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Lettre 148. Réponse.

[On met Ursule à l’hôpital.].

1er octobre.

Ursule est placée; Edmond vous l’écrit. Notre séparation me serre le cœur. Quand elle a vu cette maison de honte, où le désordre emprisonné fermente et empire (ce sont les expressions d’Edmond), ses larmes ont coulé. Elle s’est penchée vers mon oreille, et elle m’a dit: «Je l’ai mérité!» Ce mot m’a frappée comme un coup de foudre, et mon cœur a battu. Cependant, je l’ai consolée, en lui disant: «Vous n’êtes pas ici prisonnière; vous êtes libre et pensionnaire; vous avez votre chambre seule, propre; vous sortirez quand il vous plaira, pour prendre l’air hors de la maison, et vous aurez une. femme pour vous servir: je l’ai vue, elle est fort adroite et fort douce. Votre nourriture sera celle des officières; sans compter que vous aurez de nous tout ce qui vous fera plaisir. Enfin, vous vous rétablirez: cela sera long; mais votre médecin espère tout du temps, et que ces difformités disparaîtront enfin tout à fait, ou du moins presque entièrement.» Elle m’a baisé la main, à ce discours, en me répondant: «Laure, je suis difforme; mais ma maladie a changé mon cœur: je m’aime mieux comme je suis, qu’avec l’âme que, j’avais. Mais ne verrai-je pas Zéphire?» je lui ai dit que nous nous étions cachés d’elle, parce qu’elle s’opposait à notre plan, sans avoir de bonne raison à nous donner; puisqu’elle n’aurait pu la mettre que chez sa mère; ce qui était son dessein. «Non, non! a dit Ursule; et vous avez bien fait de vous cacher d’elle. J’aime Zéphire: mais plutôt tout autre lieu, que d’être chez sa marâtre. Que ne peut-elle la quitter!…» Nos adieux ont été bien tristes! Edmond surtout paraissait enseveli dans une rêverie profonde, dont rien n’a pu le tirer, que les larmes d’Ursule. Il l’a regardée, et se levant avec vivacité, il a fui, en se retournant avec effroi, comme s’il eût été poursuivi par un spectre; nous l’avons entendu pousser de profonds soupirs, et le père gardien, qui remplit parfaitement vos intentions, s’étant avancé pour le découvrir, il nous a dit qu’il était appuyé contre le mur, les deux mains jointes et son front dessus. Ursule a voulu le voir. Elle l’a prié de modérer sa douleur. Il ne lui a pas répondu; mais nous avons tous entendu sortir de sa bouche, à travers les sanglots, ces paroles «Ô misérable! voilà donc où tu as réduit ta sœur!» Il s’est ensuite tourné vers nous, le visage en pleurs; il nous a considérés d’un air farouche; puis il a descendu l’escalier précipitamment. Cette douleur, cet adieu sombre ont plus fait pour résigner Ursule, que tout ce que nous lui avions dit. Le père gardien a été parler aux supérieures; il leur a fait l’éloge d’Ursule, et sans mentir, mais en joignant habilement deux époques, très décousues, il a parlé du viol d’Ursule, et de sa maladie, comme si la seconde eût été la suite du premier. Il ne s’en est pas tenu là; il a, par vos ordres sans doute, augmenté la pension de tout ce qu’on a demandé, pour qu’Ursule fût aussi bien qu’il est possible. Il est ensuite revenu vers nous, et il l’a priée de ne faire ses confidences à qui que ce fût dans la maison. Je suis très contente de ce bon gardien; il était animé de votre esprit, et vous n’auriez pas mieux fait; outre que sa figure vénérable donnait beaucoup de poids à ses discours. Zéphire ne parle de lui qu’avec attendrissement, depuis qu’il a secouru Edmond dans sa maladie avec tant de zèle, et qu’il l’a comparée, elle, à la Samaritaine. Enfin, nous sommes sortis de cet endroit, qui m’a si fort déplu que je préférerais la mort à le choisir pour asile.

Je vois rarement Edmond depuis ce moment, et Zéphire elle-même se plaint qu’il la néglige. Peut-être voyez-vous plus clair que nous dans sa conduite!

Nota: Edmond, quoique Zéphire l’eût retiré de ses goûts crapuleux, qu’il respectât la vertu dans cette fille, ne travaillait point à épurer sa propre conduite, ni celle de sa maîtresse: non seulement il vivait avec elle; mais il se livra pour lors au goût des aventures difficiles, compliquées, multipliées, qui exercent l’esprit et les sens, au lieu d’intéresser le cœur; on le voit, dans le PAYSAN, mener jusqu’à trois intrigues à la fois: Gaudet le laissait se rassasier de jouissances, pour faire un jour succéder l’ambition, et la rendre plus puissante; mais on a vu dans le PAYSAN, ce qui en est arrivé.