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Je le sais, mais je ne puis m’empêcher de le faire.

Au reste, vous ne pouvez pas vous en plaindre; c’est votre faute. – J’étais calme, tranquille, presque heureuse avant de vous connaître. – Vous arrivez beau, jeune, souriant, pareil à Phoebus le dieu charmant. – Vous avez pour moi les soins les plus empressés, les plus délicates attentions; jamais cavalier ne fut plus spirituel et plus galant. Vos lèvres chaque minute laissaient tomber des roses et des rubis; – tout devenait pour vous une occasion de madrigal, et vous savez détourner les phrases les plus insignifiantes pour en faire d’adorables compliments. – Une femme qui vous aurait d’abord mortellement haï aurait fini par vous aimer, et moi, je vous aimais dès l’instant où je vous avais vu. – Pourquoi paraissiez-vous donc surpris, ayant été si aimable, d’être tant aimé? N’est-ce pas une conséquence toute naturelle? Je ne suis ni une folle, ni une évaporée, ni une petite fille romanesque qui s’éprend de la première épée qu’elle voit. J’ai du monde, et je sais ce que c’est que la vie. Ce que je fais, toute femme, même la plus vertueuse ou la plus prude, en eût fait autant. – Quelle idée et quelle intention aviez-vous? celle de me plaire, j’imagine, car je n’en puis supposer d’autre. Comment se fait-il donc que vous avez; en quelque sorte, l’air fâché d’y avoir si bien réussi? Ai-je fait, sans le vouloir, quelque chose qui vous ait déplu? – Je vous en demande pardon. Est-ce que vous ne me trouvez plus belle, ou avez-vous découvert en moi quelque défaut qui vous rebute? – Vous avez le droit d’être difficile en beauté, mais ou vous avez menti étrangement, ou je suis belle aussi, moi! – Je suis jeune comme vous, et je vous aime; pourquoi maintenant me dédaignez-vous? Vous vous empressiez tant autour de moi, vous souteniez mon bras avec une sollicitude si constante, vous pressiez si tendrement la main que je vous abandonnais, vous leviez vers moi des paupières si langoureuses: si vous ne m’aimiez pas, à quoi bon tout ce manège? Auriez-vous eu par hasard cette cruauté d’allumer l’amour dans un cœur pour vous en faire ensuite un sujet de risée? Ah! ce serait une horrible raillerie, une impiété et un sacrilège! ce ne pourrait être que l’amusement d’une âme affreuse, et je ne puis croire cela de vous, tout inexplicable que soit votre conduite envers moi. Quelle est donc la cause de ce revirement subit? Quant à moi, je n’y en vois point. – Quel mystère cache une pareille froideur? – Je ne puis croire que vous ayez de la répugnance pour moi; ce que vous avez fait prouve que non, car on ne courtise pas aussi vivement une femme pour qui l’on a du dégoût, fût-on le plus grand fourbe de la terre. Ô Théodore, qu’avez-vous contre moi? qui vous a changé ainsi? que vous ai-je fait? – Si l’amour que vous paraissiez avoir pour moi s’est envolé, le mien, hélas! est resté, et je ne puis l’arracher de mon cœur. – Ayez pitié de moi, Théodore, car je suis bien malheureuse. – Faites du moins semblant de m’aimer un peu, et dites-moi quelques douces paroles; cela ne vous coûtera pas beaucoup, à moins que vous n’ayez pour moi une insurmontable horreur…

En cet endroit pathétique de son discours, ses sanglots étouffèrent complètement sa voix; elle croisa ses deux mains sur mon épaule et s’y appuya le front dans une attitude tout à fait désespérée. Tout ce qu’elle disait était on ne peut plus juste, et je n’avais rien de bon à répondre. – Je ne pouvais prendre la chose sur le ton du persiflage. Cela n’eût pas été convenable. – Rosette n’était pas de ces créatures que l’on pût traiter aussi légèrement; – j’étais d’ailleurs trop touchée pour le pouvoir faire. – Je me sentais coupable de m’être jouée ainsi du cœur d’une femme charmante, et j’en éprouvais le plus vif et le plus sincère remords du monde.

Voyant que je ne répondais rien, la chère enfant poussa un long soupir et fit un mouvement comme pour se lever, mais elle retomba affaissée sous son émotion; – puis elle m’entoura de ses bras dont la fraîcheur pénétrait mon pourpoint, posa sa figure sur la mienne et se mit à pleurer silencieusement.

Cela me fit un effet singulier de sentir ainsi ruisseler sur ma joue cet intarissable courant de larmes qui ne partait pas de mes yeux. – Je ne tardai pas à y mêler les miennes, et ce fut une véritable pluie amère à causer un nouveau déluge, si elle eût duré seulement quarante jours.

La lune en cet instant-là vint donner précisément sur la fenêtre; un pâle rayon plongea dans la chambre et éclaira d’une lueur bleuâtre notre groupe taciturne.

Avec son peignoir blanc, ses bras nus, sa poitrine et sa gorge découvertes, presque de la même couleur que son linge, ses cheveux épars et son air douloureux, Rosette avait l’air d’une figure d’albâtre de la Mélancolie assise sur un tombeau. Quant à moi, je ne sais trop quelle figure je pouvais avoir, attendu que je ne me voyais pas et qu’il n’y avait point de glace qui pût réfléchir mon image, mais je pense que j’aurais très bien pu poser pour une statue de l’Incertitude personnifiée.

J’étais émue, et je fis à Rosette quelques caresses plus tendres qu’à l’ordinaire; de ses cheveux ma main était descendue à son cou velouté, et de là à son épaule ronde et polie que je flattais doucement et dont je suivais la ligne frémissante. L’enfant vibrait sous mon toucher comme un clavier sous les doigts d’un musicien; sa chair tressaillait et sautait brusquement, et d’amoureux frissons couraient le long de son corps.

Moi-même j’éprouvais une espèce de désir vague et confus dont je ne pouvais démêler le but, et je sentais une grande volupté à parcourir ces formes pures et délicates. – Je quittai son épaule, et, profitant de l’hiatus d’un pli, j’enfermai subitement dans ma main sa petite gorge effarée, qui palpitait éperdument comme une tourterelle surprise au nid; – de l’extrême contour de sa joue, que j’effleurais d’un baiser à peine sensible, j’arrivai à sa bouche mi-ouverte: nous restâmes ainsi quelque temps. – Je ne sais pas, par exemple, si ce fut deux minutes, ou un quart d’heure, ou une heure; car j’avais totalement perdu la notion du temps, et je ne savais pas si j’étais au ciel ou sur la terre, ici ou ailleurs, morte ou vivante. Le vin capiteux de la volupté m’avait tellement enivrée à la première gorgée que j’avais bue que tout ce que j’avais de raison s’en était allé. – Rosette me nouait de plus en plus avec ses bras et m’enveloppait de son corps; – elle se penchait sur moi convulsivement et me pressait sur sa poitrine nue et haletante; à chaque baiser, sa vie semblait accourir tout entière à la place touchée, et abandonner le reste de sa personne. – Des idées singulières me passaient par la tête; j’aurais, si je n’avais craint de trahir mon incognito, laissé un champ libre aux élans passionnés de Rosette, et peut-être aurais-je fait quelque vaine et folle tentative pour donner un semblant de réalité à cette ombre de plaisir que ma belle amoureuse embrassait avec tant d’ardeur; je n’avais pas encore eu d’amant; et ces vives attaques, ces caresses réitérées, le contact de ce beau corps, ces doux noms perdus dans des baisers me troublaient au dernier point, – quoiqu’ils fussent d’une femme; – et puis cette visite nocturne, cette passion romanesque, ce clair de lune, tout cela avait pour moi une fraîcheur et un charme de nouveauté qui me faisaient oublier qu’au bout du compte je n’étais pas un homme.

Pourtant, faisant un grand effort sur moi-même, je dis à Rosette qu’elle se compromettait horriblement en venant dans ma chambre à une pareille heure et y restant aussi longtemps, que ses femmes pourraient s’apercevoir de son absence et voir qu’elle n’avait pas passé la nuit dans son appartement.