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IX .

Ô souvenirs! printemps! aurore!

Doux rayon triste et réchauffant!

– Lorsqu’elle était petite encore,

Que sa sœur était tout enfant… -

Connaissez-vous sur la colline

Qui joint Montlignon à Saint-Leu,

Une terrasse qui s’incline

Entre un bois sombre et le ciel bleu?

– C’est là que nous vivions. – Pénètre,

Mon cœur, dans ce passé charmant! -

Je l’entendais sous ma fenêtre

Jouer le matin doucement.

Elle courait dans la rosée,

Sans bruit, de peur de m’éveiller;

Moi, je n’ouvrais pas ma croisée,

De peur de la faire envoler.

Ses frères riaient… – Aube pure!

Tout chantait sous ces frais berceaux,

Ma famille avec la nature,

Mes enfants avec les oiseaux! -

Je toussais, on devenait brave;

Elle montait à petits pas,

Et me disait d’un air très grave:

«J’ai laissé les enfants en bas.»

Qu’elle fût bien ou mal coiffée,

Que mon cœur fût triste ou joyeux,

Je l’admirais. C’était ma fée,

Et le doux astre de mes yeux!

Nous jouions toute la journée.

Ô jeux charmants! chers entretiens!

Le soir, comme elle était l’aînée,

Elle me disait: «Père, viens!

Nous allons t’apporter ta chaise,

Conte-nous une histoire, dis!» -

Et je voyais rayonner d’aise

Tous ces regards du paradis.

Alors, prodiguant les carnages,

J’inventais un conte profond

Dont je trouvais les personnages

Parmi les ombres du plafond.

Toujours, ces quatre douces têtes

Riaient, comme à cet âge on rit,

De voir d’affreux géants très bêtes

Vaincus par des nains pleins d’esprit.

J’étais l’Arioste et l’Homère

D’un poëme éclos d’un seul jet;

Pendant que je parlais, leur mère

Les regardait rire, et songeait.

Leur aïeul, qui lisait dans l’ombre,

Sur eux parfois levait les yeux,

Et, moi, par la fenêtre sombre

J’entrevoyais un coin des cieux!

Villequier, 4 septembre 1846.

X .

Pendant que le marin, qui calcule et qui doute,

Demande son chemin aux constellations;

Pendant que le berger, l’œil plein de visions,

Cherche au milieu des bois son étoile et sa route;

Pendant que l’astronome, inondé de rayons,

Pèse un globe à travers des millions de lieues,

Moi, je cherche autre chose en ce ciel vaste et pur.

Mais que ce saphir sombre est un abîme obscur!

On ne peut distinguer, la nuit, les robes bleues

Des anges frissonnants qui glissent dans l’azur.

Avril 1847.

XI .

On vit, on parle, on a le ciel et les nuages

Sur la tête; on se plaît aux livres des vieux sages;

On lit Virgile et Dante; on va joyeusement

En voiture publique à quelque endroit charmant,

En riant aux éclats de l’auberge et du gîte;

Le regard d’une femme en passant vous agite;

On aime, on est aimé, bonheur qui manque aux rois!

On écoute le chant des oiseaux dans les bois;

Le matin, on s’éveille, et toute une famille

Vous embrasse, une mère, une sœur, une fille!

On déjeune en lisant son journal. Tout le jour

On mêle à sa pensée espoir, travail, amour;

La vie arrive avec ses passions troublées;

On jette sa parole aux sombres assemblées;

Devant le but qu’on veut et le sort qui vous prend,

On se sent faible et fort, on est petit et grand;

On est flot dans la foule, âme dans la tempête;

Tout vient et passe; on est en deuil, on est en fête;

On arrive, on recule, on lutte avec effort… -

Puis, le vaste et profond silence de la mort!

11 juillet 1846, en revenant du cimetière.

XII. À quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt

La nuit était fort noire et la forêt très sombre.

Hermann à mes côtés me paraissait une ombre.

Nos chevaux galopaient. À la garde de Dieu!

Les nuages du ciel ressemblaient à des marbres.

Les étoiles volaient dans les branches des arbres

Comme un essaim d’oiseaux de feu.

Je suis plein de regrets. Brisé par la souffrance,

L’esprit profond d’Hermann est vide d’espérance.

Je suis plein de regrets. Ô mes amours, dormez!

Or, tout en traversant ces solitudes vertes,

Hermann me dit: «Je songe aux tombes entr’ouvertes.»

Et je lui dis: «Je pense aux tombeaux refermés!»

Lui regarde en avant: je regarde en arrière.

Nos chevaux galopaient à travers la clairière;

Le vent nous apportait de lointains angelus;

Il dit: «Je songe à ceux que l’existence afflige,

À ceux qui sont, à ceux qui vivent. – Moi», lui dis-je,

«Je pense à ceux qui ne sont plus!»

Les fontaines chantaient. Que disaient les fontaines?

Les chênes murmuraient. Que murmuraient les chênes?

Les buissons chuchotaient comme d’anciens amis.

Hermann me dit: «Jamais les vivants ne sommeillent.

En ce moment, des yeux pleurent, d’autres yeux veillent.»

Et je lui dis: «Hélas! d’autres sont endormis!»

Hermann reprit alors: «Le malheur, c’est la vie.

Les morts ne souffrent plus. Ils sont heureux! j’envie

Leur fosse où l’herbe pousse, où s’effeuillent les bois.

Car la nuit les caresse avec ses douces flammes;

Car le ciel rayonnant calme toutes les âmes

Dans tous les tombeaux à la fois!»

Et je lui dis: «Tais-toi! respect au noir mystère!

Les morts gisent couchés sous nos pieds dans la terre.

Les morts, ce sont les cœurs qui t’aimaient autrefois!

C’est ton ange expiré! c’est ton père et ta mère!

Ne les attristons point par l’ironie amère.

Comme à travers un rêve ils entendent nos voix!»

Octobre 1853.

XIII. Veni, vidi, vixi

J’ai bien assez vécu, puisque dans mes douleurs

Je marche, sans trouver de bras qui me secourent,

Puisque je ris à peine aux enfants qui m’entourent,

Puisque je ne suis plus réjoui par les fleurs;

Puisqu’au printemps, quand Dieu met la nature en fête,

J’assiste, esprit sans joie, à ce splendide amour;

Puisque je suis à l’heure où l’homme fuit le jour,

Hélas! et sent de tout la tristesse secrète;

Puisque l’espoir serein dans mon âme est vaincu;

Puisqu’en cette saison des parfums et des roses,

Ô ma fille! j’aspire à l’ombre où tu reposes,

Puisque mon cœur est mort, j’ai bien assez vécu.

Je n’ai pas refusé ma tâche sur la terre.

Mon sillon? Le voilà. Ma gerbe? La voici.

J’ai vécu souriant, toujours plus adouci,

Debout, mais incliné du côté du mystère.

J’ai fait ce que j’ai pu; j’ai servi, j’ai veillé,

Et j’ai vu bien souvent qu’on riait de ma peine.

Je me suis étonné d’être un objet de haine,

Ayant beaucoup souffert et beaucoup travaillé.

Dans ce bagne terrestre où ne s’ouvre aucune aile,

Sans me plaindre, saignant, et tombant sur les mains,

Morne, épuisé, raillé par les forçats humains,

J’ai porté mon chaînon de la chaîne éternelle.

Maintenant, mon regard ne s’ouvre qu’à demi;

Je ne me tourne plus même quand on me nomme;

Je suis plein de stupeur et d’ennui, comme un homme

Qui se lève avant l’aube et qui n’a pas dormi.

Je ne daigne plus même, en ma sombre paresse,

Répondre à l’envieux dont la bouche me nuit.

Ô Seigneur! ouvrez-moi les portes de la nuit,

Afin que je m’en aille et que je disparaisse!

Avril 1848.