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Lettre 24. Ursule, à Fanchon.

[La voici qui montre de l’ambition.].

25 juin.

Il y aurait tant de nouvelles à t’apprendre, ma bonne amie sœur, que si je voulais dire tout ce qui regarde les autres, à peine trouverais-je la place de mettre un mot de ce qui me concerne en particulier. J’ai écrit à Edmond, pour lui annoncer le retour de Mme Parangon. Je présume que vous avez vu cette lettre, et je ne la copierai pas; Mlle Fanchette s’y joint à moi; c’est une finesse de ma part, car je me doutais déjà de ce qui n’est plus un mystère: Edmond songeait sérieusement à Edmée. Convenons que ce cher frère est encore bonace, au moins dans ses inclinations amoureuses: je me sens, moi, plus ambitieuse, et plus capable de sacrifier mes goûts à la fortune… peut-être parce qu’ils ne sont pas encore bien vifs.

Ma charmante amie est partie enfin; oh! je l’adore celle-là, sans politique, tout comme je t’aime, ma chère Fanchon. Mon frère m’a écrit son heureuse arrivée: cette lettre-là est charmante, et je vais te la mettre ici tout au long; tu verras par là mille choses que je répéterais mal…

Il faut avouer que Mme Parangon est passionnément aimée de mon frère; et je ne saurais leur faire un crime de leur mutuel attachement; il est si bien réglé, dans son excès même, que l’exemple ne peut que m’en être avantageux. Voilà donc tout le monde encore une fois content! je le suis en mon particulier, au-delà de toute expression, de l’heureuse idée qui est venue à Edmond, de procurer à deux de nos frères de meilleurs partis qu’ils n’auraient pu en trouver dans le pays; car tous n’auraient pas eu le même bonheur que ton mari, ma chère Fanchon. Peut-être cependant cette alliance pourrait-elle porter quelque ombrage au conseiller; mais je m’en inquiète peu, et je voudrais qu’il en prît de l’humeur, je lui ferais voir que je ne suis pas au dépourvu. Car, ma très chère sœur, j’éprouve une grande perplexité! Ce M. le marquis continue à me faire sa cour; et je ne saurais m’empêcher de reconnaître, que pour un homme de sa sorte, il se comporte envers moi, d’une manière bien respectueuse! C’est de lui qu’est l’offre obligeante dont il est question à la fin de la lettre de mon frère que je t’envoie. Il s’est très bien comporté en cette occasion. J’étais d’abord toute honteuse de ce qu’il en était témoin: mais ensuite, j’en ai été charmée, il aura vu par là, qu’il n’est pas le seul de son avis.

Nous avons vu M. Gaudet: il m’a dit à la dérobée beaucoup de choses gracieuses, et il paraît que c’est lui qui se fait appeler le chevalier Gaudet d’Arras. Il est fort bien sous ce déguisement, qui ne paraît pas extraordinaire ici, où l’on sait qu’il s’est fait séculariser. Il faut en excepter Mme Canon qui a fulminé. Il m’a exhortée à songer à la fortune: «Elle ne se présente à vous, mademoiselle, que de la manière qui convient à une jeune personne aussi vertueuse qu’elle est belle; j’en sais quelque chose, et je m’intéresse même pour un de vos prétendants: mais de tous les partis, je n’épouse que le vôtre; préférez le plus avantageux, sans égard à la recommandation.» Voilà ses propres paroles. Il est instruit de la recherche du conseiller; il m’en a parlé à mots couverts; et moi, je lui ai glissé deux mots au sujet du marquis. Il a rougi de joie; car elle éclatait dans tous ses mouvements. «Cela est très possible, mademoiselle!… et non seulement ce que vous me dites, que je crois fermement; mais un mariage solennel; vous êtes assez belle pour cela: soit dit sans vous flatter. Ceci me rend plus ferme encore pour un projet que j’ai formé; votre frère ne contractera pas un mariage, dont il aurait à se repentir un jour.» Il paraît qu’il a beaucoup contribué à dissuader Edmond d’épouser Edmée, ou que même il aura pris d’autres moyens, dont vous serez peut-être plutôt instruits que moi.

De mes adorateurs, un seul mot: je les ai toujours.

Nous avons encore été au spectacle; mais c’est aux Italiens, à une pièce qui a fait rire Mme Canon. Une autre, qui a suivi, où Arlequin est sauvage , l’a fait pleurer. C’est toujours Laure qui nous mène. Elle plaît ici: mais il n’y a que Mme Parangon et moi qui la connaissions.

Adieu, chère amie sœur.