Ma bien-aimée souveraine n’est plus. Elle a été assassinée. Ce trésor qu’elle avait caché pour son usage personnel, elle l’a légué à l’enfant qu’elle a eu de Pardaillan. Myrthis, la fidèle suivante de Fausta, avait accepté de remplacer la mère, morte, hélas! en pleine jeunesse, au moment peut-être où elle allait triompher. Et cet enfant vient de lui être enlevé!
Myrthis connaissait mon inébranlable dévouement à la souveraine. Elle est venue me trouver à Vaubrun. Elle m’a révélé la naissance de l’enfant et l’existence du trésor que j’ignorais. Elle m’a remis ces papiers, qui permettront à celui à qui il appartient de le retrouver. Elle m’a fait connaître enfin que l’irréductible ennemi de Fausta et ses successeurs convoitent la possession de ce trésor et cherchent à s’en emparer.
Myrthis avait pour sa maîtresse un attachement qui touchait au fanatisme. Elle avait voulu la suivre dans la mort. Mais l’enfant était venu au monde, et pour lui, elle consentit à vivre. La douce et dévouée créature avait reporté sur l’enfant l’adoration qu’elle avait pour la mère… et cet enfant, on vient de le lui voler. Myrthis n’a pas voulu survivre à ce coup. Elle s’est empoisonnée; elle est morte chez moi, et je viens de la faire inhumer chrétiennement.
C’est un irréparable malheur. Si la pauvre fille, dans son désespoir violent, avait mis moins de hâte à exécuter son funeste projet, peut-être aurait-elle eu la joie de revoir bientôt cet enfant, que je lui eusse ramené, moi, car je soupçonne qui a fait le coup.
J’ai rencontré a Paris, voici quelque temps, un Florentin, manière de spadassin, bravo, homme à tout faire – hormis le bien – connu sous le nom de Saêtta. Ce Saêtta croit avoir à se plaindre de la souveraine, et je le sais assez misérable pour chercher à se venger de la mère sur l’enfant. Il se peut que je me trompe, et pourtant rien ne m’ôtera de l’idée qu’en surveillant le bravo, on aurait retrouvé l’enfant. Malheureusement, Myrthis, après de longues et minutieuses recherches demeurées sans résultat, avait absorbé le poison avant de venir chez moi.
L’enfant disparu, la mère et Myrthis mortes, j’estime que ces papiers reviennent de droit au père: M. le chevalier de Pardaillan, qui saura, lui, je vous en réponds, défendre le bien de son fils contre toute entreprise, d’où qu’elle vienne. C’est donc à lui que je les remettrai, dès que je l’aurai trouvé.
Maintenant que vous connaissez la valeur de ces papiers, je suis sûr que vous saurez les garder avec un soin vigilant. D’autant que si le malheur voulait qu’ils fussent égarés ou dérobés, je me croirais déshonoré, et je ne suis pas homme à survivre à mon déshonneur.»
Suivaient des détails intimes, sans valeur pour la matrone, parce qu’ils n’avaient pas trait au trésor. La lettre se terminait par ces mots:
«J’espère, malgré tout, à force de soins, de dévouement et d’amour, fléchir cette soudaine et inexplicable rigueur qui vous a fait brusquement renoncer à une union dans laquelle j’avais mis toutes mes espérances et sans laquelle l’existence me serait un insupportable fardeau. Je demeure donc votre fiancé très respectueux, très aimant et… très malheureux.»
Luigi CAPPELLO,
comte de Vaubrun.
Cette lecture faite à diverses reprises, comme si elle avait voulu graver profondément dans sa mémoire des détails qui avaient enflammé sa cupidité, dame Colline Colle, une flamme aux yeux, les pommettes en feu, se mit à méditer:
– Un trésor!… Un trésor fabuleux, dit la lettre!… Quelle somme cela peut-il représenter?… Cent mille écus?… Un million?… davantage peut-être?… Si je pouvais… si je trouvais les bienheureuses indications, tout cela pourrait être à moi!…
Ses traits se contractèrent, son nez s’allongea et avec un affreux déchirement:
– Sotte que je suis!… La lettre remonte à dix-sept ans!… le trésor doit être loin maintenant!
Mais elle ne pouvait se résigner à accepter une hypothèse que la raison lui disait être la plus vraisemblable. Ses instincts cupides déchaînés s’y refusaient absolument. Et les facultés tendues, son imagination travaillait sans relâche.
– Voire! murmura-t-elle, ce comte de Vaubrun, contrarié dans son amour, avait pour lors d’autres soucis en tête que de rechercher son ami!… Les deux fiancés se sont tués sans avoir eu le temps de songer à ce Pardaillan et son trésor!… J’en jurerais! Voyons, voyons, cherchons!…
Un à un, elle reprit tous les papiers. Il y en avait: mémoires, actes, titres, parchemins, lettres du fiancé, dispositions testamentaires… Mais nulle part, pas le plus petit mot, pas la plus petite indication sur le trésor et sa mystérieuse cachette.
Restaient quelques feuillets indéchiffrables pour elle, parce qu’ils étaient écrits en une langue qu’elle ne connaissait pas. Elle les mit de côté et médita.
– La lettre est formelle pourtant!… Je ne vois que trois hypothèses: premièrement, les papiers ont été égarés ou remis à leur destinataire… Alors, il n’y a plus rien à faire. Secondement, ils sont cachés ailleurs… Alors, je fouillerai partout ici, je visiterai coffres, bahuts, tiroirs, tout, tout!… Et s’ils sont ici, je les trouverai. Troisièmement enfin, les indications sont là… dans ces papiers que je ne comprends pas… Alors je suis obligée de chercher quelqu’un qui me les traduise… Alors, je suis volée!… celui-là ne sera pas si sot que de me dire bénévolement la vérité. Il gardera les indications pour lui et s’en ira chercher le trésor… et c’est moi qui, stupidement, lui aurai tout donné. Ouais!…
Elle réfléchit encore profondément, tirant avec frénésie le bout de son nez, comme pour en faire jaillir la bonne inspiration, et trouva:
– Il n’y a qu’un prêtre, et sous le sceau de la confession, qui pourra me dire ce qu’il y a dans ces papiers – si tant est qu’il y ait quelque chose – et oubliera ensuite. Oui mais, voilà, un confesseur voudra savoir d’où je tiens ces papiers et s’ils sont vraiment à moi… Heu!… Mentir en confession… je risque la damnation éternelle!… et je ne veux pas être damnée… Alors?… Sotte!… je m’adresserai au bon père Parfait Goulard! Le saint homme est si indulgent… et puis il est un peu simple… je n’aurai pas besoin de mentir avec lui… il me suffira de justifier d’une bonne intention… puisque c’est l’intention qui fait le péché.
Elle se mit à ranger les papiers dans la cassette, laissant de côté ceux qu’elle avait résolu de montrer au moine, si complètement absorbée qu’elle en oubliait le monde entier, perdait la notion de tout.
À ce moment, une main passant brusquement au-dessus de son épaule lui arracha les papiers en même temps qu’une voix qui retentit à ses oreilles comme la trompette du jugement dernier, grondait furieusement.
– Ah! misérable sorcière! chienne maudite! il ne te suffit pas d’avoir trahi et vendu celle sur qui tu aurais dû veiller, il faut que tu viennes encore la voler!…
Terrassée par l’épouvante, les yeux exorbités, à moitié pâmée, Colline Colle gémit d’une voix étranglée:
– Jésus! sainte Vierge! le jeune homme de tout à l’heure… Je suis morte!
C’était, en effet, Jehan le Brave qui, passant dans la rue, s’était étonné de voir la fenêtre grande ouverte, et qui, ayant l’intuition de ce qui se passait, s’était précipité dans l’impasse, avait renversé les planches, laborieusement remises en place par la vieille, avait monté l’escalier, ouvert la porte, sans qu’elle eût rien entendu tant sa préoccupation était grande, tant cette espérance d’un trésor fabuleux à soustraire, l’avait affolée.
Jehan leva le poing sur la tête de la matrone. Elle ferma les yeux, rentra le cou dans les épaules et, croyant faire entendre un cri de détresse, n’eut que la force de pousser un râle étouffé.
Le poing ne s’abattit pas. Par un effort de volonté prodigieux, le jeune homme était parvenu à se maîtriser.
– Debout, chienne, ordonna-t-il d’une voix rude, et remercie le ciel que j’aie pu me souvenir à temps que tu es femme.
Elle ne se fit pas répéter l’ordre. Elle fut immédiatement debout, tout son sang-froid revenu avec l’assurance qu’elle ne courait aucun danger, et attendit.
Lui, il avait ramassé tous les papiers et les empilait au hasard dans la cassette. Ceci fait, il fut à la fenêtre et la ferma. Avisant le trousseau de clés resté sur la table, il s’en empara et le mit dans la cassette avec les papiers. Il commanda impérieusement:
– Hors d’ici!… Attends-moi sur le palier.
Docilement, comprenant que sa vie dépendait de son obéissance, elle sortit et attendit sur le palier. Jehan prit la cassette et chercha des yeux où il pourrait la mettre.
– Non! fit-il en secouant la tête, il vaut mieux que je l’emporte… ce sera plus prudent.
Et il rejoignit Colline Colle. D’un coup d’œil circulaire, il inspecta les lieux. Il vit que pour entrer dans l’appartement de la jeune fille il n’y avait pas d’autre porte que celle devant laquelle il se trouvait. La clé était sur la porte. Il ferma à double tour et la mit dans sa poche.
– L’autre clé, fit-il d’un ton bref.