres huguenots, vous êtes toujours armés d’une science qui désespère. Vous nous la jetez au nez dans la dispute, et les pauvres catholiques, qui n’ont pas lu comme vous Aristote et la Bible, ne savent comment vous répondre.

– Ah! c’est que vous autres catholiques vous voulez croire à tout prix, sans vous mettre en peine d’examiner si cela est raisonnable ou non. Nous, du moins, nous étudions notre religion avant de la défendre, et surtout avant de vouloir la propager.

– Ah! que je voudrais avoir l’éloquence du révérend père Giron, cordelier!

– C’est un sot et un hâbleur. Mais il eut beau crier, il y a six ans, dans une conférence publique, notre ministre Houdart l’a mis à quia [61].

– Mensonges! mensonges des hérétiques!

– Comment! ne sais-tu pas que dans le cours de la discussion on vit de grosses gouttes de sueur tomber du front du bon père sur un Chrysostôme qu’il tenait à la main? Sur quoi un plaisant fit ces vers…

– Je ne veux pas les entendre. N’empoisonne pas mes oreilles de tes hérésies. Bernard, mon cher Bernard, je t’en conjure, n’écoute pas tous ces suppôts de Satan, qui te trompent et te mènent en enfer! Je t’en supplie, sauve ton âme, et reviens à notre Église!

Et comme, malgré ses instances, elle lisait sur les lèvres de son amant le sourire de l’incrédulité:

– Si tu m’aimes, s’écria-t-elle, renonce pour moi, par amour pour moi, à tes damnables opinions!

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[61] Mettre quelqu’un dans l’impossibilité de répondre, de répliquer.