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Lettre 13. Fanchon, à Ursule.

[Ma femme décrit ici la réception, le séjour et le départ de mon frère Edmond.].

20 août.

J’écris cette lettre, très chère sœur, pour la faire tenir à Mme Parangon le plus tôt possible, afin de ne pas manquer l’occasion de son départ. Je vous dirai que nous avons ici Edmond depuis trois semaines: et je ne lui ai pourtant pas montré votre lettre, ni à personne; car je l’ai trouvée faite tout à fait pour femme, et point du tout pour homme, qu’il nous soit tant proche qu’on voudra. Et je ne répondrai à rien de ce que vous me dites sur la beauté: puisque Mme Parangon a vu votre lettre, et qu’elle verra aussi la mienne, je la crois bien suffisante pour vous dire tout ce qu’il faut, et mieux que mon petit esprit, qui se peut tromper, en croyant dire merveilles; car je suis plus défiante de moi et de mes lumières que jamais. Pour à l’égard de Laure, que vous avez vu et parlé, mon sentiment est, que vous avez bien fait; car c’est notre parente, et dès que dans le pays où vous êtes, il n’y a aucun scandale à se parler, parce qu’on ne sait ce qu’il en est, je pense qu’il est toujours bien de se rapprocher. Mais il faut vous parler d’ici, et vous dire que j’entends votre demi-mot, vu qu’Edmond ne me laisse rien ignorer de la vérité, non plus qu’à son frère, et à Mme Parangon elle-même, qui est instruite: car il m’a montré la lettre qu’il lui écrivit le 2 du présent mois, que j’ai trouvée très belle, et où il contait les derniers moments de sa femme: sans doute que Mme Parangon vous la montrera, ainsi que deux autres; c’est à savoir la copie d’une qu’il a écrite à M. Gaudet, et la réponse qu’il en a eue. Ce que j’ai à faire à présent, est de vous dire, comment Edmond ayant, à son arrivée ici, démenti le bruit qu’avait fait courir la lettre de M. Gaudet, il s’est derechef exposé, par sa franchise, à tout le courroux de notre vénérable père, qui ne peut souffrir rien de contraire à la bonne conduite: ceci n’est pas inutile à vous dire, puisque ça vous fera sentir combien il est terrible de manquer à son devoir devant votre digne père, l’image de Dieu sur terre à notre endroit. Edmond arrivait avec mon mari, qui l’avait été chercher à cause de sa convalescence, et qui l’avait trouvé à Saint-Bris , venant sur un cheval de louage; et qui en voyant son frère changé, a couru à lui, et l’a descendu à terre, dans ses bras, en lui disant: «Mon cher frère, mon cher Edmond! je te revois! ah! mon ami! j’en bénis le bon Dieu, et de ce que la maladie qu’il t’a envoyée a montré ton bon cœur, et ton innocence!» Et il l’a porté dans la carriole, comme si c’eût été un petit garçon de neuf à dix ans, et puis il y est monté à côté de lui, et ils se sont mis à causer: mais Edmond avait quelque chose sur le cœur, au sujet de cette innocence dont son frère lui venait de parler, et il lui en a demandé l’explication, et Pierre la lui a donnée, et Edmond a dit la vérité. Mon mari a baissé la tête, et puis la relevant, il s’est jeté au cou de son frère, en lui disant: «Et la vérité aussi est une vertu, et nous ne sommes pas, pauvres mortels, pour les avoir toutes!» Les voilà qui sont arrivés comme ça. Et notre bon père et notre bonne mère, qui attendaient leurs enfants, parlaient d’eux toute la journée, tantôt entre eux, tantôt à nous; et notre bonne mère s’en allait à chaque quart d’heure sur la montée du grenier, où est le perron, et elle regardait par le chemin de la montagne, si elle verrait une carriole la descendre, et elle appelait tantôt Brigitte, tantôt Marthon, plus souvent Christine, et quelquefois moi: «Oh Fanchon! vous qui avez de si bons yeux, voyez donc voir, mon enfant, si vous ne verriez pas la carriole descendre la montagne? m’est avis que je la vois? – Non, ma mère, il n’y a rien, que des charrues qui s’en reviennent. – Ô mon enfant! c’est la carriole!… Augustin-Nicolas, tiens, viens donc voir? N’est-ce pas là la carriole! – Non, ma mère, c’est Colin Peupeu , en chemise, qui vient de la charrue.» Et elle ne nous croyait quasi pas; car la chère bonne femme n’avait dans le cœur, l’esprit et les yeux que la carriole, et elle remontait à tout moment, tant plus le jour s’avançait: et elle a aussi appelé notre bon père vers le soir: «Mon homme, la voilà! la voilà!» Et le bon vieillard est monté, et on a vu qu’il souriait: mais il a encore de bons yeux, et il a dit doucement: «Non, ma femme, ce n’est pas la carriole», et il est redescendu, en disant à Georget, qui arrivait bien las: «Georget, va-t’en donc au-devant de tes frères.» Et nous qui voyions comme il était las, nous avons dit à notre père: «Mais il est trop las, mon père! – Eh bien, Bertrand.» Et Bertrand y a couru. Mais Georget y a voulu aller aussi, et il s’est caché, pour qu’on ne le vît pas sortir, et il a dit à Bertrand: «Allons, allons, fussent-ils à deux lieues; je monterai dans la voiture en revenant, et ça me reposera comme dans mon lit.» Et ils y ont été; mais pas loin; car quant-et-quant que le jour tombait, et que notre bonne mère montait encore au perron, bien qu’on n’y voyait plus goutte, et qu’elle nous appelait encore, si bien que notre bon père s’est mis à rire, en lui disant: «Ma femme, ma femme, ce n’est pas vos enfants qu’il faut appeler pour voir, mais adressez-vous aux oiseaux de nuit; car il n’y a plus que les chouettes et les chauves-souris qui puissent y voir.» Ce qui l’a rendue honteuse; et elle descendait, quand on a vu la chienne Friquette, que mon mari avait menée, qui est venue à notre père en joie, comme quand il y a longtemps qu’elle ne l’a vu. Et aussitôt notre bon père a ouvert le livre de Tobie , à l’article du chien, et il nous a dit à tous: «Allez au-devant de vos frères; car ils arrivent.» Et notre bonne mère s’est appuyée sur nous deux Christine, et elle y a couru comme elle pouvait; car ses genoux tremblaient. Et notre bon père l’a regardée, ouvrant la bouche, comme pour lui parler; mais il ne lui a rien dit, et se tournant vers moi: «Il faut la laisser faire: ma fille, ne la quittez pas; car elle va revoir celui qui nous a peinés; et tant plus on l’a peinée, tant plus elle aime: Dieu la veuille bénir! C’est une bonne femme!» Mais pendant tout ça, voilà que la carriole est entrée dans la cour: et Georget en est descendu, car Bertrand était à pied, menant les chevaux; ensuite mon mari; et puis Edmond… Et quand il a paru avec sa pâleur, voilà que notre bonne mère s’est récriée: «Mon fils! ô mon pauvre fils!» et la chère bonne femme tombait. Edmond est venu l’embrasser et la soutenir.»Mon pauvre fils, je te revois! je mourrai contente! mon cher fils! Et par son empressement à l’embrasser, elle ne le pouvait, car elle lui baisait les cheveux au lieu du visage, et quelquefois les mains; elle était comme en ivresse… Et voilà les mères: que Dieu est bon d’avoir fait si tendres les mères!… Et elle ne cessait de dire: mon fils, comme si elle n’eût eu que lui, aussi Edmond lui a-t-il dit, en montrant ses frères: «Les voilà, vos fils, et il n’y en a pas un là qui ne vaille mieux que moi: et voilà votre digne fils, mon cher aîné. – Je vous aime tous, a dit la bonne femme, en suffoquant, mais… mon Edmond, j’ai été deux jours à croire que je ne t’aurais plus.» Et aussitôt deux fontaines de larmes sont sorties de ses yeux; ce qui l’a soulagée: et Edmond et Pierre l’ont à eux deux remmenée par-dessous les bras, et ils l’ont assise auprès de notre bon père, qui s’est gravement levé, en voyant Edmond, et a dit: «Mes fils, mes filles, je suis bien aise, que vous voyiez ce cœur de mère, à celle fin que vous aimiez Dieu votre Père, comme elle vous aime… Bonsoir, Edmond. – Mon cher père!» et il s’est mis à ses genoux quasi. Et notre père l’a embrassé, en lui disant: «Je ne t’aurais pas embrassé coupable.» Et Edmond s’est aussitôt retiré, en disant incliné: «Et je le suis, mon père.» À ce mot, notre père s’est assis, le front sévère, et n’a plus parlé qu’à mon mari, dans toutes les questions qu’il a faites. Ce qui a quasi glacé notre bonne mère. On a soupé, et on s’est allé coucher, sans qu’il ait redit une parole à Edmond, ni le lendemain non plus; mais comme Edmond empirait, mon mari a parlé à son père, et ce bon père a reparlé à son fils, mais sans le tutoyer; et il a dit à part à son aîné: «Pierre, c’est une pauvre femmelette qu’Edmond, et ça se croit homme! Ça n’a pas de nerf pour résister au vice, et dès que quelque chose plaît à ça, ça se laisse aller: mon fils, ayons-en pitié; car je m’étonne tant seulement qu’il ait eu la force d’être vrai à ses dépens, et je trouve en lui par-delà de ce que j’attendais.» Et il lui a reparlé depuis ce moment comme à l’ordinaire, lui gardant une bonne remontrance, pour quand il se portera mieux.

Voilà, très chère sœur, ce que j’avais à vous raconter. Je vais remettre ma lettre au regrattier, pour Mme Parangon, et si j’apprends dans quelque temps que cette bonne dame ne soit pas encore partie, je récrirai des choses plus nouvelles, que je lui ferai remettre avec celles-ci, pour qu’elle ait la bonté de n’en faire qu’un paquet. Et quant à ce qui est de la santé d’Edmond, je trouve qu’il se refait d’un jour à l’autre. J’ajoute, chère sœur, que ma situation est telle qu’elle doit être en mariage: priez Dieu pour moi; je ne suis pas sans crainte, mais je suis soumise et résignée. Si une mère comme la vôtre est si tendre, qu’est donc Dieu, le meilleur des pères, à qui je remets ma vie!

5 novembre.

Je reprends aujourd’hui la plume, chère sœur, parce que j’apprends, que Mme Parangon va partir aussitôt le retour de mon frère. Il nous a quittés il y a trois jours, après environ quatre mois de séjour ici, qui ont été nécessaires pour rétablir sa santé; et nous ne l’avons vu partir qu’avec bien du regret! car il nous avait r’accoutumés à lui, ainsi que notre bon père lui-même, qui le voyant instruit, aimait à passer le temps à converser avec lui sur toutes choses nouvelles; si bien qu’on voit à présent qu’il le trouve à redire, car il va et revient sans cesse, s’arrêtant, en faisant le tour de l’enclos, dans les endroits et sous les arbres, où lui et Edmond s’asseyaient, et on dit qu’on lui a vu les larmes aux yeux. Mais il faut, chère sœur, vous raconter le départ d’ici. Il y a huit jours qu’Edmond s’occupait à finir pour l’église de Perci-le-Sec un Saint-Paul, qui en est le patron, commencé depuis longtemps, quand un monsieur qui passait vint le demander à notre père. «Il est là, monsieur, qui travaille à la peinture d’un saint.» Et il l’y a conduit. Le monsieur a regardé le tableau, et il a dit: «Que fait monsieur ici? C’est un meurtre qu’il s’ensevelisse dans un village.» Et notre bon père, qui aime à tous notre avantage, s’est aussitôt enflammé, et il a dit au monsieur: «Oh! il n’y restera pas!» et le monsieur s’en est allé, après avoir dîné à la maison, où il a beaucoup parlé des peintres, dont il nous a conté des histoires, que vous devez bien savoir, très chère sœur, étant à la source. Et depuis ce moment, notre père n’a fait que parler du départ d’Edmond dont il semblait s’éloigner auparavant; et on voyait qu’Edmond n’en était pas fâché: ce qui a fait soupçonner à mon mari, que ce monsieur pourrait bien être venu de concert avec lui, ou tout au moins avec M. Gaudet; ce qui serait assez fin d’une part, et marque d’amitié de l’autre: car enfin Edmond est à présent pour la ville, et la ville est pour lui. Tout s’est donc préparé pour son départ et notre bonne mère s’est mise à se dépêcher de lui mettre tout en bon ordre; les jours n’étaient plus assez longs, et elle nous faisait toutes veiller bien tard, aussi Brigitte, un soir qu’elle avait bien envie de dormir, s’est-elle mise à lui dire, en son style que tu connais: «Mon Dieu, ma mère! on dirait que vous avez hâte que mon frère Edmond s’en aille, que vous nous faites tant dépêcher!» Et voilà que la pauvre bonne mère s’est arrêtée tout court.»T’as raison, mon enfant!» Et les larmes lui sont coulées grosses des yeux. Mais elle s’est remise à l’ouvrage, en disant: «Mieux vaut se dépêcher, et le voir une heure de moins, qu’il ne lui faille quelque chose, quand il n’y sera plus, à ce pauvre enfant!» Enfin, le triste jour est venu bien vite; et le soir de la veille, vers la nuit, mon mari est entré, et a dit à notre, père: «Mon père, la carriole est prête; vous plaît-il venir voir si rien n’y manque? – Je m’en rapporte bien à toi, Pierre; tu es mon fils attentif à tout, et je n’ai su encore du depuis que tu es mon aide, te trouver en défaut; outre que tu as travaillé pour ton ami. – Oh! oui! mon père, vous l’avez dit: mon ami, autant que mon frère. – je le sais bien, mon Pierre, et il m’est bien doux de le dire, en ce moment, où va venir la séparation!» Et notre bonne mère écoutait tremblante et pâle, comme si on lui eût appris une nouvelle inattendue: et il faut dire que tous nous étions de même. Et Edmond l’a vu, et il a été embrasser notre mère, puis moi, en me disant: «Chère sœur, je ne vais pas loin, ma mère le sait; et j’espère revenir ici, à la belle journée que vous nous préparez.» Ce mot qu’il a dit là, a bien fait, car notre père a souri, et notre bonne mère m’a dit: «Il songe à tout, et m’y fait songer, ma chère fille! que Dieu le bénisse!» Et elle a paru un peu consolée, car elle a dit: «Nous avons plus reçu de biens de la main de Dieu, que nous ne méritons; pourquoi n’en recevrions-nous pas les maux?» Cependant notre père a été voir la charrette couverte, et y a mis la main, quoique tout fût bien arrangé, voulant avoir travaillé pour son fils; et il parlait à son aîné ni plus ni moins que si c’eût été son camarade, lui disant toi, et se familiarisant, sans mot de fils, ni autre: mais à Edmond, il lui disait vous, et répétait avec complaisance le mot de mon fils, plus souvent que de coutume, et que le discours ne semblait le demander. Je prenais plaisir à voir tout cela, chère sœur; car c’est un doux et agréable spectacle, que la bonne union d’une famille! Et puis notre mère est venue aussi voir la charrette couverte, et ce qui était dedans pour asseoir son fils, et mon mari lui a dit: «N’y manque-t-il rien, ma mère? – Oh! non, mon fils, et ton pauvre frère sera bien en s’en allant.» Et cet en s’en allant-là, n’a pas été sans un sanglot. Et puis on est venu se mettre à table pour souper. Chacun était triste et gardait le silence, au point que mon mari, qui est ferme, comme tu sais, a laissé couler une larme, qu’Edmond a vue le premier, et il s’est jeté à son cou, sans rien dire; et quand ils se sont quittés, tous deux étaient en eau: ce qui a tellement attendri notre bon père, que les larmes lui roulaient dans les yeux, et montrant ses deux fils à nous tous, d’un geste sans parole, sa noble et vénérable figure m’a paru celle d’un dieu, comme dit souvent Edmond, en parlant de lui. Et notre bonne mère regardait ainsi son digne mari, avec admiration, et comme si elle eût été non sa compagne de trente ans et plus, mais sa fille. Et pas un mot de parole, pendant tout ça; nous n’avions que des bondissements de cœur, sans rien trouver à dire, qui pût exprimer nos pensées. Et voilà que Pierre, mon honorable mari, comme le plus ferme a parlé le premier: «Edmond, mon cher et aimé frère, que je vais cesser de voir, et non d’avoir présent, car je te porte là, comme uni avec toi de corps et d’âme, telle est la volonté de Dieu, que notre joie, notre bonheur et notre honneur soient en toi; ainsi que la satisfaction, repos et tranquillité de vieillesse de nos chers père et mère; gardes-en le dépôt, et le conserve; et quand tu verras l’autre toi-même d’un autre sexe, image de notre bonne mère, comme tu la portes sur ton visage, de notre excellent et vénérable père, dis-le-lui, et songez tous deux, que vous êtes la partie de nous-même qui est à la ville, et que tout ce que vous y ferez de bien, nous le ferons, et que tout ce que vous y feriez de mal, nous le ferions aussi, et en porterions la honte et la peine: mais non, non! aucun mal ne sortira de mon aimable frère, image de mon père; ni de mon aimable sœur, image terrestre de ma mère, et ils seront à leur façon à la ville, ce que sont ici leurs vénérables et saints modèles. Amen.» Dès qu’il a eu dit Amen , tous, et moi aussi, nous sommes écriés Amen, amen! et notre père s’est levé priant. Ensuite il a dit: «Mon fils Pierre, vous venez de bien et dignement parler, et je bénissais à l’instant Dieu de m’avoir donné un fils tel que vous: mes enfants, voilà votre second père, quand je ne serai plus; et moi-même je le regarde comme l’image de Pierre R**, mon digne père, et je le respecte à cet égard, quoique mon fils. Edmond, mon ami, ainsi que l’est ton frère aîné, tu vas nous quitter! que Dieu te bénisse, mon fils, et qu’il inspire à ton bon cœur de dignes sentiments, qui fassent ton bonheur en cette vie, par l’estime des honnêtes gens, et en l’autre, devant le Dieu de miséricorde. Amen .» Ensuite il l’a embrassé, en le serrant contre son sein paternel, et lui disant: «Porte ce paternel embrassement à Ursule quand tu la verras, et dis-lui, que l’éloignement d’un enfant, ne fait que rendre plus sensible le cœur d’un bon père: qu’il aime tous ses enfants, mais au double dans l’absence.» Et le bon vieillard n’a pu retenir ses larmes, et il a même sangloté, en disant: «Ces larmes sont amères!» Puis il a pris lui-même Edmond, et l’a mis dans les bras de notre bonne mère, à qui il a dit: «Femme, voilà votre fils; bénissez-le aussi.» Mais la bonne et excellente femme n’a répondu que par un long sanglot, qui nous a déchiré l’âme; et ensuite elle a dit: «N’ai-je donc mis au monde mes chers enfants, que pour m’en séparer!… – Il le faut, ma femme. – Oui, mon mari; mais excusez ma douleur; c’est celle d’une mère qui quitte son fils, et qui a quitté sa fille. – Il nous en reste, ma femme, et de dignes. – Sans eux, mon cher mari, et sans vous, y serais-je encore!» Et elle a baisé Edmond deux fois, en lui disant: «Cher fils, comme a dit ton père, l’absence te fera aimer au double des autres: dis bien à ta sœur, que sa pauvre mère, à chaque fois qu’elle voit ses chers enfants, les compte comme le bon pasteur son troupeau, et qu’elle dit, il me manque Ursule, et que c’est à chaque fois un coup de poignard dans son pauvre cœur. Oh! oh! je dirai, à présent tous les jours de ma vie: Il me manque Edmond! Il me manque Ursule! et je dévorerai mes larmes, pour ne point attrister ni le père ni mes autres enfants, que Dieu bénisse, car ils sont bons tous, tous, et l’aîné est la bénédiction du Seigneur sur nous; c’est le fruit de la bénédiction, que l’honorable Pierre donna à son fils, votre père, mes chers enfants, la veille de notre mariage.» Et il a semblé que ces mots l’aient consolée: car la bonne et excellente femme s’est levée sereine, et elle a dit: «Allons, mes enfants, voyons si nous n’oublions rien pour votre frère, car demain matin, on sera trop pressé pour y songer.» je passe les petits détails, chère sœur. Et le lendemain, dès le matin, notre père, qui s’éveille toujours de bonne heure, s’est levé doucement, et il a été éveiller Edmond; car mon mari était debout, et déjà prêt, et puis, sans que qui que ce soit que moi les ait entendus, ils sont sortis de la cour, les roues de la carriole roulant sur du fumier que mon mari avait répandu jusque dehors; si bien qu’on ne l’a pas entendue: notre bon père a monté dedans, et je me suis trouvée à la porte du pressoir, où j’ai tendu les bras à Edmond; qui s’est jeté à terre pour me venir serrer contre son cœur.»Ursule, lui ai-je crié, Ursule!» C’est tout ce que j’ai dit; car son père le rappelait. Et ils sont partis. Je ne me suis pas recouchée; j’ai été à la porte de notre bonne mère, où j’ai attendu assise qu’elle s’éveillât. Ça n’a pas tardé d’une demi-heure; je l’ai entendue se lever et parler. Aussitôt je suis entrée.»Déjà vous, ma fille! en votre état! il fallait reposer: je m’en vais l’éveiller.» Je la retenais embrassée: mais elle a été au lit d’Edmond, dans la petite chambre, et elle y a tâté.»Il est levé! le lit est froid! il y a longtemps! – Ma bonne mère, ils sont… – Partis!… ah! je ne verrai plus mon fils!…» Et elle est quasi tombée sans connaissance. Tous nos autres frères et sœurs, qui l’avaient entendue, sont venus, et, ils lui ont dit un mot de moi. La bonne chère femme! elle s’est rassise tout de suite, et elle a tâché de rire, en m’embrassant. Je lui ai dit tout bas: «Il vaut mieux pleurer, si vous en avez envie. – Oh oui! ma chère, chère bru!» Et elle a pleuré; et quand le jour a été grand, elle a été regarder partout, comme si elle l’y eût dû trouver. Enfin notre bon père est revenu, et elle a été à sa rencontre, en lui disant assez posément: «Sont-ils loin? – Bien à Saint-Bris, ma femme, et votre fils aîné, à son retour, vous rendra compte de l’heureux voyage.».