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Hugo rangea le flingue dans son étui et prit le cadavre encore chaud du conducteur par la ceinture.

Le thorax et l'abdomen dans leur entier étaient couverts de sang. Il réussit à l'asseoir au volant. Mais le corps glissa sur le côté, sur les jambes de l'autre victime, un filet vermeil ruisselant de ses lèvres entrouvertes.

Hugo s'engagea par-dessus le cadavre et vit qu'il tenait encore les clés de contact dans sa main gauche, crispée autour du métal. Il les lui arracha, les engagea dans le démarreur pour débloquer le Neiman et fit tourner les roues en direction du ravin. Il n'eut qu'à produire deux violents efforts, deux bonnes poussées, pour que la Ford roule doucement sur le bas-côté sablonneux, oscille un instant au-dessus du vide puis finisse par basculer le long de la pente. Elle prit rapidement de la vitesse avant de percuter un arbre, tournant alors sur elle-même, puis sur son axe en commençant une longue série de tonneaux. Le fracas du métal résonnait dans l'espace.

Hugo ne perdit pas de temps à contempler l'ultime course de la Ford.

Il courut se remettre au volant de la BMW dont le moteur continuait de tourner..

Juste avant de démarrer, pourtant, il se retourna vers Alice.

Il planta son regard dans le sien et laissa tomber:

– Bon, je ne suis pas ton père, mais crois-moi, tout ce que tù mérites, c'est une bonne paire de claques.

De ses yeux déjà rougis perlèrent quelques larmes.

– Tu vas me promettre une chose, d'accord?

Elle mit cinq bonnes secondes avant d'opiner faiblement.

– Ne refais plus jamais une telle connerie, d'accord? Plus jamais…

Elle hocha la tête encore plus faiblement. Les larmes coulaient en silence, à peine quelques reniflements. Il lui tendit un paquet de Kleenex puis passa la première et démarra, sur les chapeaux de roues.

Nom de dieu, le conducteur de la Peugeot ne devait plus être loin de Castelo Branco, maintenant. Les flics du coin n'allaient pas tarder à rappliquer. Il accéléra violemment, à l'assaut de la serra, vers le nord, dans le mauvais sens, par rapport à leur destination d'origine.

Les choses ne tournaient plus du tout à son avantage. On retrouverait rapidement les corps des deux mecs et on finirait sûrement par faire le rapprochement avec lui. Il n'allait pas tarder à avoir les flics au cul, et pour de bon, cette fois-ci.

De plus, alors qu'il avait juré de s'offrir une pause indéterminée dans ce genre d'activités, il venait de tuer deux hommes, là, froidement, sur le bord d'une petite route.

– Ne refais jamais une telle connerie, nom de dieu, lança-t-il par-dessus son épaule.

Puis dans un sursaut d'humour parfaitement désespéré:

– Tu m'as bien compris? Ne saute plus jamais d'un autocar en marche.

Il ne cherchait même pas à la faire rire.

CHAPITRE XV

La Casa Azul dominait la mer, joyau bleu et blanc, aux couleurs du ciel et de l'océan, tombé sur cette terre jaune et orange tel un météorite précieux et délicat.

Il était dix-sept heures trente lorsqu'elle gara l'Opel au pied d'un grand et vénérable cèdre.

La Casa Azul était une merveille du style colonial portugais. Elle était formée d'une bâtisse centrale et de deux ailes, entièrement recouvertes d'azulejos. Un vaste parc de cyprès, de cèdres et de chênes-lièges cernait la maison et une terrasse de pierre dominait la plage. Un splendide escalier de granit descendait vers la mer, jusqu'au sable blanc qui recouvrait ses dernières marches.

Au loin, vers l'ouest, les falaises surplombaient un moutonnement d'écume.

Pour pénétrer dans le parc il avait fallu passer le mur d'enceinte, par une lourde grille de fer forgé et suivre une allée qui serpentait entre les arbres jusqu'au magnifique perron de la bâtisse. Une pancarte plantée dans le sol indiquait en lettres flamboyantes: CASA AZUL INSTITUTO TALASSO-TERAPEUTICO. Un soleil rouge et des vagues bleues très stylisées, comme logo.

La Casa Azul avait été construite dans les années 1860 par une riche famille d’armateurs anglo-portugais. Par la suite, après la chute de la dynastie Alveira-Anderson, au début du siècle, la demeure était restée inoccupée, sauf durant une brève période dans les années 30. Jusqu'à ce qu'un diamantaire hollandais entreprenne de la restaurer à la fin des années 60. En 1980, Eva Kristensen l'avait rachetée. Comme petit pied-à-terre dans la région…

La Casa Azul était une entreprise d'un genre un peu particulier. Durant la morte saison, quand le centre de thalasso fonctionnait au ralenti, on faisait visiter la maison, transformée, l'espace de votre venue, en musée où l'on pouvait prendre le thé dans le parc.

L'intérieur était d'un luxe tranquille et insolent.

La jeune femme de la réception leva vers elle un regard étonné lorsque Anita demanda à parler au directeur de l'établissement.

Anita répéta sa question:

– Puis-je parler au directeur de votre établissement?

La jeune femme se reprit:

– Je… je suis désolée mais M. Van Eidercke n'est pas là… C'est à quel sujet exactement. madame…

Van Eidercke pensa Anita. Un Néerlandais.

– Anita Van Dyke. Police d'Amsterdam… Je recherche des informations sur les anciens propriétaires de la Casa Azul… M. Travis et Mme Kristensen… Quand pourrais-je voir M. Van Eidercke?

– Oh pas avant plusieurs jours, madame. Il est en voyage d'affaires en Amérique du Sud… Désirez-vous que j'appelle M. Olbeido? M. Olbeido est le nouveau sous-directeur… Peut-être pourra-t-il vous renseigner?.

Nouveau?

Anita soupira, malgré elle.

– Depuis quand est-il là?

– Depuis le départ à la retraite de M. Gonçalvès, madame, le mois dernier.

– Bon… non je vous remercie, ce ne sera pas la peine. Et ce monsieur Gonçalvès, éventuellement vous pourriez me dire où je pourrais le trouver?

– J'ai peur que vous n'ayez vraiment pas de chance, il s'est offert une croisière avec sa femme. En Indonésie. Ça faisait des années qu'ils attendaient cela… Il y a bien M. De Vries, l'assistant de M. Van Eidercke mais il ne rentrera de Séville que demain…

Anita réprima difficilement une plainte de désespoir.

Dites-moi, avait-elle envie de hurler à en faire exploser le lustre de cristal au-dessus d'elle, et la femme de ménage, elle est partie en orbite autour de Saturne, hein?

Elle prit sur elle, fermant les yeux et suspendant sa respiration un instant.

– Bon, laissa-t-elle tomber, une tasse de thé dans le parc c'est encore possible?

Après sa pause dans le parc, sous la douce fraîcheur d'un eucalyptus, pause pendant laquelle elle entreprit une synthèse des informations recueillies dans la journée, Anita retourna dans le hall demander à la jeune femme où elle pourrait téléphoner à l'étranger.

La femme lui indiqua une cabine au bout de l’immense pièce au sol de marbre et lui dit en souriant qu'on pouvait y appeler n'importe quel endroit du globe, à condition d'avoir assez de pièces.

Anita vérifia qu'elle possédait la monnaie suffisante et appela Peter Spaak, à Amsterdam.

Au bout d'à peine deux sonneries, on décrocha le combiné.

– Spaak, j'écoute.

– Bonjour Peter, c'est Anita.

– Anita! Alors comment est le temps à Faro?

– Superbe, Peter, superbe,… Bon on se fait un point rapide?

Elle engagea une autre pièce.

– O.K… Qui commence? demanda Peter.

– Vas-y, toi…

– Tu vas être déçue… Je n'ai rien de plus brillant qu'hier. Sinon qu'on a reçu les bandes de la Barbade et que c'est bien Chatarjampa, mais c'est tout. On n'a toujours aucun témoignage sur sa disparition. Le noir absolu, tout simplement.

– Et les mecs du magasin, Koesler, Markens?

– Rien, nulle part. On n'a même pas retrouvé leur voiture. Pas un indice, que dalle.

– Putain…

– Tu l'as dit.