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ROSETTE. – C’est précisément ce dont je me plains, – le plus parfait amoureux du monde en effet.

Moi. – Qu’avez-vous à me reprocher?

ROSETTE. – Rien, et j’aimerais mieux avoir à me plaindre de vous.

Moi. – Voici une étrange querelle.

ROSETTE. – C’est bien pis. – Vous ne m’aimez pas. – Je n’y puis rien, ni vous non plus. – Que voulez-vous qu’on fasse à cela? Assurément, je préférerais avoir quelque faute à vous pardonner. – Je vous gronderais, vous vous excuseriez tant bien que mal, et nous nous raccommoderions.

Moi. – Ce serait tout bénéfice pour toi. Plus le crime serait grand, plus la réparation serait éclatante.

ROSETTE. – Vous savez bien, monsieur, que je ne suis pas encore réduite à employer cette ressource et que si je voulais tout à l’heure, quoique vous ne m’aimiez pas, et que nous nous querellions…

Moi. – Oui, je conviens que c’est un pur effet de ta clémence… Veuille donc un peu; cela vaudrait mieux que de syllogiser à perte de vue comme nous faisons.

ROSETTE. – Vous voulez couper court à une conversation qui vous embarrasse; mais, s’il vous plaît, mon bel ami, nous nous contenterons de parler.

Moi. – C’est un régal peu cher. – Je t’assure que tu as tort; car tu es jolie à ravir, et je sens pour toi des choses…

ROSETTE. – Que vous m’exprimerez une autre fois.

Moi. – Oh çà, – mon adorable, vous êtes donc une petite tigresse d’Hyrcanie, vous êtes aujourd’hui d’une cruauté non pareille! – Est-ce que cette démangeaison vous est venue, de vous faire vestale? – Le caprice serait original.

ROSETTE. – Pourquoi pas? l’on en a vu de plus bizarres; mais, à coup sûr, je serai vestale pour vous. – Apprenez, monsieur, que je ne me livre qu’aux gens qui m’aiment ou dont je crois être aimée. – Vous n’êtes dans aucun de ces deux cas. – Permettez que je me lève.

Moi. – Si tu te lèves, je me lèverai aussi. – Tu auras la peine de te recoucher: voilà tout.

ROSETTE. – Laissez-moi!

Moi. – Pardieu non!

ROSETTE, se débattant. – Oh! vous me lâcherez!

Moi. – J’ose, madame, vous assurer le contraire.

ROSETTE, voyant qu’elle n’est pas la plus forte. – Eh bien! je reste; vous me serrez le bras d’une force!… Que voulez-vous de moi?

Moi. – Je pense que vous le savez. – Je ne me permettrais pas de dire ce que je me permets de faire; je respecte trop la décence.

ROSETTE, déjà dans l’impossibilité de se défendre. – À condition que tu m’aimeras beaucoup… Je me rends.

Moi. – Il est un peu tard pour capituler, lorsque l’ennemi est déjà dans la place.

ROSETTE, me jetant les bras autour du cou, à moitié pâmée. – Sans condition… Je m’en remets à ta générosité.

Moi. – Tu fais bien.

Ici, mon cher ami, je pense qu’il ne serait pas hors de propos de mettre une ligne de points, car le reste de ce dialogue ne se pourrait guère traduire que par des onomatopées.

Le rayon de soleil, depuis le commencement de cette scène, a eu le temps de faire le tour de la chambre. Une odeur de tilleul arrive du jardin, suave et pénétrante. Le temps est le plus beau qui se puisse voir; le ciel est bleu comme la prunelle d’une Anglaise. Nous nous levons, et, après avoir déjeuné de grand appétit, nous allons faire une longue promenade champêtre. La transparence de l’air, la splendeur de la campagne et l’aspect de cette nature en joie m’ont jeté dans l’âme assez de sentimentalité et de tendresse pour faire convenir Rosette qu’au bout du compte j’avais une manière de cœur tout comme un autre.

N’as-tu jamais remarqué comme l’ombre des bois, le murmure des fontaines, le chant des oiseaux, les riantes perspectives, l’odeur du feuillage et des fleurs, tout ce bagage de l’églogue et de la description, dont nous sommes convenus de nous moquer, n’en conserve pas moins sur nous, si dépravés que nous soyons, une puissance occulte à laquelle il est impossible de résister? Je te confierai, sous le sceau du plus grand secret, que je me suis surpris tout récemment encore dans l’attendrissement le plus provincial à l’endroit du rossignol qui chantait. – C’était dans le jardin de ***; le ciel, quoiqu’il fit tout à fait nuit, avait une clarté presque égale à celle du plus beau jour; il était si profond et si transparent que le regard pénétrait aisément jusqu’à Dieu. Il me semblait voir flotter les derniers plis de la robe des anges sur les blanches sinuosités du chemin de saint Jacques. La lune était levée, mais un grand arbre la cachait entièrement; elle criblait son noir feuillage d’un million de petits trous lumineux, et y attachait plus de paillettes que n’en eut jamais l’éventail d’une marquise. Un silence plein de bruits et de soupirs étouffés se faisait entendre par tout le jardin (ceci ressemble peut-être à du pathos, mais ce n’est pas ma faute); quoique je ne visse rien que la lueur bleue de la lune, il me semblait être entouré d’une population de fantômes inconnus et adorés, et je ne me sentais pas seul, bien qu’il n’y eût plus que moi sur la terrasse. – Je ne pensais pas, je ne rêvais pas, j’étais confondu avec la nature qui m’environnait, je me sentais frissonner avec le feuillage, miroiter avec l’eau, reluire avec le rayon, m’épanouir avec la fleur; je n’étais pas plus moi que l’arbre, l’eau ou la belle-de-nuit. J’étais tout cela, et je ne crois pas qu’il soit possible d’être plus absent de soi-même que je l’étais à cet instant-là. Tout à coup, comme s’il allait arriver quelque chose d’extraordinaire, la feuille s’arrêta au bout de la branche, la goutte d’eau de la fontaine resta suspendue en l’air et n’acheva pas de tomber. Le filet d’argent, parti du bord de la lune, demeura en chemin: mon cœur seul battait avec une telle sonorité qu’il me semblait remplir de bruit tout ce grand espace. – Mon cœur cessa de battre, et il se fit un tel silence que l’on eût entendu pousser l’herbe et prononcer un mot tout bas à deux cents lieues. Alors le rossignol, qui probablement n’attendait que cet instant pour commencer à chanter, fit jaillir de son petit gosier une note tellement aiguë et éclatante que je l’entendis par la poitrine autant que par les oreilles. Le son se répandit subitement dans ce ciel cristallin, vide de bruits, et y fit une atmosphère harmonieuse, où les autres notes qui le suivirent voltigeaient en battant des ailes. – Je comprenais parfaitement ce qu’il disait, comme si j’eusse eu le secret du langage des oiseaux. C’était l’histoire des amours que je n’ai pas eues que chantait ce rossignol. Jamais histoire n’a été plus exacte et plus vraie. Il n’omettait pas le plus petit détail, la plus imperceptible nuance. Il me disait ce que je n’avais pas pu me dire, il m’expliquait ce que je n’avais pu comprendre; il donnait une voix à ma rêverie, et faisait répondre le fantôme jusqu’alors muet. Je savais que j’étais aimé, et la roulade la plus langoureusement filée m’apprenait que je serais heureux bientôt. Il me semblait voir à travers les trilles de son chant et sous la pluie de notes s’étendre vers moi, dans un rayon de lune, les bras blancs de ma bien-aimée. Elle s’élevait lentement avec le parfum du cœur d’une large rose à cent feuilles. – Je n’essayerai pas de te décrire sa beauté. Il est des choses auxquelles les mots se refusent. Comment dire l’indicible? comment peindre ce qui n’a ni forme ni couleur? comment noter une voix sans timbre et sans paroles?