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Il semble y avoir tant de confort et d'insouciance, de voluptueuse inaction dans la condition de mollusque céphalo, pardon, gastéropode, et si peu de devoirs, de responsabilités, que Crab, quand on le questionne sur ses projets d'avenir, ne cache pas son intention d'opter prochainement pour cet état. L'aveu soulève à chaque fois un beau tollé. C'est indigne d'un être humain, s'entend-t-il répéter. Vous allez baver partout. Si on espère le décourager avec ce genre d'arguments.

La bave de la limace ne procède ni de l'envie ni de la colère, ni de l'épilepsie, elle se passe des mots, c'est une gerbe d'écume qui fleurit lentement dans les virages. Or Crab est las de semer derrière lui des empreintes de pied. Du matin au soir et sans répit, hormis quelques haltes trop brèves, il doit semer, semer en toute saison, dans la boue ou dans la neige, imprimer la trace de son soulier sur le sol, à chaque pas disputer son corps à la terre meuble et semer toujours ses empreintes, inutilement puisqu'elles ne fructifieront pas, qu'elles ne donneront pas naissance à autant de petits Crab, puisque le seul oignon que l'on plantera avec profit, au terme du parcours, ce sera le cadavre même du semeur.

Comme trace de son passage en ce monde, plutôt que l'empreinte simiesque d'un pied, Crab préfère laisser une broderie discrète sur un chou.

On lui objecte alors, plus sérieusement, qu'il lui sera difficile de plier son corps aux coutumes des mollusques gastéropodes, de l'assouplir, de rétracter ses membres et sa tête afin d'obtenir cette plastique molle, cette élasticité si remarquable chez les limaces. Mais Crab a déjà résolu la question. Son squelette ne l'encombrera plus longtemps. Il va cracher cette arête.

D'abord, retirer veste et chemise. Puis Crab plonge profondément la main dans sa gorge, il empoigne sa clavicule gauche et, sans forcer ni faiblir, il se l'extrait par la bouche – tout se tient: la carcasse entière suit. Sauf le crâne, au reste de plus en plus bourdonnant et lourd à porter – mais Crab, ayant aspiré et provisoirement confié à l'estomac simplificateur son cerveau compliqué, n'a plus qu'à retrousser les lèvres pour expulser loin de lui cette tête obsolète d'homme mort.

L'effet est immédiat. Crab se sent comme transformé. Moins véloce, sans doute, mais tellement plus souple – or la paresse est une gymnastique, elle refuse les corps secs, raides, anguleux, sujets aux crampes et rhumatismes, elle sélectionne les corps flasques, flexibles, désarticulés: consentants. Sur ce point au moins Crab peut déjà légitimement se prétendre mollusque, s'il lui reste encore beaucoup de chemin à parcourir pour être un vrai gastéropode.

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C'est à force de paresse que Crab est devenu ce tas de sable effondré dont vous voulez faire du ciment, pauvres malheureux, vos constructions ne tiendront pas debout. Dont vous voulez faire du verre – le matin ne passera pas.