Изменить стиль страницы

Une feuille de vigne à l’astre dans l’azur?

Le flot, conque d’amour, est-il d’un goût peu sûr?

Ô Virgile, Pindare, Orphée! est-ce qu’on gaze,

Comme une obscénité, les ailes de Pégase,

Qui semble, les ouvrant au haut du mont béni,

L’immense papillon du baiser infini?

Est-ce que le soleil splendide est un cynique?

La fleur a-t-elle tort d’écarter sa tunique?

Calliope, planant derrière un pan des cieux,

Fait donc mal de montrer à Dante soucieux

Ses seins éblouissants à travers les étoiles?

Vous êtes un ancien d’hier. Libre et sans voiles,

Le grand Olympe nu vous ferait dire: Fi!

Vous mettez une jupe au Cupidon bouffi;

Au clinquant, aux neuf sœurs en atours, au Parnasse

De Titon du Tillet, votre goût est tenace;

Les Ménades pour vous danseraient le cancan;

Apollon vous ferait l’effet d’un Mohican;

Vous prendriez Vénus pour une sauvagesse.

L’âge – c’est là souvent toute notre sagesse -

A beau vous bougonner tout bas: «Vous avez tort,

«Vous vous ferez tousser si vous criez si fort;

«Pour quelques nouveautés sauvages et fortuites,

«Monsieur, ne troublez pas la paix de vos pituites.

«Ces gens-ci vont leur train; qu’est-ce que ça vous fait?

«Ils ne trouvent que cendre au feu qui vous chauffait.

«Pourquoi déclarez-vous la guerre à leur tapage?

«Ce siècle est libéral comme vous fûtes page.

«Fermez bien vos volets, tirez bien vos rideaux,

«Soufflez votre chandelle, et tournez-lui le dos!

«Qu’est l’âme du vrai sage? Une sourde-muette.

«Que vous importe, à vous, que tel ou tel poëte,

«Comme l’oiseau des cieux, veuille avoir sa chanson;

«Et que tel garnement du Pinde, nourrisson

«Des Muses, au milieu d’un bruit de corybante,

«Marmot sombre, ait mordu leur gorge un peu tombante?»

Vous n’en tenez nul compte, et vous n’écoutez rien.

Voltaire, en vain, grand homme et peu voltairien,

Vous murmure à l’oreille: «Ami, tu nous assommes!»

– Vous écumez! – partant de ceci: que nous, hommes

De ce temps d’anarchie et d’enfer, nous donnons

L’assaut au grand Louis juché sur vingt grands noms;

Vous dites qu’après tout nous perdons notre peine,

Que haute est l’escalade et courte notre haleine;

Que c’est dit, que jamais nous ne réussirons;

Que Batteux nous regarde avec ses gros yeux ronds,

Que Tancrède est de bronze et qu’Hamlet est de sable.

Vous déclarez Boileau perruque indéfrisable;

Et, coiffé de lauriers, d’un coup d’œil de travers,

Vous indiquez le tas d’ordures de nos vers,

Fumier où la laideur de ce siècle se guinde

Au pauvre vieux bon goût, ce balayeur du Pinde;

Et même, allant plus loin, vaillant, vous nous criez:

«Je vais vous balayer moi-même!»

Balayez.

Paris, novembre 1834.

XXVII .

Oui, je suis le rêveur; je suis le camarade

Des petites fleurs d’or du mur qui se dégrade,

Et l’interlocuteur des arbres et du vent.

Tout cela me connaît, voyez-vous. J’ai souvent,

En mai, quand de parfums les branches sont gonflées,

Des conversations avec les giroflées;

Je reçois des conseils du lierre et du bleuet.

L’être mystérieux, que vous croyez muet,

Sur moi se penche, et vient avec ma plume écrire.

J’entends ce qu’entendit Rabelais; je vois rire

Et pleurer; et j’entends ce qu’Orphée entendit.

Ne vous étonnez pas de tout ce que me dit

La nature aux soupirs ineffables. Je cause

Avec toutes les voix de la métempsycose.

Avant de commencer le grand concert sacré,

Le moineau, le buisson, l’eau vive dans le pré,

La forêt, basse énorme, et l’aile et la corolle,

Tous ces doux instruments, m’adressent la parole;

Je suis l’habitué de l’orchestre divin;

Si je n’étais songeur, j’aurais été sylvain.

J’ai fini, grâce au calme en qui je me recueille,

À force de parler doucement à la feuille,

À la goutte de pluie, à la plume, au rayon,

Par descendre à ce point dans la création,

Cet abîme où frissonne un tremblement farouche,

Que je ne fais plus même envoler une mouche!

Le brin d’herbe, vibrant d’un éternel émoi,

S’apprivoise et devient familier avec moi,

Et, sans s’apercevoir que je suis là, les roses

Font avec les bourdons toutes sortes de choses;

Quelquefois, à travers les doux rameaux bénis,

J’avance largement ma face sur les nids,

Et le petit oiseau, mère inquiète et sainte,

N’a pas plus peur de moi que nous n’aurions de crainte,

Nous, si l’œil du bon Dieu regardait dans nos trous;

Le lis prude me voit approcher sans courroux,

Quand il s’ouvre aux baisers du jour; la violette

La plus pudique fait devant moi sa toilette;

Je suis pour ces beautés l’ami discret et sûr;

Et le frais papillon, libertin de l’azur,

Qui chiffonne gaîment une fleur demi-nue,

Si je viens à passer dans l’ombre, continue,

Et, si la fleur se veut cacher dans le gazon,

Il lui dit: «Es-tu bête! Il est de la maison.»

Les Roches, août 1835.

XXVIII .

Il faut que le poëte, épris d’ombre et d’azur,

Esprit doux et splendide, au rayonnement pur,

Qui marche devant tous, éclairant ceux qui doutent,

Chanteur mystérieux qu’en tressaillant écoutent

Les femmes, les songeurs, les sages, les amants,

Devienne formidable à de certains moments.

Parfois, lorsqu’on se met à rêver sur son livre,

Où tout berce, éblouit, calme, caresse, enivre,

Où l’âme, à chaque pas, trouve à faire son miel,

Où les coins les plus noirs ont des lueurs du ciel;

Au milieu de cette humble et haute poésie,

Dans cette paix sacrée où croît la fleur choisie,

Où l’on entend couler les sources et les pleurs,

Où les strophes, oiseaux peints de mille couleurs,

Volent chantant l’amour, l’espérance et la joie;

Il faut que, par instants, on frissonne, et qu’on voie

Tout à coup, sombre, grave et terrible au passant,

Un vers fauve sortir de l’ombre en rugissant!

Il faut que le poëte, aux semences fécondes,

Soit comme ces forêts vertes, fraîches, profondes,

Pleines de chants, amour du vent et du rayon,

Charmantes, où, soudain, l’on rencontre un lion.

Paris, mai 1842.

XXIX. Halte en marchant

Une brume couvrait l’horizon; maintenant,

Voici le clair midi qui surgit rayonnant;

Le brouillard se dissout en perles sur les branches,

Et brille, diamant, au collier des pervenches.

Le vent souffle à travers les arbres, sur les toits

Du hameau noir cachant ses chaumes dans les bois;

Et l’on voit tressaillir, épars dans les ramées,

Le vague arrachement des tremblantes fumées;

Un ruisseau court dans l’herbe, entre deux hauts talus,

Sous l’agitation des saules chevelus;

Un orme, un hêtre, anciens du vallon, arbres frères

Qui se donnent la main des deux rives contraires,

Semblent, sous le ciel bleu, dire: À la bonne foi!

L’oiseau chante son chant plein d’amour et d’effroi,

Et du frémissement des feuilles et des ailes;

L’étang luit sous le vol des vertes demoiselles.

Un bouge est là, montrant, dans la sauge et le thym,

Un vieux saint souriant parmi des brocs d’étain,

Avec tant de rayons et de fleurs sur la berge,

Que c’est peut-être un temple ou peut-être une auberge.

Que notre bouche ait soif, ou que ce soit le cœur,

Gloire au Dieu bon qui tend la coupe au voyageur!

Nous entrons. «Qu’avez-vous? – Des œufs frais, de l’eau fraîche.»

On croit voir l’humble toit effondré d’une crèche.

À la source du pré, qu’abrite un vert rideau,