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Lettre 152. Edmée, à Fanchon.

[Elle nous parle en bien d’Ursule, demandant qu’elle tienne son enfant, et nous fait le tableau du bonheur de leur double ménage.].

12 mai.

Ma très chère sœur,

Je vous écris pour vous dire que la chère sœur Ursule, qui est arrivée ici avec Mme Parangon, comme vous le savez, me refuse de tenir l’enfant que je porte, et qui, s’il plaît à Dieu, et s’il est un garçon, portera le nom du cher frère absent, dont il y avait si longtemps que nous n’avions eu aucune nouvelle, personne ne nous en voulant donner. Vous savez pourtant que mon mari aime bien son frère Edmond: et quant à moi, je n’oublierai jamais que je lui dois le contentement que j’ai, d’avoir un bon mari, doux et honnête homme, et un bon beau-frère; si bien que ma sœur et moi nous lui sommes redevables de tout ce que nous avons de bonheur. C’est par cette raison, et par rapport à elle-même, que je voudrais que la chère sœur Ursule tienne l’enfant que je vais mettre au monde, et qu’elle lui impose le nom du cher frère avec qui elle a été depuis si longtemps. Je ne sais pas ce qu’elle m’a été dire, qu’il lui fallait pour cela le commandement de nos chers père et mère, attendu qu’elle se croyait par elle-même indigne de nommer un de leurs petits-enfants. Je lui ai dit là-dessus que frères et sœurs étaient tous dignes les uns des autres. Et elle m’a répondu que cela n’était pas toujours vrai. Je vous écris donc, très chère sœur, et par l’amitié que je vous porte, et parce que vous êtes la femme de l’aîné, pour que vous ayez la bonté d’avoir le commandement de nos père et mère, au sujet de ma demande.

Je vous dirai que la chère sœur vit dans une grande réserve et modestie, ne sortant qu’avec Mme Parangon, et vêtue comme elle d’un deuil simple: elle n’est pas d’une bonne santé pour le présent, paraissant languissante, et cependant elle a quelque chose de joyeux dans les traits du visage; comme se trouvant où elle se désire, qui est d’être avec Mme Parangon, car c’est une excellente dame, estimée ici de tout le monde. Mon mari et le frère Georget vont la voir de deux soirs l’un, et ma sœur et moi l’autre soir; et son entretien n’est qu’édification: ce qui montre bien la fausseté de certains bruits sourds qui avaient couru ici. Elle va, autant qu’elle le peut, à l’Hôtel-Dieu , servir les pauvres, et je pense qu’elle aurait comme envie de se faire hospitalière. Je ne la trouve plus si changée de ce qu’elle était que les premiers jours; car à peine ai-je pu la reconnaître, à la première fois: mais vous savez que je l’ai vue la moins de toutes nos sœurs. Mme Parangon m’a dit qu’elle contait de vous la mener, lorsqu’elle serait plus forte, et que je serai relevée; espérant que je pourrai les accompagner; ce qui est tout mon désir. Quant au très cher Edmond, notre sœur ne nous en parle qu’avec la plus grande réserve, disant qu’il est dans une grande ville bien dangereuse! et qu’elle nous recommande de ne pas l’oublier dans nos prières. Ce qui nous fait bien raisonner tous quatre, quand nous sommes réunis les soirs. Car nous n’avons que ces moments-là. Nos maris sont laborieux, et ne perdent pas un instant: aussi les petites affaires vont-elles assez bien. Notre bon père vit heureux dans sa grande vieillesse, et nous sommes contents autant qu’on peut l’être, n’ayant rien à désirer pour le bonheur que de voir nos chers enfants grandir et prospérer. Je ne vous le cache pas, chère sœur, et j’en remercie Dieu, qui fait tout pour le mieux, combien ne suis-je pas plus heureuse, avec mon cher mari, que si j’avais épousé celui qui a plus de mérite (comme notre Bertrand le dit lui-même); mais qui est trop destiné aux grandes choses, pour rendre heureuse sa ménagère. J’en embrasse quelquefois mon mari les larmes aux yeux, en le remerciant de m’être venu demander. Et si Catherine se trouve là, il faut la voir se donner le mérite de tout, et s’applaudir toute seule; mais si bonnement, qu’on ne saurait s’empêcher de l’en aimer mieux. C’est une bonne sœur, et plutôt mère que sœur à mon endroit. Que Dieu la bénisse! Pour notre Georget, il ne songe qu’au travail; à peine nous parlerait-il de lui-même: mais il n’est pas maussade, et répond bonnement quand on lui parle. Je ne sais pas si la chère Ursule et le très cher Edmond ont trouvé plus de bonheur que nous, tout partout où ils ont été dans le grand monde, et les grandes compagnies: mais ce que je sais, c’est que tous ceux qui nous connaissent nous trouvent heureux. Je me plais à vous écrire ces choses-là, très chère sœur, sachant combien vous nous aimez, et combien elles vous plairont, et combien elles plairont à nos chers père et mère que nous respectons et honorons comme l’image du Bon Dieu à notre égard, nos deux maris, ma sœur et moi. Car jamais on ne prononce le nom de mon père ou de ma mère R**, chez nous, que le frère Georget ne se découvre avec respect, et que mon Bertrand ne dise: «Dieu les bénisse .» Et ma sœur imite son mari, et fait une révérence: quant à moi, j’imite le mien, et je dis: «Dieu nous les conserve .» Et c’en est de même de notre père Servigné. Et il faut l’entendre lui, quand on nomme son frère et sa sœur de S**, comme il les appelle; il marque sa joie à sa manière, et tout en disant: «Dieu les bénisse » comme mon mari, il se fait verser un verre de vin, et les salue tous deux comme s’ils étaient présents, disant: «Et que ne puis-je les saluer là! Oh! le bon homme! oh! la bonne femme, que m’a fait connaître Edmond! Car c’est à lui que je dois leur connaissance, et mes deux gendres, qui sont tels, grâces à Dieu! qu’en me les faisant faire exprès, je n’aurais pas si bien fait. Mais ils ont de qui tenir. On ne saurait être que bon, sortant de si bons père et mère .» Et la première fois qu’il dit ça, Georget se prit à pleurer de joie, en lui disant: «Et vous aussi donc, ainsi que votre femme, vous êtes bons, puisque vous nous avez donné de si bonnes femmes!» Ce qui fit tressaillir mon père.

Voilà mon papier rempli, ma très chère sœur; je me suis fait scrupule d’y laisser un peu de blanc en vous écrivant, à vous à qui j’ai toujours tant à dire. Je suis avec une tendresse de sœur et d’amie,

Votre, etc.