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Cette misérable vie dura trois ou quatre mois. Peu à peu le calme lui revint. Marcel, qui avait fait un long voyage pour se distraire de Musette, revint à Paris et se logea encore avec Rodolphe. Ils se consolaient l'un par l'autre.

Un jour, un dimanche, en traversant le Luxembourg, Rodolphe rencontra Mimi, en grande toilette. Elle allait au bal. Elle lui fit un signe de tête, auquel il répondit par un salut. Cette rencontre lui donna un grand coup dans le cœur, mais cette émotion fut moins douloureuse que de coutume. Il se promena encore quelque temps dans le jardin du Luxembourg, et revint chez lui. Quand Marcel rentra le soir, il le trouva au travail.

– Ah! Bah! fit Marcel en se penchant sur son épaule, tu travailles… des vers?

– Oui, répondit Rodolphe avec joie. Je crois que la petite bête n'est pas tout à fait morte. Depuis quatre heures que je suis là, j'ai retrouvé la verve des anciens jours. J'ai rencontré Mimi.

– Bah! fit Marcel avec inquiétude. Et où en êtes-vous?

– A pas peur, dit Rodolphe, nous n'avons fait que nous saluer. Ça n'a pas été plus loin que ça.

– Bien vrai? dit Marcel.

– Bien vrai. C'est fini entre nous, je le sens; mais si je me remets à travailler, je lui pardonne.

– Si c'est tant fini que ça, ajouta Marcel qui venait de lire les vers de Rodolphe, pourquoi lui fais-tu des vers?

– Hélas! reprit le poëte, je prends ma poésie où je la trouve.

Pendant huit jours il travailla à ce petit poëme. Quand il eut fini, il vint le lire à Marcel, qui s'en déclara satisfait, et qui encouragea Rodolphe à utiliser autrement la veine qui lui était revenue.

– Car, lui observa-t-il, ce n'était pas la peine de quitter Mimi, si tu dois toujours vivre avec son ombre. Après ça, dit-il en souriant, au lieu de prêcher les autres, je ferais mieux de me prêcher moi-même, car j'ai encore de la Musette plein le cœur. Enfin! Nous ne serons peut-être pas toujours des jeunes gens affolés de créatures du diable.

– Hélas! Répliqua Rodolphe, il n'est pas besoin de dire à la jeunesse: va-t'en.

– C'est vrai, dit Marcel, mais il y a des jours où je voudrais être un honnête vieillard, membre de l'institut, décoré de plusieurs ordres, et revenu des musettes de ce monde. Le diable m'emporte si j'y retournerais! Et toi, ajouta l'artiste en riant, aimerais-tu avoir soixante ans?

– Aujourd'hui, répondit Rodolphe, j'aimerais mieux avoir soixante francs.

Peu de jours après, Mademoiselle Mimi, étant entrée dans un café avec le jeune vicomte Paul, ouvrit une Revue où se trouvaient imprimés les vers que Rodolphe avait faits pour elle.

– Bon! s'écria-t-elle en riant d'abord, voilà encore mon amant Rodolphe qui dit du mal de moi dans les journaux.

Mais quand elle eut achevé la pièce de vers, elle resta silencieuse et toute rêveuse. Le vicomte Paul, devinant qu'elle songeait à Rodolphe, essaya de l'en distraire.

– Je t'achèterai des pendants d'oreilles, lui dit-il.

– Ah! dit Mimi, vous avez de l'argent, vous!

– Et un chapeau de paille d'Italie, continua le vicomte Paul.

– Non, dit Mimi, si vous voulez me faire plaisir, achetez-moi ça.

Et elle lui montrait la livraison où elle venait de lire la poésie de Rodolphe.

– Ah! pour cela, non, fit le vicomte piqué.

– C'est bien, répondit Mimi froidement. Je l'achèterai moi-même, avec de l'argent que je gagnerai moi-même. Au fait, j'aime mieux que ce ne soit pas avec le vôtre.

Et pendant deux jours Mimi retourna dans son ancien atelier de fleuriste, où elle gagna de quoi acheter la livraison. Elle apprit par cœur la poésie de Rodolphe; et, pour faire enrager le vicomte Paul, elle la répétait toute la journée à ses amis. Voici quels étaient ces vers:

Alors que je voulais choisir une maîtresse
Et qu'un jour le hasard fit rencontrer nos pas,
J'ai mis entre tes mains mon cœur et ma jeunesse
Et je t'ai dit: fais-en tout ce que tu voudras.
Hélas! Ta volonté fut cruelle, ma chère:
Dans tes mains ma jeunesse est restée en lambeaux,
Mon cœur s'est en éclats brisé comme du verre,
Et ma chambre est le cimetièr
Où sont enterrés les morceaux
De ce qui t'aima tant naguère.
Entre nous maintenant, n-i, ni-, c'est fini,
Je ne suis plus qu'un spectre et tu n'es qu'un fantôme,
Et sur notre amour mort et bien enseveli,
Bous allons, si tu veux, chanter le dernier psaume.
Pourtant ne prenons point un air écrit trop haut,
Nous pourrions tous les deux n'avoir pas la voix sûre;
choisissons un mineur grave et sans fioriture;
moi je ferai la basse et toi le soprano.
Mi, ré, mi, do, ré, la.-Pas cet air, ma petite!
S'il entendait cet air que tu chantais jadis,
Mon cœur, tout mort qu'il est, tressaillirait bien vite,
Et ressusciterait à ce De Profundis.
Do, mi, fa, sol, mi, do.-Celui-ci me rappelle
Une valse à deux temps qui me fit bien du mal
Le fifre au rire aigu raillait le violoncelle
Qui pleurait sous l'archet ses notes de cristal.
Sol, do, do, si, si, la.-Point cet air, je t'en prie,
Nous l'avons, l'an dernier, ensemble répété
Avec des allemands qui chantaient leur patrie
Dans les bois de Meudon, par une nuit d'été.
Eh bien! ne chantons pas, restons-en là, ma chère;
Et pour n'y plus penser, pour n'y plus revenir,
Sur nos amours défunts, sans haine et sans colère
Jetons en souriant un dernier souvenir.
Nous étions bien heureux dans ta petite chambre
Quand ruisselait la pluie et que soufflait le vent;
Assis dans le fauteuil, près de l'âtre, en décembre
Aux lueurs de tes yeux j'ai rêvé bien souvent.
La houille pétillait; en chauffant sur les cendres,
La bouilloire chantait son refrain régulier,
Et faisait un orchestre au bal des salamandres
Qui voltigeaient dans le foyer.
Feuilletant un roman, paresseuse et frileuse,
Tandis que tu fermais tes yeux ensommeillés,
Moi je rajeunissais ma jeunesse amoureuse,
Mes lèvres sur tes mains et mon cœur à tes pieds.
Aussi, quand on entrait, la porte ouverte à peine,
On sentait le parfum d'amour et de gaîté
Dont notre chambre était du matin au soir pleine,
Car le bonheur aimait notre hospitalité.
Puis l'hiver s'en alla; par la fenêtre ouverte,
Le printemps un matin vint nous donner l'éveil,
Et ce jour-là tous deux dans la campagne verte
Nous allâmes courir au-devant du soleil.
C'était le vendredi de la Sainte Semaine,
Et, contre l'ordinaire, il faisait un beau temps,
Du val à la colline, et du bois à la plaine,
D'un pied leste et joyeux, nous courûmes longtemps.
Fatigués cependant par ce pèlerinage,
Dans un lieu qui formait un divan naturel
Et d'où l'on pouvait voir au loin le paysage,
Nous nous sommes assis en regardant le ciel.
Les mains pressant les mains, épaule contre épaule,
Et sans savoir pourquoi, l'un et l'autre oppressés,
Notre bouche s'ouvrit sans dire une parole,
Et nous nous sommes embrassés.
Près de nous l'hyacinthe avec la violette
Mariaient leur parfum qui montait dans l'air pur;
Et nous vîmes tous deux, en relevant la tête,
Dieu qui nous souriait à son balcon d'azur.
Aimez-vous, disait-il; c'est pour rendre plus douce
La route où vous marchez que j'ai fait sous vos pas
Dérouler en tapis le velours de la mousse.
Embrassez-vous encor,-je ne regarde pas.
Aimez-vous, aimez-vous: dans le vent qui murmure,
Dans les limpides eaux, dans les bois reverdis,
Dans l'astre, dans la fleur, dans la chanson des nids,
C'est pour vous que j'ai fait renaître ma nature.
Aimez-vous, aimez-vous; et de mon soleil d'or,
De mon printemps nouveau qui réjouit la terre,
Si vous êtes contents, au lieu d'une prière
Pour me remercier-embrassez-vous encor.
Un mois après ce jour, quand fleurirent les roses
Dans le petit jardin que nous avions planté,
Quand je t'aimais le mieux, sans m'en dire les causes
Brusquement ton amour de moi s'est écarté.
Où s'en est-il allé? Partout un peu, je pense;
Car, faisant triompher l'une et l'autre couleur,
Ton amour inconstant flotte sans préférence
Du brun valet de pique au blond valet de cœur.
Te voilà maintenant heureuse: ton caprice
Règne sur une cour de galants jouvenceaux,
Et tu ne peux marcher sans qu'à tes pieds fleurisse
Un parterre émaillé d'odorants madrigaux.
Dans les jardins de bal, quand tu fais ton entrée,
Autour de toi se forme un cercle langoureux;
Et le frémissement de ta robe moirée,
Pâme en chœur laudatif ta meute d'amoureux.
Élégamment chaussé d'une souple bottine
Qui serait trop étroite au pied de Cendrillon,
Ton pied est si petit qu'à peine on le devine
Quand la valse t'emporte en son gai tourbillon.
Dans les bains onctueux d'une huile de paresse,
Tes mains, brunes jadis, ont retrouvé depuis
La pâleur de l'ivoire ou du lis que caresse
Le rayon argenté dont s'éclairent les nuits.
Autour de ton bras blanc une perle choisie
Constelle un bracelet ciselé par Froment,
Et sur tes reins cambrés un grand châle d'Asie
En cascade de plis ondule artistement.
La dentelle de Flandre et le point d'Angleterre,
La guipure gothique à la mate blancheur,
Chef-d'œuvre arachnéen d'un âge séculaire,
De ta riche toilette achève la splendeur.
Pour moi, je t'aimais mieux dans tes robes de toile
Printanière, indienne ou modeste organdi,
Atours frais et coquets, simple chapeau sans voile,
Brodequins gris ou noirs, et col blanc tout uni.
Car ce luxe nouveau qui te rend si jolie
Ne me rappelle pas mes amours disparus,
Et tu n'es que plus morte et mieux ensevelie
Dans ce linceul de soie où ton cœur ne bat plus.
Lorsque je composai ce morceau funéraire
Qui n'est qu'un long regret de mon bonheur passé,
J'étais vêtu de noir comme un parfait notaire,
Moins les besicles d'or et le jabot plissé.
Un crêpe enveloppait le manche de ma plume,
Et des filets de deuil encadraient le papier
Sur lequel j'écrivais ces strophes, où j'exhume
Le dernier souvenir de mon amour dernier.
Arrivé cependant à la fin d'un poëme
Où je jette mon cœur dans le fond d'un grand trou,
– Gaîté de croque-mort qui s'enterre lui-même,
Voilà que je me mets à rire comme un fou.
Mais cette gaîté-là n'est qu'une raillerie:
Ma plume en écrivant a tremblé dans ma main,
Et quand je souriais, comme une chaude pluie,
Mes larmes effaçaient les mots sur le vélin.