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Lettre 133. Ursule, à Edmond.

[Petit commencement de retour: hélas! que le vice nous abaisse!].

27 mai.

J’avais jeté mes plumes, brisé mon écritoire; je ne voulais plus écrire: une véritable prost… n’écrit pas, elle a bien autre chose à faire!… Je récris aujourd’hui. J’ai vu un ange, j’ai vu Zéphire. Il y a deux mois que tu me l’envoyas, avec tout ton argent: elle y joignit tout le sien, et nous meubla. J’ai travaillé le plus que j’ai pu, et j’ai rendu aujourd’hui à cet ange céleste, qui refusait de recevoir, mais que j’ai forcée, en lui jurant que j’allais gourmer, si elle ne recevait pas… Je lui en ai demandé pardon ensuite, je me suis mise à ses genoux, j’ai baisé ses belles mains (comme je les ai eues!) mais avec modération, mon haleine et mes lèvres ne sont pas pures. Que j’avais de plaisir à adorer la vertu dans ma pareille! dans une prostituée!… Mon cœur se dilate; il bondit, je le sens bondir, en t’écrivant… Une prostituée m’offre l’image chérie, mais que je redoutais de voir dans toute autre, de la modestie dans la mise, dans les discours, dans les actions! d’un cœur pur, pur comme son haleine: d’une âme belle, grande, généreuse (comme je l’eus, hélas!), d’un sourire aimable, enfantin, mignard (comme je l’eus), point défiguré par le tiraillement de la rage, tel qu’est aujourd’hui le mien et celui de mes compagnes… Ah! deux sources de larmes… Je n’y vois… plus… mes yeux se fondent… Oh! oh! mon pauvre cœur! mon pauvre cœur!… Ô mes parents!… Zéphire aime sa mère… Eh! quelle mère! Une mère comme moi, une infâme!… Zéphire, bonne, tendre fille, battue par elle, prostituée par elle, trompée, vendue par elle avant l’âge de onze ans, Zéphire dit: «C’est ma mère: je ne veux plus être ce qu’elle veut que je sois; mais son chagrin me déchire le cœur: je donnerai ma vie pour elle, mais non ce qu’elle veut.» Et moi, qu’ai-je fait à la mienne? à la mienne, si bonne, si tendre, qui s’ôtait le nécessaire, pour me donner le superflu; qui me portait dans son vertueux cœur!… Ô ma mère!… ô mon père!… mon vénérable père!… Mon père!… Ah! ces deux noms me déchirent le cœur!… Furies, laissez-moi du moins écrire à mon frère la douleur qui me déchire le cœur! Furies, vous n’y perdrez rien!…

Viens me voir; mon cœur s’attendrit; je t’écouterai viens; je péris – viens; peut-être sera-ce pour recevoir mon dernier soupir.

(Il y a toute apparence qu’Edmond n’y alla pas: il la fuyait alors; la vue de son infortunée sœur le déchirait de remords.).