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Lettre 14. Mme Parangon, à Ursule.

[Elle montre son bon cœur et sa faiblesse.].

20 novembre.

Me voilà prête à partir, ma chère fille. Mon Dieu que d’obstacles, quand on veut aller où notre goût et la raison nous appellent! J’ai cru que je ne pourrais les vaincre! Mais enfin ils le sont. Il m’a fallu attendre ici le retour de ton frère, rester à sa portée, en cas qu’il eût besoin de moi; il a fallu qu’il ménageât son retour à la ville, sans blesser vos vertueux parents: tout cela n’a pu se faire tout d’un coup. Mais le voilà de retour, et rien ne saurait plus m’arrêter; tu me verras dans la quinzaine. Chère bonne amie! quelle respectable famille que la vôtre! quand je ne t’aurais pas aimée, ce que je viens de lire me ferait tout entreprendre pour toi: c’est une lettre de ta belle-sœur, ou plutôt, c’est un trésor de sensibilité, qu’elle t’envoie. J’en suis si touchée, que cela m’engage à te donner la suite du récit, je veux dire l’arrivée de ton frère auprès de moi: ne crois pas, ma chère fille, que je puisse l’égaler! quelques vifs et sincères que soient mes sentiments, ils ne sont que de glace auprès de ceux qu’exprime si bien Fanchon Berthier dans son style naïf. Cependant, depuis le dernier malheur d’Edmond, les vues que j’ai pour lui, devant légitimer mon attachement, j’ose enfin m’y livrer… Mais je ne suis toujours qu’une étrangère, et qu’est-ce que la simple amitié, auprès de la belle nature, dans sa pureté, telle qu’elle existe chez vous?

Ton frère ne m’avait pas écrit son arrivée: j’étais seule le 3 de ce mois vers les 10 heures du matin, M. Parangon étant à la campagne, lorsque j’ai entendu une carriole s’arrêter à la porte. J’ai envoyé Toinette voir ce que c’était. Elle est remontée aussitôt tout essoufflée: «Madame! madame! je crois que c’est M. Edmond!» Je voulais la gronder de la manière effrayante dont elle m’annonçait une nouvelle agréable: mais j’ai senti que j’étais si troublée moi-même, qu’il y aurait eu de l’injustice. Je n’ai vu Edmond qu’assez pour le reconnaître, avant qu’il m’embrassât, car il est venu comme l’éclair; il me pressait vivement contre son cœur, me nommant tantôt madame, tantôt sa chère cousine; du reste, ne sachant ce qu’il disait. Je me laissais docilement embrasser; je n’y songeais pas, et je t’assure que je n’ai rien à me reprocher. Enfin, j’y ai songé, assez pour lui parler. Le bon aîné est entré alors: oh! celui-là, je n’ai pas attendu qu’il vînt à moi; j’ai été à lui, et c’est moi, je crois, qui l’ai embrassé, ou qui le lui ai rendu, n’importe, ç’a été de tout mon cœur: mais je l’aurais embrassé dix fois, si j’avais eu lu ce qu’on t’écrit.» J’ai voulu descendre ici, m’a dit Edmond: ce doit être ma première visite; l’univers ne renferme que vous, mes parents, et ce qui est à nous à Paris.» Pierre m’a ensuite remis la lettre pour toi, toute ouverte; ce qui m’a flattée: mais j’étais trop occupée en ce moment pour la lire. J’ai dit à Pierre: «Mettez votre voiture sous la remise, et ôtez le cheval; je vous garde ici tous deux jusqu’au soir, que vous irez ensemble chez Edmond, ou que vous resterez ici, à votre choix. – Il faut que je m’en retourne, a dit Pierre; mon frère le sait. – En ce cas, menez reposer votre cheval, et je vais faire hâter le dîner.» Il y est allé, après un petit rafraîchissement versé de ma main.»Ma chère cousine! a dit Edmond, je vous revois donc enfin, et je vous revois telle que je vins ici pour la première fois, avec la robe de l’innocence et de la candeur! – Laissez-moi lire cette lettre, lui ai-je dit; car on le veut, je le vois bien, et je suis pressée de savoir ce qu’on y dit à mon Ursule: l’avez-vous lue? – Non, ni son mari non plus; nous avons parlé tout le long du chemin, sans qu’il en ait été question… Ma chère cousine, je renais, en me retrouvant auprès de vous… Mais lisez; il me suffit de voir que vous êtes là, je ne vous interromprai plus, je ne veux que tenir cette main: cela doit être permis au bout de quatre mois, sans tirer à conséquence, je vous en assure!» je la lui ai laissée, et j’ai lu. En vérité, je me suis tout à fait oubliée durant cette lecture: car Edmond a baisé ma main, sans que j’y songeasse; j’étais si touchée, que mes larmes coulaient. J’en étais à la dernière ligne, quand Pierre est rentré, le domestique ayant voulu se charger du surplus des soins que demandait son cheval. Je n’étais plus à moi: je me suis levée vivement, et j’ai été prendre votre aîné par la main, en lui disant: «Digne et respectable frère, asseyez-vous là, tout près de moi, et regardez aussi Colette C** comme une sœur; car j’aime tendrement Ursule, et j’en suis aimée; que je la remplace en ce moment à vos yeux; prenez-moi pour elle.» Il m’a répondu des choses très agréables; car il a de l’esprit: ensuite regardant son frère, il lui a dit: «je reconnais là ton bon cœur. – Edmond vous chérit, et ne parle de vous qu’avec les sentiments que vous méritez; mais vous devez en ce moment votre admiration à une autre personne. – Qui donc cette bonne créature, Madame, que je l’en remercie? – Votre femme; c’est une digne épouse! tenez, lisez cela vous deux, pendant que je vais donner un coup d’œil au dîner, et faire un peu la ménagère.» Ils ont lu sans doute; et à mon retour, je les ai trouvés enlacés l’un avec l’autre, la larme à l’œil.»Voilà comme j’aime à voir des frères, leur ai-je dit, et je veux à mon tour faire un récit à Ursule, en lui annonçant mon arrivée; j’y joindrai cette lettre; car il faut que ma tante Canon la voie. Allons, bons frères, venez m’honorer à table de votre compagnie.» Nous avons dîné assez vite, ensuite les deux frères se sont dit adieu: mais le pauvre Pierre ne pouvait quitter Edmond; et il m’a dit à deux fois: «Oh! madame! il n’a que vous, pour soutien; car je ne compte plus sur personne: et vos si grandes bontés, il est vrai, sont au-dessus de tout! mais s’il les oubliait (ça ne se peut pas), ou s’il en mésusait, Dieu le punirait, et mon frère serait perdu!… Adieu, très honorée dame! adieu, mon frère: car en arrivant tard, je donnerais de l’inquiétude chez nous: je vous quitte, et permettez que je le dise, madame, avec une égale peine tous deux; car je ne sais où vous prenez ce qui vous fait tant aimer, mais ça est en vous, et je le sens; comment Edmond ne le sentirait-il pas!» Il s’est arraché des bras de son frère, en achevant ces mots, et il a monté dans la voiture, que le domestique tenait prête. Je te l’avoue, ma chère fille, je regardais s’éloigner un si digne homme, avec autant d’intérêt que s’il eût été mon frère, et deux larmes sont venues sur mes paupières. Pour Edmond, il le considérait immobile, et il n’est revenu à lui-même, que lorsque la voiture n’a plus été en vue.

Nous avons ensuite causé familièrement: Edmond m’a d’abord parlé de toi: ça été son premier mot; il est vrai qu’il a joint le nom de ma sœur au tien: mais je ne te rendrai cette conversation que de bouche. Adieu, chère amie. Je voudrais bien être à Paris! c’est mon refuge. Adieu.

Pour Mlle Fanchette.

Chère petite amie,

Je suis sur le point de partir, pour me rejoindre à toi et à ta bonne amie Ursule; et surtout pour remercier ma chère tante des soins qu’elle vous donne à toutes deux: contente-la bien, afin qu’elle ne se repente pas de sa complaisance pour nous. Quant à moi, en mon particulier, chère petite, je ne songe qu’à ton bonheur, et j’espère que si Dieu me trouve digne de le faire, je le ferai. Si tu savais, chère petite amie, combien je me trouve heureuse de t’avoir! oui, ma chère fille, tu es une seconde moi-même, et la moitié de ma vie; ton bonheur et le mien ne sont qu’un: mais je tâcherai toujours que mon malheur, si j’en ai, n’ait rien de commun avec toi. Que j’aurais de plaisir à te caresser, quand nous serons ensemble! à te dire, et à te prouver que je t’aime! Non, tu n’en as pas d’idée. Ce n’est pas qu’avec cette tendresse, tu doives compter que je te passe tes petits défauts, qui, je crois, sont bien loin à présent; mais je veux dire, s’ils se remontraient; car je te désire presque parfaite, et ce que la nature n’a pu faire en moi, unie à la bonne éducation, tâcher de le faire en toi.

J’ai vu notre bon papa ces jours-ci, et je lui ai bien parlé de toi. Voici ses propres paroles: «Ma fille, je m’en rapporte tout à fait à vous pour votre sœur, et surtout j’approuve fort le parti que vous avez pris de l’envoyer à Paris, sous la conduite de la respectable Mme Canon, que j’ai toujours honorée, quoique nous ayons eu ensemble quelque refroidissement autrefois: j’aime aussi que vous lui ayez donné pour compagne la jeune R**; c’est un ange de douceur que cette fille; il n’y a qu’une voix en sa faveur dans tout le pays, pour la prôner comme le plus excellent sujet de son sexe. C’est aussi mon sentiment; car je l’ai vue plusieurs fois à S** chez son père, digne homme, et mon ami: ces enfants-là ont reçu de bons principes, et Fanchette ne peut que profiter avec une d’entre eux. Quant à tout le reste, elle est jeune, et il y a apparence qu’elle n’aura que vous, quand il faudra l’établir: soyez donc sa mère, plus que sa sœur; je vous en donne l’autorité.» je ne saurais te dire, chère petite, combien ce discours m’a fait de plaisir, et surtout de ce que Papa me laisse maîtresse de ton établissement, quand le temps en sera venu. Je baise tes jolies joues de lis, et ta petite bouche de rose; mais comme je suis encore absente, j’en charge Ursule.

TA BONNE AMIE SOEUR.