Изменить стиль страницы

La scène représente le lit de Rosette. Un rayon de soleil plonge à travers les rideaux: il est dix heures. Rosette a un bras sous mon cou et ne remue pas, de peur de m’éveiller. De temps en temps, elle se soulève un peu sur le coude et penche sa figure sur la mienne en retenant son souffle. Je vois tout cela à travers le grillage de mes cils, car il y a une heure que je ne dors plus. La chemise de Rosette a un tour de gorge de malines toute déchirée: la nuit a été orageuse; ses cheveux s’échappent confusément de son petit bonnet. Elle est aussi jolie que peut l’être une femme que l’on n’aime point et avec qui l’on est couché.

ROSETTE, voyant que je ne dors plus. – Ô le vilain dormeur!

Moi, baillant. – Haaa!

ROSETTE. – Ne bâillez donc pas comme cela, ou je ne vous embrasserai pas de huit jours.

Moi. – Ouf!

ROSETTE. – Il paraît, monsieur, que vous ne tenez pas beaucoup à ce que je vous embrasse?

Moi. – Si fait.

ROSETTE. – Comme vous dites cela d’une manière dégagée! – C’est bon; vous pouvez compter que, d’ici à huit jours, je ne vous toucherai du bout des lèvres. – C’est aujourd’hui mardi: ainsi à mardi prochain.

Moi. – Bah!

ROSETTE. – Comment Bah!

Moi. – Oui, bah! tu m’embrasseras avant ce soir, ou je meurs.

ROSETTE. – Vous mourrez! Est-il fat? Je vous ai gâté, monsieur.

Moi. – Je vivrai. – Je ne suis pas fat et tu ne m’as pas gâté, au contraire. – D’abord, le demande la suppression du monsieur; je suis assez de tes connaissances pour que tu m’appelles par mon nom et que tu me tutoies.

ROSETTE. – Je t’ai gâté, d’Albert!

Moi. – Bien. – Maintenant approche ta bouche.

ROSETTE. – Non, mardi prochain.

Moi. – Allons donc! est-ce que nous ne nous caresserons plus maintenant que le calendrier à la main? nous sommes un peu trop jeunes tous les deux pour cela. – Çà, votre bouche, mon infante, ou je m’en vais attraper un torticolis.

ROSETTE. – Point.

Moi. – Ah! vous voulez qu’on vous viole, mignonne; pardieu! l’on vous violera. – La chose est faisable, quoique peut-être elle n’ait pas encore été faite.

ROSETTE. – Impertinent!

Moi. – Remarque, ma toute belle, que je t’ai fait la galanterie d’un peut-être; c’est fort honnête de ma part. – Mais nous nous éloignons du sujet. Penche ta tête. Voyons: qu’est-ce que cela, ma sultane favorite? et quelle mine maussade nous avons! Nous voulons baiser un sourire et non pas une moue.

ROSETTE, se baissant pour m’embrasser. – Comment veux-tu que je rie? tu me dis des choses si dures!

Moi. – Mon intention est de t’en dire de fort tendres. – Pourquoi veux-tu que je te dise des choses dures?

ROSETTE. – Je ne sais -; mais vous m’en dites.

Moi. – Tu prends pour des duretés des plaisanteries sans conséquence.

ROSETTE. – Sans conséquence! Vous appelez cela sans conséquence? tout en a en amour. – Tenez, j’aimerais mieux que vous me battissiez que de rire comme vous faites.

Moi – Tu voudrais donc me voir pleurer?

ROSETTE. – Vous allez toujours d’une extrémité à l’autre. On ne vous demande pas de pleurer, mais de parler raisonnablement et de quitter ce petit ton persifleur qui vous va fort mal.

Moi. – Il m’est impossible de parler raisonnablement et de ne pas persifler; alors je vais te battre, puisque c’est dans tes goûts.

ROSETTE. – Faites.

Moi, lui donnant quelques petites tapes sur les épaules. – J’aimerais mieux me couper la tête moi-même que de me gâter ton adorable corps et de marbrer de bleu la blancheur de ce dos charmant. – Ma déesse, quel que soit le plaisir qu’une femme ait à être battue, en vérité, vous ne le serez point.

ROSETTE. – Vous ne m’aimez plus.

Moi. – Voici qui ne découle pas très directement de ce qui précède; cela est à peu près aussi logique que de dire: – Il pleut, donc ne me donnez pas mon parapluie; ou: Il fait froid, ouvrez la fenêtre.

ROSETTE. – Vous ne m’aimez pas, vous ne m’avez jamais aimée.

Moi. – Ah! la chose se complique: vous ne m’aimez plus et vous ne m’avez jamais aimée. Ceci est passablement contradictoire: comment puis-je cesser de faire une chose que je n’ai jamais commencée? – Tu vois bien, petite reine, que tu ne sais ce que tu dis et que tu es très parfaitement absurde.

ROSETTE. – J’avais tant envie d’être aimée de vous que j’ai aidé moi-même à me faire illusion. On croit aisément ce que l’on désire; mais maintenant je vois bien que je me suis trompée. – Vous vous êtes trompé vous-même; vous avez pris un goût pour de l’amour, et du désir pour de la passion. – La chose arrive tous les jours. Je ne vous en veux pas: il n’a pas dépendu de vous que vous ne soyez amoureux; c’est à mon peu de charmes que je dois m’en prendre. J’aurais dû être plus belle, plus enjouée, plus coquette; j’aurais dû tâcher de monter jusqu’à toi, ô mon poète! au lieu de vouloir te faire descendre jusqu’à moi: j’ai eu peur de te perdre dans les nuages, et j’ai craint que ta tête ne me dérobât ton cœur. – Je t’ai emprisonné dans mon amour, et j’ai cru, en me donnant à toi tout entière, que tu en garderais quelque chose…

Moi. – Rosette, recule-toi un peu; ta cuisse me brûle, – tu es comme un charbon ardent.

ROSETTE. – Si je vous gêne, je vais me lever. – Ah! cœur de rocher, les gouttes d’eau percent la pierre, et mes larmes ne te peuvent pénétrer. (Elle pleure.)

Moi. – Si vous pleurez comme cela, vous allez assurément changer notre lit en baignoire. – Que dis-je, en baignoire? en océan. – Savez-vous nager, Rosette?

ROSETTE. – Scélérat!

Moi. – Allons, voilà que je suis un scélérat! Vous me flattez, Rosette, je n’ai point cet honneur: je suis un bourgeois débonnaire, hélas! et je n’ai pas commis le plus petit crime; j’ai peut-être fait une sottise, qui est de vous avoir aimée éperdument: voilà tout. – Voulez-vous donc à toute force m’en faire repentir? – Je vous ai aimée, et je vous aime le plus que je peux. Depuis que je suis votre amant, j’ai toujours marché dans votre ombre: je vous ai donné tout mon temps, mes jours et mes nuits. Je n’ai point fait de grandes phrases avec vous, parce que je ne les aime qu’écrites; mais je vous ai donné mille preuves de ma tendresse. Je ne vous parlerai pas de la fidélité la plus exacte, cela va sans dire; enfin je suis maigri de sept quarterons depuis que vous êtes ma maîtresse. Que voulez-vous de plus? Me voilà dans votre lit; j’y étais hier, j’y serai demain. Est-ce ainsi que l’on se conduit avec les gens que l’on n’aime pas? Je fais tout ce que tu veux; tu dis: Allons, je vais; restons, je reste; je suis le plus admirable amoureux du monde, ce me semble.