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Il jetait sur Louis XV des regards ardents où passait la flamme de sa jalousie.

Et ces regards, le roi les notait, les interprétait à sa façon.

– En somme, reprit Louis XV, vous êtes venu tout exprès du château à l’heure où tout le monde dort pour m’avertir de ne plus retourner à la maison des quinconces?

– C’est cela, Sire! Et si Votre Majesté eût été endormie, j’eusse supplié qu’on la réveillât pour que je pusse lui donner cet avertissement. Car j’avais juré de prévenir le roi sans le moindre retard.

Louis XV garda le silence. En dessous, il jetait parfois les yeux sur le chevalier qui, dans la plus correcte des attitudes, attendait d’être interrogé encore.

Tout autre à sa place eût pu réfléchir sur l’étrange froideur du roi et s’étonner de ne pas recevoir le moindre remerciement.

Mais d’Assas ne songeait à rien de tout cela.

D’Assas souffrait, voilà tout.

Il cherchait avidement sur le visage du roi les traces de cette beauté qui avait pu séduire Jeanne. Et naïvement, il se disait qu’en effet Louis XV était bien beau… plus beau que lui!

Ce sentiment de souffrance et de jalousie devint si vif, si intolérable, que le chevalier, voyant que le roi continuait à garder le silence, oublia toute règle d’étiquette, et, s’inclinant profondément:

– Maintenant que j’ai rempli ma mission, j’oserai supplier Votre Majesté de me donner congé et me permettre de me retirer…

– Un instant, monsieur, fit Louis XV d’une voix narquoise. Nous n’en avons pas fini. L’avertissement que vous nous apportez est vraiment trop important pour que je puisse le traiter à la légère. J’ai donc diverses questions à résoudre et je compte sur les lumières de votre dévouement si manifeste pour m’aider, pauvre roi que je suis, tout entouré d’embûches…

D’Assas tressaillit, et un peu de rouge monta à son front.

Cette fois l’ironie était si évidente qu’il n’y avait pas moyen de n’en pas être frappé.

Mais le jeune homme se contenta de dire très simplement:

– Je suis prêt à répondre aux questions de Votre Majesté autant qu’il sera en mon pouvoir de le faire.

– Voici donc la première, monsieur. Si au lieu d’être le roi j’étais un officier comme vous, monsieur, et qu’un tel secret tombât en ma possession, voici ce que je ferais… en supposant, bien entendu, que je fusse un fidèle et loyal sujet du roi: je m’en irais tout droit trouver le lieutenant de police qui se charge de protéger la personne royale. Comment se fait-il donc, monsieur, que l’idée ne vous soit pas venue de courir tout d’abord chez Berryer?

– C’est bien simple, Sire, dit d’Assas avec une glaciale froideur. C’est parce que je suis officier et non policier.

Le roi se mordit les lèvres.

Il se renversa sur le dossier de son fauteuil et considéra le chevalier avec cette impertinente curiosité qu’il eût mise à considérer un phénomène. Mais ce regard, d’Assas le soutint avec une sorte de simplicité grave.

– Un policier, monsieur! dit le roi dans la voix duquel la colère commençait à gronder. Quand il s’agit du service du roi, tout loyal sujet devient policier.

– Ce n’est qu’une affaire d’appréciation, Sire, dit froidement d’Assas. Pour les uns, le service du roi consiste à faire loyalement son devoir et au besoin à se faire tuer sur les champs de bataille…

– Jusqu’ici, ricana Louis XV, vous êtes vivant et bien vivant.

– Pour d’autres, continua d’Assas imperturbable, le service consiste à préparer des carrosses pour enlever des femmes. Cette manière est celle des policiers. La première, c’est la mienne, – et je la préfère!

À ces mots, le roi se leva, blanc de colère.

Ses lèvres remuèrent comme s’il s’apprêtait à jeter un ordre.

Mais, arrivant à dompter ce mouvement, sans doute parce qu’il ne savait pas tout ce qu’il voulait savoir, il se contenta de hausser les épaules, et laissa dédaigneusement tomber ces mots:

– Vous me paraissez, monsieur, peu au fait de la politesse des cours.

– En effet, Sire, riposta l’intraitable chevalier, je n’ai jusqu’ici vécu que dans les camps.

– Peu importe, après tout. Gardez votre manière de voir et gardez-là si bien qu’on n’en entende plus parler. Répondez donc simplement aux questions que j’ai encore à vous poser.

D’Assas s’inclina. Il sentait de la haine dans l’attitude et l’accent de ce roi qu’il venait sauver.

– Qui vous a prévenu du danger que je courais? reprit Louis XV.

Le chevalier garda le silence.

– Eh bien! monsieur… m’avez-vous entendu? le danger, l’avez-vous découvert tout seul?

– Non, Sire: je n’ai rien découvert, moi.

– Vous êtes donc envoyé par quelqu’un?…

– Oui, Sire. Par quelqu’un qui m’a supplié de courir au château sur l’heure même, pour sauver le roi… et qui m’a supplié avec des larmes dans les yeux… quelqu’un qui mourrait sans doute si un malheur vous arrivait!

Le roi tressaillit.

Ces paroles, le ton mélancolique avec lequel elles furent prononcées, la loyauté qui éclatait sur le noble front du chevalier, la tristesse dont son regard était empreint, tout cela lui donna le sentiment confus de son injustice.

Mais ce sentiment dura peu.

La jalousie furieuse qui grondait dans le cœur de Louis XV l’emporta.

– Quelle est cette personne qui s’intéresse si fort à moi? demanda-t-il.

– Pardonnez-moi, Sire. Votre Majesté m’en demande plus que je n’ai promis! Je me suis engagé à prévenir le roi qu’un danger grave, imminent, le menaçait et qu’il ne doit plus jamais retourner à la maison des quinconces. Je n’ai pas pris d’autre engagement. Je m’en tiendrai là!

Le roi fit un pas vers d’Assas.

– Et moi, dit-il, j’exige le nom de cette personne!…

– Le roi peut faire de moi ce que bon lui semblera: mais ce n’est pas moi qui prononcerai ce nom!

– C’est donc moi qui le prononcerai! fit violemment Louis XV. La personne qui vous envoie, c’est Mme d’Étioles!

La foudre tombée aux pieds de d’Assas ne lui eût pas causé une plus douloureuse stupéfaction.

Il demeura interdit, tout pâle, se demandant comment le roi pouvait savoir un pareil détail!

Non, il n’avait pas voulu dire qu’il était l’envoyé de Jeanne!

Cela était au-dessus de ses forces!

Qu’avait-il promis, en effet?

De sauver le roi, de le prévenir – rien de plus!

Prononcer le nom de Jeanne, n’était-ce pas lui dire:

– Voyez à quel point elle vous aime!… Et faut-il que je sois assez à plaindre pour que moi, moi qui l’adore, moi votre rival, je vous dise cela!…

Et le roi savait ce qu’il n’avait pas voulu dire!…

Et c’était lui qui jetait ce nom!…

La stupéfaction du chevalier devenait ici plus intense: en effet, ce n’était pas avec de l’amour et de la reconnaissance que le roi venait de prononcer le nom de Jeanne!

C’était avec de la haine!

Ou, tout au moins, il y avait une sourde menace dans son accent.

– Ah! ah! reprit le roi satisfait de l’effet qu’il avait produit et persuadé qu’il écrasait le chevalier, cela vous étonne que je sache déjà la chose?… Vous voyez que si votre manière à vous de servir le roi vous paraît la meilleure… l’autre manière, celle des policiers… a du bon également, puisqu’elle me permet de savoir ce que vous refusiez de me dire!

Et voyant que d’Assas gardait le silence:

– Voyons, monsieur, est-ce que je me trompe? Est-ce bien Mme d’Étioles qui vous envoie?

D’Assas s’inclina: il ne voulait pas mentir.

– Bien! reprit Louis XV. Il me reste à savoir à quel mobile Mme d’Étioles a obéi en vous envoyant… en me faisant parvenir ce message… singulier.

D’Assas commença à entrevoir un abîme.

Il trembla, non pour lui, mais pour Jeanne.

Dès lors, il oublia sa jalousie.

– Sire, dit-il avec étonnement, j’entends vos paroles et je ne les comprends pas!… Vous me demandez pourquoi Mme d’Étioles a voulu vous sauver?…

– Non pas, monsieur! Ne confondons pas! Je vous demande pourquoi Mme d’Étioles veut m’empêcher de retourner là où elle devait m’attendre!

– C’est la même chose, Sire!…