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Lettre 25. Fanchon, à Ursule.

[Ma pauvre femme la loue, de ce qu’il ne fallait pas la louer; et lui fait les récits très bien détaillés de ce qui se passe à la maison paternelle.].

20 août.

Votre dernière lettre, très chère sœur, m’a fait un plaisir d’autant plus grand que j’y ai vu que vous êtes plus solide dans vos goûts que notre frère Edmond lui-même; la ville ne vous a pas rendue bagatellière , comme tant d’autres, même d’ici, que j’ai vues à leur arrivée faire les légères, et ne vouloir parler que de bagatelles. C’est ce qui me donne de vous une haute espérance, chère Ursule; comptant que vous vous tirerez à votre avantage, et au grand plaisir de nos chers parents, de toutes les passes où vous vous trouvez à c’t’heure. Par ainsi, je n’ai plus à votre sujet aucune inquiétude, vous recommandant au surplus chaque jour au Seigneur dans mes prières, et le suppliant de vous conduire, comme sa bonté l’a déjà fait jusqu’à ce jour. Quant à ce qui est d’ici, je n’ai que des nouvelles heureuses à vous annoncer. Et je vais mettre les choses par ordre, en commençant par le commencement, à celle fin que vous en voyiez mieux la suite.

D’abord, dès qu’Edmond eut marqué qu’il avait changé d’idée, au sujet de Mlle Edmée, on en fut chez nous très aise; attendu qu’on y aime bien Mlle Fanchette, et qu’on aurait bien regretté que cette alliance manquât, à cause de tous ses avantages, tant pour Edmond, que pour vous, chère sœur; on disait qu’il vous serait bien plus agréable d’avoir obligation à la sœur de la femme de votre frère, qu’à une étrangère. Cependant on aimait bien aussi Mlle Edmée, à cause du portrait qu’Edmond en avait fait. Mais il marqua dans la lettre qu’il écrivit à son frère, qu’il la voulait céder, cette gentille Edmée, à un autre lui-même, qui était Bertrand; et que Georget aurait aussi un bon parti dans la sœur d’Edmée, et que ça ferait une jolie union de famille, ce qui fit que notre bonne mère pleura de joie, en disant: «Je vous l’avais toujours bien dit, mes enfants, qu’en envoyant Edmond à la ville, c’était votre avantage à tous; et bénissez-le: car c’est un bon frère, qui vous aime comme lui-même.» Et notre bon père était tout attendri, tenant la lettre, et s’arrêtant avec complaisance, quand notre mère parlait, lui qui n’en fait pas toujours autant. Et puis quand Edmond marquait comme il comptait de s’y prendre, notre père a dit à son aîné: «Mon ami, ton frère a de l’esprit, et je vois qu’il commence à bien connaître le monde, et je suis bien content de ses sentiments et de son cœur, et surtout de ce qu’il marque qu’il ne veut plus revoir cette jolie fille qu’avec son frère Bertrand.» Nos deux frères reçurent ensuite les avis de notre père, sur la manière dont ils devaient se comporter, et il leur enjoignit surtout de se conformer en tout à ce que leur dirait Edmond: «Car il est votre aîné à vous deux.» Ils allèrent donc à Au** les fêtes de la Pentecôte , et ils furent très bien reçus d’Edmond, dans son logement, qui est celui de Mme Palestine . Et après qu’ils se furent un peu reposés, et qu’Edmond les eut fait bien friser, surtout Bertrand, tout comme lui, pour lui donner encore plus de son air, il leur fit à chacun présent d’un habit, qu’il leur avait tenu prêt, pour les mener à l’église Saint-Germain , à l’heure qu’il savait qu’Edmée et sa sœur devaient s’en revenir de la grand-messe de Saint-Loup , leur paroisse. Et voilà, qu’au bout d’une demi-heure, Catherine a paru, allant un peu devant sa sœur. «Bertrand? a dit Edmond, si c’était là Edmée?» Bertrand l’a regardée, et n’a rien répondu. «Comment la trouves-tu? – Mais assez jolie. – Mon frère, a dit Georget, Catherine est-elle comme ça? – Oui, précisément. – Oh! tant mieux! – Car c’est elle, a redit Edmond.» Et Bertrand a paru bien aise. Voilà qu’un moment après, Edmée a passé. «Que dis-tu de cette jeune fille-là, Bertrand? – Ah! seigneur! qu’elle est gente! Oh! pour celle-là, je voudrais qu’elle fût Edmée! – C’est aussi elle, a dit Edmond. – Ah! mon frère!…» Et il l’a embrassé. «Allons chez elles, a repris Edmond: car Catherine est prévenue, et pendant que je parlerai au père, vous ferez connaissance avec les filles.» Et ils y sont allés, suivant les deux sœurs d’un peu loin: mais Catherine, qui avait le mot, s’est retournée, et les a vus. Elle a fait un petit signe à Edmond, qui s’est caché derrière Georget, et Catherine a dit à sa sœur, lui montrant Bertrand: «Voilà un petit jeune homme qui vient de notre côté, qui te regarde bien. Il ressemble à M. Edmond; si ç’allait être son frère?» Et Edmée s’est retournée avec une petite mine très agréable, pour regarder Bertrand, qui était déjà tout auprès d’elle, et qui n’a pu se tenir de la saluer. Elle l’a salué aussi, avec une jolie rougeur; et Catherine lui a parlé, lui disant: je crois voir là-bas M. Edmond; ne seriez-vous pas monsieur son frère? – Il est bien vrai, mademoiselle, a répondu Bertrand, et que le voici qui vient avec mon frère Georget.» Et aussitôt Edmond s’est avancé le premier, disant à Catherine: «Votre père est-il de retour, mademoiselle Catherine? – Non, pas encore. – Nous allons donc tous entrer, si vous le voulez permettre, et nous causerons en l’attendant.» Et ils sont entrés tous les trois. Georget s’est assis vers Catherine, qui s’est mise à rire, et qui s’est aussitôt levée, pour aller à la cave, pendant qu’Edmée faisait les politesses à nos frères. «Voici une de mes plus heureuses journées, si ma démarche vous est agréable, mademoiselle, lui a dit Edmond. – Vous pouvez en être sûr, monsieur: l’honneur que monsieur votre frère fait à ma sœur me touche autant que s’il était fait à moi-même. Je crois que voilà M. Georget? (Le montrant.) – Oui, mademoiselle, a-t-il répondu. – Ainsi, voilà M. Bertrand? – C’est moi-même, mademoiselle, à vous servir. – Je vous ai reconnu presque tout de suite, à votre grande ressemblance avec M. votre frère Edmond. – C’est la chose la plus heureuse pour moi que cette ressemblance, mademoiselle.» Catherine est remontée et a servi le vin. Le père est entré, avant que nos frères y eussent goûté: Edmond a été à sa rencontre, et il lui a présenté ses frères, les nommant par leur nom chacun. Ensuite, il a pris en particulier le vieillard, pour lui proposer Georget, qui a été accepté. Il n’a touché un mot de Bertrand qu’en passant, et par manière d’éloge qu’il a fait de lui. On a dîné là, et après le dîner, le père a mené les trois frères et ses deux filles à une promenade, la plus agréable pour Georget; c’est à une de ses vignes qui est si belle, que jamais nos frères n’en avaient vu de pareille, par son arrangement, sa cultivation, et la récolte qu’elle annonçait. En chemin, Catherine et Georget allaient ensemble, celle-là expliquant tout à celui-ci: c’était là leurs douceurs. Edmond, lui, comme ayant affaire à parler au père, était avec lui; et il fallait bien que Bertrand fût avec Edmée. Il y trouvait bien du contentement, et le chemin lui paraissait court, quoique pourtant ils ne parlaient que de la pluie et du beau temps: mais ça les familiarisait toujours un peu ensemble. Catherine avait seule le secret d’Edmond; quand on a été de retour à la maison, et que les trois frères ont été enretournés chez Edmond, elle n’a fait que dire du bien de Bertrand, le louant au-delà de tout. Edmée disait comme elle; et à la fin, un peu étonnée, elle lui a dit: «Mais ma sœur, est-ce que tu aimerais mieux à présent M. Bertrand que son frère? – Ça n’est pas ça, ma bonne amie! mais c’est que je veux te faire entendre que pour nous autres, ces deux frères-là valent mieux que celui d’ici: voilà tout; Edmond est trop monsieur, et j’aimerais mieux, dix fois, si j’étais à ta place, M. Bertrand que M. Edmond. Vois comme il est doux et modeste! Dame! c’est qu’ça n’a pas de faquinerie! – Je ne crois pas que son frère d’ici en ait! – Je n’dis pas… tout à fait ça; mais pourtant j’crais qu’il en a un tant fait peu! mais ça n’est pas faute; car, dans ç’pays-ci, on d’vient comme les autres, en les fréquentant.».

Le lendemain, les trois frères retournèrent chez le père Servigné, et on passa encore la journée ensemble; si bien qu’on alla voir une autre vigne superbe, et puis de là goûter dans un jardin du faubourg à l’ombre sous les arbres du père Servigné. Georget était bien content de tout ça, outre que Catherine lui revenait tout à fait; et il aurait bien voulu que Bertrand eût été accepté comme lui; mais Edmond les retenait, Catherine et lui, quand ils lui disaient qu’il fallait parler. Voilà comme ça se passa, à cette première visite: car la troisième fête au matin, nos frères partirent pour s’en revenir ici.

À leur arrivée, notre père et notre mère, ainsi que nous tous, qui les attendions avec impatience, nous avons été bien joyeux de les voir. Et Georget nous a dit en entrant: «Bonne nouvelle! et nous venons de voir un digne homme; un homme tout comme notre bon père, et je ne saurais trop dire de bien de lui, et de ses filles, toutes deux sans exception, ainsi que de notre frère, qui nous a fait plus comme à ses enfants, que comme à des frères.» Là-dessus notre père s’est levé, et a dit: «Béni soit Edmond, et que sa bonté envers ses frères le recouvre un jour, s’il fait quelque faute! je vous en prie, mon Dieu!» Et notre bonne mère a dit: «Écoutez bien, mes enfants, la bénédiction de votre père!» Après ça, Bertrand a parlé, comme étant le cadet. Et il a conté comme Edmond les avait endoctrinés sur ce qu’ils devaient faire, leur conseillant les plus petites choses, comme les plus grandes. Et quand il a été question d’Edmée, il a dit à notre bonne mère qu’il ne pouvait bien en faire la louange qu’en disant qu’elle était la plus aimable et revenante fille qu’il eût vue en sa vie; ayant de la façon de sa sœur Ursule, et de Mme Parangon elle-même, sans pourtant leur ressembler. Et qu’il ne pouvait penser comment avait pu faire son frère, pour se délibérer d’un pareil amour en sa faveur, vu que lui en cas pareil ne le pourrait. Georget, lui, a parlé des héritages du père Servigné, et comme il paraissait riche et à son aise, bénissant Edmond qui songeait ainsi à ses frères, et les procurait où ce qu’il fallait qu’ils fussent procurés, puisque des demoiselles ne leur auraient pas convenu, et que pourtant ces deux filles-là étaient aussi riches et aussi gracieuses et spirituelles que des demoiselles.