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Elle feignit de ne pas comprendre et de son air le plus ingénu:

– Quelle clé?…

– Tu dois avoir une autre clé… donne-la.

– Je vous jure…

Il lui mit la main au cou et:

– La clé, répéta-t-il froidement, ou je serre!

C’est qu’il serrait déjà, le brigand! Quel démon déchaîné était-ce là?… Le mieux était de ne pas chercher à ruser avec lui, filer doux, obéir passivement, sa vie ne tenait qu’à un fil. Elle le comprenait bien. Elle suffoqua:

– Venez!…

Il la lâcha. Elle aspira une bouffée d’air et piteusement:

– Elle est en bas.

– Descends.

Elle obéit aussi précipitamment que ses jambes flageolantes le lui permettaient, et en descendant l’escalier, elle se lamentait intérieurement, avec force signes de croix:

– Jésus! c’est le diable en personne!… Vierge sainte, venez à mon secours!

Chez elle, définitivement domptée, elle chercha en hâte la double clé réclamée d’aussi irrésistible manière et la tendit d’une main tremblante, n’ayant plus qu’un seul souci: le voir filer au plus tôt. Il s’en saisit et sur un ton qui la fit frissonner:

– Si tu essayes de t’introduire à nouveau chez la demoiselle, je le saurai… Alors, écoute: je te crève les yeux pour que tu ne cherches plus à voir ce que tu ne dois pas voir…

Elle ferma les yeux de toutes ses forces et songea avec terreur aux trois brigands de l’homme masqué qui lui avaient fait la même promesse, ou à peu près.

– Et je t’arrache la langue, continua Jehan d’un air terrible, pour que tu ne puisses raconter à personne ce que tu as surpris. Tu m’entends?…

Blême, se soutenant à peine, claquant des dents, en proie à une terreur folle, elle n’eut que la force d’esquisser un signe de tête affirmatif.

– Bon!… Ouvre-moi la porte de la rue.

Ah! Jésus, Dieu! elle ne demandait pas mieux… elle ne demandait même que cela… le voir loin, aussi loin que possible, au plus profond des enfers!… Elle retrouva incontinent les forces nécessaires et se rua sur la porte qu’elle ouvrit toute grande. Avant de franchir le seuil, il lança, en guise d’adieu:

– Je reviendrai bientôt mettre un solide cadenas là-haut… De cette façon, je serai plus tranquille. D’ici là, retiens bien ce que je t’ai promis.

Il sortit enfin.

Alors, elle se jeta sur la porte à corps perdu, la poussa, tira les verrous, tourna la clé dans la serrure, avec une hâte maladroite, comme si tous les démons d’enfer eussent menacé d’entrer et en se barricadant, elle souhaitait:

– Puisses-tu te rompre le cou en descendant les marches!… Puisse le diable, ton patron, t’étrangler de ses doigts crochus… Puissé-je ne jamais te revoir que pendu par le col, la langue pendante jusque sur la poitrine.

Ayant déchargé sa bile, la réaction se produisant, elle se trouva sans forces et se traîna péniblement jusqu’à sa chambre. Elle se laissa tomber sur une chaise et resta là un bon moment, hébétée, la tête vide de pensées.

Enfin elle se remit, le calme lui revint peu à peu et avec lui, son esprit de ruse et d’astuce reprit le dessus. Elle se mit à rire d’un rire silencieux et fouilla dans sa poche. Elle en sortit l’étui qu’elle y avait mis par distraction et un de ces fameux feuillets qu’elle n’était pas capable de comprendre. Et en riant, elle marmonnait:

– C’est jeune, c’est fort, c’est violent… Mais moi, je suis rusée… et adroite. Et pendant qu’il fermait la fenêtre, j’ai pu soustraire ce pauvre petit morceau de papier… C’en est un!… un de ceux qui contiennent les fameuses indications!… peut-être.

Elle contempla le papier et:

– Ce doit être du latin… je reconnais des mots comme j’en vois dans mon missel.

Mais, cette fois-ci, instruite par l’expérience, elle comprit qu’il n’était pas prudent de s’oublier dans la contemplation de ce papier. D’autant qu’elle n’y comprenait rien.

Vite, elle alla le glisser dans la cachette où elle avait enfermé son or. Alors, elle s’aperçut qu’elle avait toujours l’étui. Elle ouvrit le premier tiroir qui se trouva sous sa main, au hasard, et jeta dédaigneusement l’étui dedans. Ceci fait, elle poussa le tiroir qui ne fermait pas à clé.

Elle s’habilla en un tour de main et s’en fut tout droit chez le ferronnier et le menuisier qu’elle ramena séance tenante chez elle. La frayeur était telle qu’elle accepta sans marchander le prix qu’on lui demandait à la condition qu’on vînt à l’instant faire le travail.

Quant à Jehan le Brave, lorsqu’il fut dehors, il jeta un coup d’œil à sa lucarne, se demandant s’il monterait chez lui déposer la cassette. Mais la rue commençait à s’animer: il jugea qu’il était grand temps de s’occuper de Concini.

Il avait repris son manteau avant de sortir de chez le duc d’Andilly, Il glissa la cassette dessous et la mit sous son bras gauche. Et il partit d’un pas rapide.

En marchant, il réfléchissait.

Quand il était parti de la rue des Rats, laissant Concini solidement garrotté, son intention était de revenir, de se battre avec lui et de le tuer. Concini vivant était un danger permanent pour Bertille et il était bien résolu à ne pas lui faire grâce.

Mais depuis, il avait eu avec la jeune fille cet entretien où il avait pensé tour à tour mourir de honte, de désespoir et de joie. Et maintenant, il ne savait plus ce qu’il allait faire.

Lorsqu’il s’arrêta devant la petite maison de la rue des Rats, il n’avait pas encore pris une décision et il était furieux contre lui-même.

Violemment, il ouvrit la porte. D’un pas rude, il traversa le vestibule, monta l’escalier et pénétra dans la chambre.

Concini n’était plus sur le lit où on l’avait déposé assez rudement. Il était par terre et même assez loin du lit. Mais s’il n’avait plus son bâillon, que les trois bravi avaient eu la charité de lui enlever avant de se retirer, il était, par contre, tout aussi convenablement ficelé. À côté de lui, se trouvait le poignard qu’il avait arraché à sa victime.

Jehan comprit que le prisonnier avait dû apercevoir l’arme et qu’il avait cherché, sans y parvenir, à s’en servir pour trancher les liens qui l’enserraient.

Sans rien dire, il se baissa, ramassa le poignard et serrant nerveusement le manche dans son poing crispé, il considéra le favori d’un air rêveur, sans le voir peut-être.

Concini, qui le vit se dresser ainsi devant lui, le poignard au poing, Concini se crut perdu. Il ne manquait pas de bravoure. Pas un muscle de son visage ne bougea. Il redressa orgueilleusement la tête, regarda le jeune homme en face et brava:

– Frappe!… J’avais bien dit que tu étais un assassin!… Jehan ne répondit pas. Il n’avait pas entendu. À la vue de son ennemi ligoté, gisant à terre, à sa merci, un violent débat venait de s’élever dans cette âme fruste. Deux voix également fortes et puissantes se faisaient entendre dans sa conscience: celle de l’ancien Jehan, le Jehan qu’il était encore, il n’y avait pas deux heures, criait très haut qu’il fallait frapper sans pitié. Celle du nouveau Jehan criait, non moins haut, qu’il fallait se montrer généreux, magnanime, s’il voulait être digne de la noble enfant qui avait éclairé son âme. Et il n’entendait que ces deux voix.

Le débat fut violent, tragique, mais il fut bref.

Jehan se pencha le poignard levé sur Concini qui ne cilla pas et cracha son mépris dans ces mots:

– Frappe donc!… Allons, que crains-tu? Ne suis-je pas réduit à l’impuissance?

Le poignard s’abattit et trancha les liens qui enserraient les jambes. Puis ce furent les bras qui furent délivrés.

Et Concini, qui n’avait pas tremblé devant le poignard levé, Concini pâlit, hébété de surprise, ne sachant ce que cela voulait dire, se demandant avec angoisse quel supplice lui était réservé.

Alors, Jehan parla, d’une voix blanche, comme lointaine.

– Va! pour l’amour d’elle, je te fais grâce, Concini!

D’un bond, Concini fut debout. Il ne savait s’il rêvait ou s’il était éveillé. De sa vie, il n’avait éprouvé étonnement pareil. Il se ressaisit vite d’ailleurs, et ricana:

– Tu me fais grâce! Dis plutôt que tu as peur! Mais moi, je ne te fais pas grâce, tu sais! Je te retrouverai, et alors malheur à toi!

Cette fois, Jehan l’entendit. Il haussa dédaigneusement les épaules, et sa voix se fit rude pour dire:

– Je te conseille de ne jamais te retrouver sur mon passage, Concini; je te le conseille, si tu tiens à ta peau!

Il n’ajouta pas un mot de plus. Mais le ton sur lequel il avait parlé fit passer un frisson sur l’échine de Concini qui, cependant, demeurait superbe, un sourire de mépris aux lèvres.

Jehan se dirigea vers la porte. Sur le seuil, il se retourna et dit: