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Lettre 150. Réponse de Fanchon.

[Ma femme lui raconte tout ce qui s’est passé, à son sujet à la maison paternelle.].

15 mars, jour de la Vierge.

Ma très chère sœur. Votre lettre a été pour nous comme un phénomène du Ciel, et je l’ai longtemps tenue, connaissant votre écriture, après l’avoir tirée de la poste, que la main me tremblait, et que le cœur me battait, sans que j’eusse la force ni l’envie de la décacheter. Je la tenais dans mes mains, en venant de V***, courant presque malgré moi, comme pour la montrer à mon mari. Mais quand j’ai été au Moulinot , tout essoufflée, il m’est venu en pensée qu’il la fallait lire, et que peut-être vouliez-vous que certaines choses ne fussent vues que de moi. Je l’ai donc décachetée, assise sous le noyer de Thomas Dondaine , et j’ai cherché à voir quelque chose, toute tremblante, n’osant lire, ni le commencement, ni la fin, ni le milieu: la tenant loin de mes yeux, pour que quelque heureux mot parût, qui me donnât la force de lire. Et le premier que j’ai vu, c’est: «Je suis prête à m’immoler au Seigneur en holocauste, fut-ce sur un bûcher, pour obtenir de sa paternelle bonté qu’il verse dans leurs cœurs, la joie que j’en ai bannie!…» Et j’ai levé au Ciel mes yeux pleins de larmes, disant au Seigneur: «Béni soyez-vous, mon Dieu! car voilà un bon mot!…» Et j’ai lu le commencement, qui m’a fait tressauter. Et je me suis récriée: «Oui, oui, elle a encore un père, et une mère, et des frères, et des sœurs, et une belle-sœur qui l’aiment …» Car je ne comprenais pas le sens de ces paroles, que je croyais un reproche. Et j’ai lu tout du long, dévorant les lignes et les paroles, et suffoquant à chaque mot. Et j’ai fini, toute hors de moi, et me levant ensuite, j’ai couru vers chez nous, jusqu’à ce que j’y sois arrivée. Et j’ai rencontré en chemin des femmes du pays, qui me voyant courir en pleurs, m’ont dit: «Vous courez bien vite, ô Fanchon? est-ce qu’il serait arrivé quelque malheur?» Et je ne leur ai rien répondu, que d’un signe de la main, leur faisant à entendre que j’avais hâte. Et j’ai trouvé à l’entrée de la maison, mon fils Edmond, et ma petite Barbe-Ursule, que nous n’appelons qu’Ursule, qui m’ont dit: «Ô maman! comme vous avez bien chaud!» Et je ne leur ai pas répondu; mais les embrassant seulement, et surtout ma petite, j’ai couru chez nous, où arrivait votre frère, mon mari, de la charrue du matin; car la lecture de la lettre m’avait retardée. «Il ne fallait pas si vite courir, ma pauvre femme, m’a-t-il dit, et risquer à te faire malade!», Mais sans lui dire une parole, je me suis jetée à son cou. Et il a dit: «Qu’est-ce que c’est? qu’est-ce que c’est, ma chère femme?» Et je lui ai donné la lettre. Il l’a regardée; et j’ai vu qu’il tremblait tout comme j’avais tremblé, n’osant lire: pourtant il s’est vite remis; et il a lu tout bas jusqu’à la fin, cognant à tout moment ses larmes, qui coulaient et voulaient couler. Et quand il a eu fini, il a dit: «Dieu soit béni!…» Sans ajouter aucune autre parole. Et il s’est assis, rêvant, pendant que je préparais le dîner. Et à l’instant où le dîner allait être prêt, il m’a dit: «Ma femme, je vas monter avant dîner, chez mon père et ma mère, à celle fin de leur montrer cette lettre de repentance; n’y venez-vous pas avec moi?» Et j’y ai été avec lui. Et quand nous sommes entrés, notre bon père et notre chère mère allaient se mettre à table; en nous voyant, ils ont dit: «Voici nos enfants qui viennent dîner avec nous: les bienvenus soient-ils!» Et notre bonne mère s’est levée pour augmenter le dîner. Et mon mari a présenté la lettre à son père, qui l’a prise, et a regardé son fils, comme pour lui demander, de qui? Et ayant mis ses lunettes, il a vu l’écriture, et ses mains vénérables ont défailli, comme si la lettre eût été un poids trop pesant pour elles; et il la regardait silencieusement, les yeux baissés. Alors mon mari lui a dit: «Lisez, mon père; car il y a un peu de consolation mêlée à la peine, et votre fille Ursule est encore votre fille; et le Seigneur n’éconduisit pas la femme adultère, non plus que la Cananée.» Et notre père a lu bas, pendant que notre bonne mère, immobile comme une statue, pâle, tremblante, restait debout, sans presque respirer. Et quand il a eu lu, notre père a dit: «Sont-ils là tous les enfants du malheureux père et de la malheureuse mère?» Et tous y étaient, car mon homme les avait fait avertir. Et ils ont répondu: «Nous voici tous, mon père.» Et le vénérable vieillard a recommencé de lire tout haut la lettre, s’arrêtant à chaque pose: et chacun de nous sanglotait, occupé de sa douleur, quand notre bonne mère, restée toujours debout, est tombée de sa hauteur comme morte. Heureusement son fils aîné s’est trouvé là, pour empêcher que sa tête ne portât à terre, et il l’a posée sur sa chaise, où elle a repris un peu ses sens. Et notre père l’a regardée, en lui disant: «Ma femme, le Seigneur nous a frappés par les objets de notre orgueil et de notre vanité folle; résignez-vous à sa justice, comme à sa miséricorde, et bénissez son saint nom: car il ne faut ni découragement ni désespoir, mais confiance et soumission: il est le Dieu juste, qui punit et qui châtie, comme le Dieu bon, qui récompense et qui bienfait; mais qui relève un jour l’humble et le repentant. Cette lettre est belle, et je la trouve contenant les sentiments qu’il faut, pour effacer de grandes fautes! par ainsi, prenez plutôt part à la joie des anges dans le Ciel, pour une pécheresse qui fait pénitence, que de vous livrer à la douleur pour votre drachme perdue; car elle se retrouve, Dieu merci! – Ah! Dieu le veuille! a dit notre bonne mère: mais que ma fille, le fruit de mes entrailles, ait été ce qu’on dit! c’est ma douleur éternelle!» Et notre père a dit: «Ma femme, pleurez votre fille, car l’âme d’une mère tendre qui fut toujours en vous, se console avec des larmes; mais mettez votre confiance dans le Seigneur: car le saint homme Job, pour chose qui lui soit arrivée, donc ne l’a maudit, comme le lui suggérait Satan, qui le tentait avec la permission de Dieu; au contraire il l’a béni, à chaque malheur, même étant affligé en sa chair d’une honteuse et cruelle maladie, nettoyant ses plaies avec des têtes de pots cassés, assis qu’il était sur un fumier. Par ainsi, soumettez votre douleur et vos larmes au maître de tout. Car il y a de belles choses dans la lettre de votre fille, et le Seigneur a une grande miséricorde pour les grands pécheurs et les grandes pécheresses. Et il a relu la lettre, appuyant sur chaque parole, et sanglotant lui-même, comme jamais nous ne l’avons vu sangloter. «Mais c’est Edmond! a-t-il dit enfin! Mon Dieu! rendez-nous Edmond?» Et sa voix devenait si forte, et si déchirante, en disant, Mon Dieu! rendez-nous Edmond! qu’il nous semblait rebramer et mugir; et nous étions quasi transis, aucun de nous n’osant lever la vue, et chacun pleurant les yeux baissés. Puis il s’est tu, et a rendu la lettre à son fils aîné, après avoir regardé l’adresse, lui disant de me la remettre. Et mon pauvre homme me l’a remise, disant: «Ma femme, notre père vous remet la lettre qui vous est adressée.» «Fanchon Berthier, a dit notre père (et c’est la première fois qu’il me nomme de mon nom de famille), serrez cette lettre, et qu’elle ne voie plus le jour; mais conservez-la; car elle est le cri et la lamentation d’une pauvre abandonnée, que le Seigneur regarde en sa pitié et miséricorde: partant, il ne faut pas qu’aucun étranger la voie pas même tous vos frères et sœurs, car il faut la taire à ceux d’Au**: et mettons-nous à table.» On s’y est mis; mais à l’exception des plus jeunes, personne n’a presque rien mangé: et un chacun s’est bientôt levé de table, s’en allant mornement à son travail. Et quant à ce qui est de notre pauvre père, il y a été aussi, épierrer le champ de derrière le jardin: et comme il jetait les pierres dehors, on l’a entendu pousser des soupirs et des sanglots. Et tout un chacun disait dans le village: «C’est qu’Ursule ou Edmond sont morts; car leur père est en grande douleur!» Voilà, ma très chère sœur, pour la réception de votre lettre. Et il me reste à présent à vous dire ce qu’on m’a enchargée de vous répondre.

Et d’abord notre vénérable père lève de sur vous toutes les malédictions qu’il vous avait données, comme je compte de vous le dire par ci après; et il me recommande de vous marquer qu’il est toujours votre père, et qu’on vous recevra ici comme l’enfant prodigue, en célébrant votre retour comme une fête, sans pas plus parler du passé, que s’il était non avenu. Et notre bonne mère m’en charge de vous écrire de sa part qu’elle vous porte dans son cœur, comme sa fille, tout ainsi qu’elle vous a portée dans son flanc, avant que vous vissiez le jour; et qu’elle pleurera de joie en vous revoyant, comme elle a pleuré de douleur aux tristes nouvelles. Et notre bon père et notre bonne mère se réunissent en ce moment (car ils me regardent écrire), pour me dire et dicter ces propres paroles: «Et à qui donc pardonnerons-nous, si ce n’est à nos enfants?» Et quant à ce qui est de mon mari, Pierre votre aîné, voici ses paroles: «Ma pauvre chère sœur, image de notre mère dans sa jeunesse, et par ce, si aimable et chère à nos yeux, revenez, je vous en prie, vers votre pauvre famille, qui verra en vous, non une coupable, puisque par votre belle pénitence et vos beaux sentiments, vous êtes plutôt une sainte à ce jourd’hui, mais le jouet du sort et de la méchanceté d’autrui… Quant à mon égard, ma chère Ursule (dit-il), je ne te reverrai qu’avec respect, contemplant en toi une fille malheureuse, illustrée par son malheur, et que Dieu a rappelée à lui, peut-être plus sûrement, que si, sans aucun écart, il t’eût fait marquise, et la protectrice de notre famille. Par ainsi, chère sœur, laisse entrer dans ton pauvre cœur le baume de la consolation. Et sur ce, je t’embrasse.» Pour à l’égard de nos autres frères et sœurs, un chacun d’eux et d’elles m’en chargent de vous dire qu’ils adoptent en tout le discours de leur aîné, comme exprimant leurs véritables sentiments. Et pour à mon égard à moi, ma chère Ursule, je ne saurais que je ne sente se fondre mon pauvre cœur, quand je me rappelle notre tendre amitié de jeunesse, toujours entretenue; si bien que de toutes vos sœurs et belles-sœurs, toutes méritantes, c’est moi que vous avez choisie pour votre confidente et correspondante ici. Aussi tel est mon vœu, qu’il n’y a pas de minute dans le jour où je ne vous aie désirée depuis un si long temps: et quand j’entendais me parler de vous, je ne le pouvais croire, et bouchais mes oreilles, pour ne pas entendre le mal: et je ne crois aujourd’hui que votre lettre. Mais aussi, loin de vous honnir et mépriser, quand je viens à songer à toutes vos perfections, je me jette à genoux, et me récrie à Dieu: «Ô mon Seigneur! grâces vous sont dues si je ne suis pas pire; car je ne valais pas Ursule, et tout ce que je vaux, je le dois à la faveur que vous m’avez faite de me donner un bon mari, et de me garder au village! à la ville, ô mon Dieu! que serais-je devenue!» Voilà pour la réponse, chère sœur: nous vous attendons; et s’il vous plaît nous marquer vos besoins, et même que mon mari courre vous chercher, il y courra: veuillez seulement nous donner vos ordres, à tous tant que nous sommes de frères et sœurs, et mettre votre entière confiance dans le tendre et bon cœur de vos père et mère. Et pourtant vous faut-il faire le récit de tout ce qui s’est passé ici à votre sujet, depuis votre cessation de lettres, de tous les discours qui se sont tenus par des étrangers, ainsi que des lettres qui nous ont été écrites à votre encontre et du très cher Edmond: et ce que vous venez de lire, sera un bon préservatif.