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– Voyons la condition, dit Juliette toujours sur ses gardes.

– C’est que vous obéirez comme par le passé aux ordres que je vous donnerai…

– Et si je refuse?…

– Alors, ma chère enfant, dit froidement M. Jacques, je me verrai contraint de faire parvenir entre les mains du roi certaine déclaration que vous avez écrite entièrement de votre main et dans laquelle vous reconnaissez quel est votre nom, quel fut votre métier et avouez que ce fut par suite d’un vol de papiers que vous avez pu vous faire passer pour une dame de noblesse.

Juliette haussa légèrement les épaules et répondit:

– Vous ne ferez pas cela.

– Je ne le ferai pas?… Qui m’en empêchera?…

– Votre propre intérêt… Si vous me dénoncez, le roi me chasse honteusement, il est vrai… mais vos projets à vous… ces projets que je n’ai pu encore faire aboutir, car je ne suis pas favorite toute-puissante… vos projets tombent du même coup… tous vos plans sont détruits…

Vous voyez donc bien que vous ne ferez pas cela… Cette menace arrive trop tôt… je ne vous ai pas encore rendu les services que vous attendez de moi.

– Soit, dit M. Jacques, qui se mordit les lèvres en voyant que décidément il avait affaire à forte partie; soit, je renoncerai à mes projets… je chercherai un autre instrument, s’il le faut… mais vous, vous serez perdue…

– Ah! si vous saviez combien il m’importe peu!…

– Songez-y, ce n’est pas seulement la perte d’une situation unique… c’est peut-être l’échafaud qui vous attend… Qui sait comment le roi prendra la mystification que vous lui aurez infligée…

– L’échafaud ne m’effraye pas… j’ai fait le sacrifice de ma vie…

– Vous renoncez à la faveur du roi?

– Je renonce à tout… Si vous m’aviez laissée parler, je vous aurais dit que je veux reprendre ma liberté… que je renonce à ce titre de maîtresse du roi… que vous ne devez plus compter sur moi pour continuer le rôle que j’ai joué jusqu’à ce jour… que je veux désormais vivre modestement, ignorée de tous dans un coin obscur… Vous vous seriez évité l’ennui d’une menace inutile puisqu’elle est sans effet.

– Vous renoncez à tout?… même quand je vous dis que je ne m’oppose pas à votre amour pour ce d’Assas, pourvu…

– Je n’obéirai plus à vos ordres… Je ne serai plus la maîtresse du roi, parce que la maîtresse du roi est méprisée de celui que j’aime et que je ne peux pas, je ne veux pas supporter ce mépris… À défaut de tout autre sentiment, je veux du moins conquérir l’estime… dussé-je sacrifier ma vie pour cela.

– C’est autre chose, en effet… Eh bien, vous aviez raison, j’ai menacé prématurément… Aimez ou n’aimez pas M. d’Assas, peu m’importe… Je réitère mon offre… continuez le rôle que vous avez joué jusqu’à ce jour… servez-moi fidèlement et docilement; en échange je tiendrai toutes les promesses que je vous ai faites et M. d’Assas ne sera plus inquiété, je vous le jure… Acceptez-vous?…

– Non!… Je vous l’ai déjà dit, je suis lasse… j’aspire à vivre modestement, oubliée de tous…

– Eh bien, écoutez:

Il ne me convient pas, après tous les sacrifices que j’ai faits, que vous désertiez votre poste… Vous m’obéirez donc… je le veux… ou sinon… j’en jure Dieu… avant huit jours M. d’Assas est un homme mort…

Choisissez: obéir, et j’épargne celui que vous aimez; désobéir, et je le sacrifie implacablement… J’admets que vous ayez fait le sacrifice de votre vie… nous verrons bien si vous irez jusqu’à sacrifier aussi bénévolement l’existence de celui que vous dites aimer.

Juliette frémit, tant ces paroles avaient été dites avec une froide et terrible résolution.

Néanmoins, elle se raidit et tint tête:

– M. d’Assas est en lieu sûr et il échappera à vos coups… Quant à moi, je suis en votre pouvoir… faites de moi ce que vous voudrez…

– Eh! il s’agit bien de vous… que m’importe à moi votre vie ou votre mort, si vous ne m’êtes utile… Réfléchissez… je vous donne deux jours… Si d’ici là vous n’avez fait votre soumission, d’Assas sera sacrifié… et c’est vous qui l’aurez tué…

– Jamais… Je vous dis, moi, qu’il échappera à vos coups…

– Misérable folle! dit M. Jacques d’une voix terrible… tu crois cela?… Et je te dis, moi, que je n’ai qu’à fermer cette main que voilà pour l’écraser…

En disant ces mots, il avait, dans un mouvement de colère d’autant plus effrayant qu’il contrastait étrangement avec ses allures, généralement calmes et paisibles, saisi la jeune femme par le poignet et serrait ce poignet à le briser.

Ils étaient là: du Barry, le visage apoplectique, couleur lie de vin, tourmentant nerveusement la poignée de son épée.

Elle, pâle et défaillante, les traits convulsés par la douleur.

M. Jacques, la face contre sa face, l’œil terrible et flamboyant, lui broyant le poignet qu’il tenait toujours, sans qu’elle tentât d’échapper à l’étreinte.

À ce moment précis, comme la foudre tombant au milieu de ces trois personnages, une voix jeune et claironnante dit soudain:

– Eh bien, fermez donc cette Main puissante… voici celui qu’elle doit écraser… mais, en attendant, ouvrez celle que voici et laissez cette femme que vous maltraitez…

Les trois personnages restèrent quelques secondes pétrifiés par des sentiments différents.

Celui qui venait d’apparaître d’une manière aussi imprévue, au moment même où sa vie se jouait, et qui déjà parlait haut:

C’était d’Assas lui-même.