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XXV LA ROUTE DE VERSAILLES

Ce soir-là, le chevalier d’Assas, vers la nuit tombante, sortit de Paris à cheval, après s’être muni de sa rapière de bataille et de ses pistolets d’arçon.

Lorsqu’il atteignit la route de Versailles, un groupe de six cavaliers, qui s’étaient dissimulés dans la cour d’une auberge isolée, se mit à le suivre à deux cents pas.

Ces cavaliers, c’étaient du Barry et ses acolytes qui étaient là pour prêter main-forte à d’Assas en cas de besoin. Ils étaient masqués et s’enveloppaient dans des manteaux qui couvraient par surcroît de précaution tout ce que le masque n’avait pu cacher.

– Me voilà obligé de protéger cet homme que je hais! songeait du Barry. Les exigences de M. Jacques deviennent intolérables. Où s’arrêteront-elles! Ah! si seulement une bonne balle égarée pouvait…

Du Barry acheva d’un geste la pensée de mort qui traversait son cerveau, et il jeta un sombre regard de sinistre espoir sur la silhouette à peine visible du chevalier d’Assas.

Le jeune homme trottait doucement. Il avait le temps… Une sorte de joie nerveuse le faisait parfois tressaillir. Il avait alors au coin des lèvres un petit rire qui n’annonçait rien de bon pour ses ennemis.

– Ce digne M. Berryer, disait-il entre ses dents, ne s’attend certes pas à la rencontre qu’il va faire. Ah! monsieur le lieutenant de police! monsieur l’enleveur de femmes!… Fidèle serviteur de Sa Haute et Puissante Majesté!… Vous faites là un vilain métier!… Misérable, va!… Mais halte-là! Nous sommes à deux pour compter!…

Des lueurs d’éclair passaient dans ses yeux.

Par moments, il pâlissait.

– Si j’étais sûr que Jeanne n’a pas consenti, n’a pas cherché cet enlèvement!… Si ce M. Jacques pouvait m’avoir dit la vérité!… Si c’était vraiment malgré elle qu’on l’a jetée dans un carrosse pour la conduire au roi!… Comme je me sentirais fort!… Le carrosse fût-il escorté de vingt cavaliers, je l’attaquerais! Et, par la mordieu, je la délivrerais ou je mourrais sur place!…

En parlant ainsi, il avait abandonné les rênes de son cheval qui s’était mis au pas et s’en allait à l’aventure, reniflant des naseaux dans la nuit.

– M’aimera-t-elle jamais? reprenait alors le pauvre cavalier. Insensé! Est-ce qu’il n’est pas clair qu’elle aime le roi? Est-ce que, dans cette fête maudite, elle ne s’est pas affichée au point que toute la cour pendant deux jours n’a juré que par elle?… Et pourtant, j’ose encore espérer!… Et même, s’il n’y a pas d’espoir, je veux lutter!… Advienne que pourra! Et coûte que coûte! Il faut que ce soir l’infâme Berryer morde la poussière!… Or ça, puisque je veux en découdre, prenons un dispositif de combat… Bataille, mordieu, bataille!… Et après, on verra!…

Le chevalier, en partie pour assurer la réussite de son hardi projet, mais aussi, dans le fond, pour s’arracher à ses désolantes pensées, se mit à combiner ce qu’il appelait un dispositif de combat.

D’après ce que lui avait dit M. Jacques, le carrosse ne devait contenir qu’un homme et une femme.

La femme, c’était celle qu’il adorait avec tant de juvénile constance… L’homme, c’était Berryer.

– Quant au postillon, avait ajouté M. Jacques, si quelqu’un voulait attaquer cette voiture, il ne devrait pas s’en inquiéter… ce postillon sera sans aucun doute un laquais de Berryer, un trembleur qui prendra la fuite au premier bruit d’un pistolet qu’on arme.

Il résultait de tout cela que le chevalier n’avait à combattre qu’un homme: le lieutenant de police.

Nous devons noter ici que d’Assas n’avait nullement assuré à M. Jacques qu’il attaquerait le carrosse et que M. Jacques, d’ailleurs, ne le lui avait nullement demandé.

Le terrible personnage, avec sa haute science du cœur humain, s’était contenté d’expliquer minutieusement au chevalier ce qui se tramait. Il lui avait donné toutes les indications possibles, et jusqu’à la couleur du carrosse qui devait emmener Jeanne.

Le carrosse devait être bleu de France.

Les chevaux devaient être blancs.

Et comme c’était Bernis qui était chargé d’amener la voiture au carrefour Buci et de la conduire ensuite à Versailles, M. Jacques n’avait eu qu’à le faire prévenir qu’il désirait un carrosse bleu avec des chevaux blancs.

M. Jacques parti, le chevalier s’était dit aussitôt:

– Cette voiture, moi vivant, n’arrivera pas à Versailles!… Je ne sais ce que je risque à attaquer en pleine nuit le lieutenant de police en personne… peut-être ma tête! Eh bien, risquons tout, plutôt que d’éprouver cette atroce douleur que Jeanne est dans les bras du roi, que j’aurais pu empêcher ce malheur et que je ne l’ai pas fait!…

Il était près de dix heures.

Le chevalier était arrivé au pont de Saint-Cloud.

L’endroit était propice: le carrosse serait forcé de passer par-là…

À une vingtaine de pas avant d’arriver au pont, il y avait sur la droite un de ces mystérieux logis qu’on appelait alors des petites maisons, – lieu de plaisir et de rendez-vous appartenant à quelque gentilhomme et comme on en voit encore quelques-uns autour de Paris.

Le chevalier résolut de se poster entre cette maison et le pont.

Voici quel était son plan – son dispositif de bataille:

Il se planterait au milieu de la route, ses pistolets à la main, et crierait au cocher d’arrêter.

Alors le postillon arrêtait… ou n’arrêtait pas…

S’il continuait à s’avancer, le chevalier déchargeait sur lui ses pistolets, puis se jetait à la tête des chevaux.

Alors, une fois le carrosse immobile, il tirerait son épée, s’avancerait à la portière, ôterait son chapeau et dirait:

– Monsieur le lieutenant de police, je vous tiens pour un misérable, et je devrais vous tuer comme on tue, la nuit, un tire-laine. Mais je veux vous faire l’honneur de croiser mon épée avec la vôtre. Je m’appelle le chevalier d’Assas. Veuillez donc descendre, s’il vous plaît, et dégainer à l’instant, sans quoi je serai forcé de vous tuer sans que vous vous soyez défendu!…

Il ne doutait pas que Berryer ne fit droit à une requête ainsi présentée…

Et alors…

Alors, Jeanne pourrait juger de quoi l’amour est capable!

Il blessait son adversaire, le remettait dans le carrosse dont il faisait descendre Jeanne, ordonnait au postillon de ramener à Paris le corps de son maître, et disait à Jeanne:

– Madame, voici mon cheval pour vous ramener. Veuillez seulement me dire à quel endroit de Paris vous désirez être ramenée… je conduirai le cheval par la bride…

Tel était le rêve qu’échafaudait le chevalier, et cependant, il faisait le guet et interrogeait anxieusement la route… Tout était noir… rien n’apparaissait…

D’Assas mit pied à terre et attacha son cheval à un arbre.

Alors, il s’assura que son épée sortait facilement du fourreau, visita ses pistolets, se débarrassa de son manteau qu’il jeta en travers de la selle du cheval, et, se campant au milieu de la route, il attendit…

Les cavaliers masqués que nous avons signalés s’étaient arrêtés en voyant le chevalier mettre pied à terre. Ils se glissèrent sur le côté de la petite maison que d’Assas venait de dépasser, et prirent aussitôt leurs dispositions.

L’un d’eux fut chargé de tenir les six chevaux et alla se dissimuler avec les bêtes, en plein champ, sur les derrières de la maison. Les cinq autres, s’avançant à travers champs, le long et à vingt pas de la route, s’arrêtèrent à la hauteur de d’Assas, se couchèrent à plat ventre sur le sol et attendirent.

Tout à coup, le chevalier d’Assas entendit au loin des grondements de roues sur la terre dure…

Presque aussitôt, les deux lanternes d’une voiture lui apparurent dans la nuit.

Il eut un effroyable battement de cœur…

Cette voiture, c’était sans doute le carrosse qu’il attendait… et dans ce carrosse, il y avait Jeanne!…

D’un geste rapide et machinal, le chevalier prépara ses deux pistolets… La voiture avançait d’un bon trot de ses deux chevaux pesants… Bientôt, elle ne fut plus qu’à une trentaine de pas du chevalier…

Il eut un tressaillement suprême…

Les chevaux étaient blancs, tous deux! Ce carrosse était bien celui qu’il attendait!…

Au même instant, il s’avança et, d’une voix terrible, – toute la rage de l’amour, du désespoir, de la jalousie! – il cria:

– Halte! halte! ou je fais feu!…

– Place! hurla le postillon.

Le chevalier visa, fit feu!…

Puis, jetant son premier pistolet, il tira du second!…

Le postillon se renversa sur son siège avec un gémissement.