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Lettre 87. Gaudet, au Marquis de***.

[Il veut perdre Ursule tout à fait.].

Même jour.

Monsieur,

À l’instant où vous recevrez ma lettre, vous serez fort agité, sans doute, et vous croirez qu’Ursule est perdue? C’est tout le contraire. Il n’est pas possible qu’une fille d’esprit comme elle supporte deux jours de suite le tête-à-tête d’un Lagouache, faraud du dernier ordre, brutal, et capable, au bout de vingt-quatre heures de la traiter en fille. Ursule est à vous, après cette escapade, si vous savez vous y prendre. Mon conseil serait qu’après avoir découvert la fugitive (ce qui ne sera pas difficile), vous la fissiez cacher avec son frère dans une pièce, d’où elle pourrait entendre la proposition suivante, faite par vous à Lagouache: «Ah ça, mon ami, tu sais que j’aime Ursule: il s’agit de me la céder, que ce soit entre nous une affaire de finances?» Le sot vous répondra quelque bêtise, mais sûrement désagréable à Ursule que la bassesse révolte, parce qu’elle a l’âme haute et fière. S’il se fait; valoir, et qu’il vous dise l’équivalent du mot de Pécour, serrez-lui le bouton, et vous verrez bientôt le plat personnage. en venir à tout ce que vous exigerez. Il faudra que la manière dont il vous cédera Ursule soit bien insultante pour elle. Quand tout cela sera fait, montrez les plus belles, les plus; généreuses dispositions; et vous aurez enfin à souhait une fille parfaite, autant que femme peut l’être. Vous savez nos conventions pour le frère; c’est un jeune homme capable de tout: il faut le pousser. J’ai changé d’avis pour le militaire: cela aurait été bon, si vous eussiez fait la folie du mariage avec sa sœur! il aurait bien fallu illustrer votre paysanne par ce brillant jeune homme; car il aurait fait son chemin, je vous le jure; mais le frère de votre maîtresse serait déplacé, où votre beau-frère aurait été vu de bon œil. Je pense à la robe. C’est une autre carrière qui a ses illustres, et surtout un pouvoir, qui m’a souvent tenté: cela est sans prétention, et il n’y aura pas de déboire à craindre.

Pour revenir à Lagouache, je lui écris, ainsi qu’à Edmond. Je ne veux rien laisser à faire au hasard, et j’ai pour maxime ce beau vers de Lucain, cité par Voltaire, comme valant seul un poème épique:

Nil actum reputans, si quid superesset agendum.

Nous voilà dans la crise: ne perdons pas courage; quelques égratignures de plus que recevra la belle ne la déchireront pas.

je suis avec une respectueuse considération, monsieur le marquis,

Votre, etc.

P.-S. – Je ferai en sorte, au moyen de mes intelligences avec Marie, la nourrice, de prévenir tout ce qui pourrait blesser en rien votre délicatesse. Comptez là-dessus.