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Ô sirène ridée et dont l’hymne s’est tu!

Où donc êtes-vous, âme? étoile, où donc es-tu?

L’île qu’on adorait de Lemnos à Lépante,

Où se tordait d’amour la chimère rampante,

Où la brise baisait les arbres frémissants,

Où l’ombre disait: J’aime! où l’herbe avait des sens,

Qu’en a-t-on fait? où donc sont-ils, où donc sont-elles,

Eux, les olympiens, elles, les immortelles?

Où donc est Mars? où donc Éros? où donc Psyché?

Où donc le doux oiseau bonheur, effarouché?

Qu’en as-tu fait, rocher, et qu’as-tu fait des roses?

Qu’as-tu fait des chansons dans les soupirs écloses,

Des danses, des gazons, des bois mélodieux,

De l’ombre que faisait le passage des dieux?

Plus d’autels; ô passé! splendeurs évanouies!

Plus de vierges au seuil des antres éblouies;

Plus d’abeilles buvant la rosée et le thym.

Mais toujours le ciel bleu. C’est-à-dire, ô destin!

Sur l’homme, jeune ou vieux, harmonie ou souffrance,

Toujours la même mort et la même espérance.

Cérigo, qu’as-tu fait de Cythère? Nuit! deuil!

L’éden s’est éclipsé, laissant à nu l’écueil.

Ô naufragée, hélas! c’est donc là que tu tombes!

Les hiboux même ont peur de l’île des colombes.

Île, ô toi qu’on cherchait! ô toi que nous fuyons,

Ô spectre des baisers, masure des rayons,

Tu t’appelles oubli! tu meurs, sombre captive!

Et, tandis qu’abritant quelque yole furtive,

Ton cap, où rayonnaient les temples fabuleux,

Voit passer à son ombre et sur les grands flots bleus

Le pirate qui guette ou le pêcheur d’éponges

Qui rôde, à l’horizon Vénus fuit dans les songes.

II

Vénus! Que parles-tu de Vénus? elle est là.

Lève les yeux. Le jour où Dieu la dévoila

Pour la première fois dans l’aube universelle,

Elle ne brillait pas plus qu’elle n’étincelle.

Si tu veux voir l’étoile, homme, lève les yeux.

L’île des mers s’éteint, mais non l’île des cieux;

Les astres sont vivants et ne sont pas des choses

Qui s’effeuillent, un soir d’été, comme les roses.

Oui, meurs, plaisir, mais vis, amour! ô vision,

Flambeau, nid de l’azur dont l’ange est l’alcyon,

Beauté de l’âme humaine et de l’âme divine,

Amour, l’adolescent dans l’ombre te devine,

Ô splendeur! et tu fais le vieillard lumineux.

Chacun de tes rayons tient un homme en ses nœuds.

Oh! vivez et brillez dans la brume qui tremble,

Hymens mystérieux, cœurs vieillissant ensemble,

Malheurs de l’un par l’autre avec joie adoptés,

Dévouement, sacrifice, austères voluptés,

Car vous êtes l’amour, la lueur éternelle!

L’astre sacré que voit l’âme, sainte prunelle,

Le phare de toute heure, et, sur l’horizon noir,

L’étoile du matin et l’étoile du soir!

Ce monde inférieur, où tout rampe et s’altère,

À ce qui disparaît et s’efface, Cythère,

Le jardin qui se change en rocher aux flancs nus;

La terre a Cérigo; mais le ciel a Vénus.

Juin 1855.

XXI. À Paul M.

Auteur du drame Paris

Tu graves au fronton sévère de ton œuvre

Un nom proscrit que mord en sifflant la couleuvre;

Au malheur, dont le flanc saigne et dont l’œil sourit, noire

À la proscription, et non pas au proscrit,

– Car le proscrit n’est rien que de l’ombre, moins

Que l’autre ombre qu’on nomme éclat, bonheur, victoire; -

À l’exil pâle et nu, cloué sur des débris,

Tu donnes ton grand drame où vit le grand Paris,

Cette cité de feu, de nuit, d’airain, de verre,

Et tu fais saluer par Rome le Calvaire.

Sois loué, doux penseur, toi qui prends dans ta main

Le passé, l’avenir, tout le progrès humain,

La lumière, l’histoire, et la ville, et la France,

Tous les dictames saints qui calment la souffrance,

Raison, justice, espoir, vertu, foi, vérité,

Le parfum poésie et le vin liberté,

Et qui sur le vaincu, cœur meurtri, noir fantôme,

Te penches, et répands l’idéal comme un baume!

Paul, il me semble, grâce à ce fier souvenir

Dont tu viens nous bercer, nous sacrer, nous bénir,

Que dans ma plaie, où dort la douleur, ô poëte!

Je sens de la charpie avec un drapeau faite.

Marine-Terrace, août 1855.

XXII .

Je payai le pêcheur qui passa son chemin,

Et je pris cette bête horrible dans ma main;

C’était un être obscur comme l’onde en apporte,

Qui, plus grand, serait hydre, et, plus petit, cloporte;

Sans forme comme l’ombre, et, comme Dieu, sans nom.

Il ouvrait une bouche affreuse, un noir moignon

Sortait de son écaille; il tâchait de me mordre;

Dieu, dans l’immensité formidable de l’ordre,

Donne une place sombre à ces spectres hideux;

Il tâchait de me mordre, et nous luttions tous deux;

Ses dents cherchaient mes doigts qu’effrayait leur approche;

L’homme qui me l’avait vendu tourna la roche;

Comme il disparaissait, le crabe me mordit;

Je lui dis: «Vis! et sois béni, pauvre maudit!»

Et je le rejetai dans la vague profonde,

Afin qu’il allât dire à l’océan qui gronde,

Et qui sert au soleil de vase baptismal,

Que l’homme rend le bien au monstre pour le mal.

Jersey, grève d’Azette, juillet 1855.

XXIII. Pasteurs et troupeaux

À Madame Louise C.

Le vallon où je vais tous les jours est charmant,

Serein, abandonné, seul sous le firmament,

Plein de ronces en fleurs; c’est un sourire triste.

Il vous fait oublier que quelque chose existe,

Et, sans le bruit des champs remplis de travailleurs,

On ne saurait plus là si quelqu’un vit ailleurs.

Là, l’ombre fait l’amour; l’idylle naturelle

Rit; le bouvreuil avec le verdier s’y querelle,

Et la fauvette y met de travers son bonnet;

C’est tantôt l’aubépine et tantôt le genêt;

De noirs granits bourrus, puis des mousses riantes;

Car Dieu fait un poëme avec des variantes;

Comme le vieil Homère, il rabâche parfois,

Mais c’est avec les fleurs, les monts, l’onde et les bois!

Une petite mare est là, ridant sa face,

Prenant des airs de flot pour la fourmi qui passe,

Ironie étalée au milieu du gazon,

Qu’ignore l’océan grondant à l’horizon.

J’y rencontre parfois sur la roche hideuse

Un doux être; quinze ans, yeux bleus, pieds nus, gardeuse

De chèvres, habitant, au fond d’un ravin noir,

Un vieux chaume croulant qui s’étoile le soir;

Ses sœurs sont au logis et filent leur quenouille;

Elle essuie aux roseaux ses pieds que l’étang mouille;

Chèvres, brebis, béliers, paissent; quand, sombre esprit,

J’apparais, le pauvre ange a peur, et me sourit;

Et moi, je la salue, elle étant l’innocence.

Ses agneaux, dans le pré plein de fleurs qui l’encense,

Bondissent, et chacun, au soleil s’empourprant,

Laisse aux buissons, à qui la bise le reprend,

Un peu de sa toison, comme un flocon d’écume.

Je passe; enfant, troupeau, s’effacent dans la brume;

Le crépuscule étend sur les longs sillons gris

Ses ailes de fantôme et de chauve-souris;

J’entends encore au loin dans la plaine ouvrière

Chanter derrière moi la douce chevrière,

Et, là-bas, devant moi, le vieux gardien pensif

De l’écume, du flot, de l’algue, du récif,

Et des vagues sans trêve et sans fin remuées,

Le pâtre promontoire au chapeau de nuées,

S’accoude et rêve au bruit de tous les infinis,

Et, dans l’ascension des nuages bénis,

Regarde se lever la lune triomphale,

Pendant que l’ombre tremble, et que l’âpre rafale