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– Non, lui dit-elle comme il insistait. Pourquoi tant se presser? Nous arriverons bien toujours où nous devons arriver, à moins que vous ne vous arrêtiez en route; je reviendrai demain.

Et elle revint ainsi tous les soirs pendant une semaine, pour s'en retourner de même quand sonnait minuit.

Ces lenteurs n'ennuyaient point trop Rodolphe. En amour ou même en caprice, il était de cette école de voyageurs qui n'ont jamais grand'hâte d'arriver, et qui, à la route droite menant au but directement, préfèrent les sentiers perdus qui allongent le voyage et le rendent pittoresque. Cette petite préface sentimentale eut pour résultat d'entraîner d'abord Rodolphe plus loin qu'il ne voulait aller. Et c'était sans doute pour l'amener à ce point où le caprice, mûri par la résistance qu'on lui oppose, commence à ressembler à de l'amour, que Mademoiselle Juliette avait employé ce stratagème.

– À chaque nouvelle visite qu'elle faisait à Rodolphe, Juliette remarquait un ton de sincérité plus prononcé dans ce qu'il lui disait. Il éprouvait, lorsqu'elle était un peu en retard, de ces impatiences symptomatiques qui enchantaient la jeune fille; et il lui écrivait même des lettres dont le langage avait de quoi lui faire espérer qu'elle deviendrait prochainement sa maîtresse légitime.

Comme Marcel, qui était son confident, avait une fois surpris une des épîtres de Rodolphe, il lui dit en riant:

– Est-ce du style, ou bien penses-tu réellement ce que tu dis là?

– Vraiment oui, je le pense, répondit Rodolphe, et j'en suis bien un peu étonné; mais cela est ainsi. J'étais, il y a huit jours, dans une situation d'esprit très-triste. Cette solitude et ce silence, qui avaient succédé si brutalement aux tempêtes de mon ancien ménage, m'épouvantaient horriblement; mais Juliette est arrivée presque subitement. J'ai entendu résonner à mon oreille les fanfares d'une gaieté de vingt ans. J'ai eu devant moi un frais visage, des yeux pleins de sourire, une bouche pleine de baisers, et je me suis tout doucement laissé entraîner à suivre cette pente du caprice qui m'aura peut-être amené à l'amour. J'aime à aimer.

Cependant Rodolphe ne tarda pas à s'apercevoir qu'il ne tenait plus guère qu'à lui d'amener une conclusion à ce petit roman; et c'est alors qu'il avait imaginé de copier dans Shakspeare la mise en scène des amours de Roméo et Juliette. Sa future maîtresse avait trouvé l'idée amusante et consentit à se mettre de moitié dans la plaisanterie.

C'était le soir même où ce rendez-vous était fixé que Rodolphe rencontra le philosophe Colline, comme il venait d'acheter cette échelle de soie en corde qui devait lui servir à escalader le balcon de Juliette. Le marchand d'oiseaux auquel il s'était adressé n'ayant point de rossignol, Rodolphe y substitua un pigeon, qui, lui assura-t-on, chantait tous les matins, au lever de l'aube.

Rentré chez lui, le poëte fit cette réflexion qu'une ascension sur une échelle de corde n'était point chose facile, et qu'il était bon de faire une petite répétition de la scène du balcon, s'il ne voulait pas, outre les chances d'une chute, courir le risque de se montrer ridicule et maladroit aux yeux de celle qui allait l'attendre. Ayant attaché son échelle à deux clous, solidement enfoncés dans le plafond, Rodolphe employa les deux heures qui lui restaient à faire de la gymnastique; et, après un nombre infini de tentatives, il parvint tant bien que mal à pouvoir franchir une dizaine d'échelons.

– Allons, c'est bien, se dit-il, je suis maintenant sûr de mon affaire, et d'ailleurs, si je restais en chemin l'amour me donnerait des ailes.

Et, chargé de son échelle et de sa cage à pigeon, il se rendit chez Juliette qui habitait dans son voisinage. Sa chambre était située au fond d'un petit jardin et possédait bien, en effet, une espèce de balcon. Mais cette chambre était au rez-de-chaussée, et ce balcon pouvait s'enjamber le plus facilement du monde.

Aussi Rodolphe fut-il tout atterré lorsqu'il s'aperçut de cette disposition locale qui mettait à néant son poétique projet d'escalade.

– C'est égal, dit-il à Juliette, nous pourrons toujours exécuter l'épisode du balcon. Voilà un oiseau qui nous éveillera demain par sa voix mélodieuse, et nous avertira du moment précis où nous devrons nous séparer l'un de l'autre avec désespoir. Et Rodolphe accrocha la cage dans un angle de la chambre.

Le lendemain, à cinq heures du matin, le pigeon fut parfaitement exact, et remplit la chambre d'un roucoulement prolongé qui aurait réveillé les deux amants s'ils avaient dormi.

– Eh bien, dit Juliette, voilà le moment d'aller sur le balcon et de nous faire des adieux désespérés; qu'en penses-tu?

– Le pigeon avance, dit Rodolphe; nous sommes en novembre, le soleil ne se lève qu'à midi.

– C'est égal, dit Juliette, je me lève, moi.

– Tiens! Pourquoi faire?

– J'ai l'estomac creux, et je ne te cacherai pas que je mangerais bien un peu.

– C'est extraordinaire l'accord qui règne dans nos sympathies, j'ai également une faim atroce, dit Rodolphe en se levant aussi et en s'habillant en toute hâte.

Juliette avait déjà allumé du feu, et cherchait dans son buffet si elle ne trouverait rien; Rodolphe l'aidait dans ses recherches.

– Tiens, dit-il, des oignons!

– Et du lard, dit Juliette.

– Et du beurre.

– Et du pain.

– Hélas! C'était tout!

Pendant ces recherches, le pigeon optimiste et insoucieux chantait sur son perchoir.

Roméo regarda Juliette, Juliette regarda Roméo; tous deux regardèrent le pigeon.

Ils ne s'en dirent pas davantage. Le sort du pigeon-pendule était fixé; il en aurait appelé en cassation que c'eût été peines perdues, la faim est une si cruelle conseillère.

Rodolphe avait allumé du charbon, et faisait revenir du lard dans le beurre frémissant; il avait l'air grave et solennel.

Juliette épluchait des oignons dans une attitude mélancolique.

Le pigeon chantait toujours, c'était sa Romance du saule.

À ces lamentations se joignit la chanson du beurre dans la casserole.

Cinq minutes après, le beurre chantait encore; mais, pareil aux templiers, le pigeon ne chantait plus.

Roméo et Juliette avaient accommodé leur pendule à la crapaudine.

– Il avait une jolie voix, disait Juliette et se mettant à table.

– Il était bien tendre, fit Roméo en découpant son réveille-matin parfaitement rissolé.

Et les deux amants se regardèrent et se surprirent ayant chacun une larme dans les yeux.

…Hypocrites, c'étaient les oignons qui les faisaient pleurer!

XXII ÉPILOGUE DES AMOURS DE RODOLPHE ET DE MADEMOISELLE MIMI

I

Pendant les premiers jours de sa rupture définitive avec Mademoiselle Mimi, qui l'avait quitté, comme on se rappelle, pour monter dans les carrosses du vicomte Paul, le poëte Rodolphe avait cherché à s'étourdir en prenant une autre maîtresse.

Celle-là même qui était blonde, et pour laquelle nous l'avons vu s'habiller en Roméo dans un jour de folie et de paradoxe. Mais cette liaison, qui n'était chez lui qu'une affaire de dépit, et chez l'autre qu'une affaire de caprice, ne pouvait pas avoir une longue durée. Cette jeune fille n'était, après tout, qu'une folle personne, vocalisant dans la perfection le solfége de la rouerie; spirituelle assez pour remarquer l'esprit des autres et s'en servir à l'occasion, et n'ayant de cœur que pour y avoir mal, quand elle avait trop mangé. Avec tout cela, un amour-propre effréné et une coquetterie féroce qui l'eût poussé à préférer une jambe cassée à son amant plutôt qu'un volant de moins à sa robe ou un ruban fané à son chapeau. Beauté contestable, créature ordinaire, dotée nativement de tous les mauvais instincts, et cependant séductrice par certains côtés et à certaines heures. Elle ne tarda pas à s'apercevoir que Rodolphe l'avait prise uniquement pour l'aider à lui faire oublier l'absente, qu'elle lui faisait regretter au contraire, car jamais son ancienne amie n'avait été si bruyante et si vivante dans son cœur.