La préposée est toute contente, oui qu'elle me dit, l'Académie est là pour vous aider, citoyen je suis heureuse de vous voir en si bon état d'esprit, cependant nous ne délivrons pas de copies certifiées, ça nous est formellement interdit, nous n'avons pas le tampon idoine, je comprends que ça ne vous arrange pas, mais je ne peux rien faire pour vous, les gens sont responsables de protéger leurs diplômes, nous on ne fait que les délivrer, et croyez-moi ce n'est pas une mince affaire. J'ai eu comme un vent glacial sur l'échiné, attendez que je fais, mais puisque vous l'avez dans l'ordinateur avec mes nom prénoms date de naissance, ça ne doit pas être si compliqué d'avoir la même chose sur un bout de papier. Certes certes citoyen, des bouts de papiers je pourrais vous en produire autant que vous voulez, mais l'ordinateur il vous mettra pas le cachet officiel du Ministère et votre bout de papier on pourra s'en torcher. Ça ne fait rien, que je lui dis, si je montre ce papier à l'Institut, ils pourront venir vous voir et contrôler que j'ai bien mon Baccalauréat, stop! me coupe la préposée, je vous arrête avant que vous ne disiez une aberration, vous semblez ignorer que nos informations sont confidentielles, nous sommes couverts par le secret académique, personne d'autre que vous n'a le droit d'accéder à votre dossier. Imaginez que n'importe qui puisse venir et consulter n'importe quel dossier, vous voyez d'ici les atteintes à la vie privée? Elle disait ça en faisant de grands yeux affolés mais j'insistai avec arrogance, qu'à cela ne tienne je lui dis, je viendrai avec la chef du personnel et je lui montrerai ici même votre écran d'ordinateur. Vous êtes du genre obstiné qu'elle me fait alors, vous savez moi j'invente rien, c'est marqué dans le règlement, et que dit-il le règlement? voyons ensemble si vous le voulez bien, je lis paragraphe trois alinéa cinq: “L'information contenue dans un dossier ne peut être divulguée qu'à une personne à la fois”, c'est pas moi qui le dis, c'est le règlement, alors arrêtez vos barbarismes.

En somme vous ne servez à rien, que je fis un peu crûment, c'était le diable qui m'avait tiré par la langue, si j'avais réfléchi jamais je n'aurais été aussi direct car elle monta aussitôt sur son grand cheval: comment osez-vous? après tous les efforts que j'ai faits pour vous parler gentiment! dites tout de suite que les fonctionnaires sont des parasites! et ça continuait sur le même ton jusqu'à la porte qui fit clac!

Ce n'est pas pimpant que je rentrai chez moi, oh non vous pouvez me croire, j'avais les larmes qui diluaient les lumières des voitures, mes pieds écorchaient l'asphalte et au fond de moi j'avais cette petite voix qui me disait: c'est bien fait pour ta pomme, tu n'as que ce que tu mérites. Et là je voudrais attirer l'attention du jeune lecteur, ce n'étaient pas les difficultés matérielles qui me chagrinaient, absolument pas, la perte de mon emploi à l'Institut était certes regrettable, j'avais le loyer qui me prenait à la gorge, mais ce n'étaient pas ces ennuis-là qui me minaient l'humeur. C'était l'hécatombe morale dans laquelle j'avais sombré, un gouffre terrifiant, comme si j'avais personnellement appuyé sur le bouton nucléaire qui aurait effacé la race humaine, c'était la Conscience qui me torturait. Les jeunes lecteurs qui ont peu vécu auront sans doute du mal à comprendre mon angoisse, ils ne verront que l'aspect matériel de ma tragédie, les jeunes ne pensent qu'à l'argent et c'est normal car ils n'en ont jamais, mais ceux qui se sont frottés aux aspérités de la vie, ceux qui ont accumulé un peu de sagesse, ceux-là savent ce que la Conscience peut faire quand elle se manifeste, et chez moi elle explosait la Conscience, elle se transcendait. Moi l'homme de science, moi le paléontologue adulte qui était passé maître dans l'art du rangement, eh bien j'avais commis l'irréparable, la faute grossière, j'avais perdu mon Baccalauréat, et il n'y a plus rien à ajouter, j'avais perdu mon Baccalauréat, si vous saviez comme ça me fait mal de l'écrire, j'avais perdu mon Baccalauréat, je me sens obligé de le répéter, j'avais perdu mon Baccalauréat, oh je suis prêt à le copier un milliard de fois si ça pouvait atténuer ma culpabilité! J'avais perdu mon Baccalauréat, point, lessivé je suis.

En rentrant à la maison j'étais tellement abattu que ce n'est pas tout de suite que j'ai remarqué les deux valises posées sur la table avec des dessous féminins qui en débordaient. Françoise dansait autour avec un air d'anthropophage, que fais-tu ma chérie que je lui demande. Ça ne se voit pas mon molly? je divorce. Ah bon, fais-je sans trop réfléchir, bon débarras, ça me fera plus de place dans l'appartement. Que voulez-vous, j'étais K.-O. debout, je ne m'attendais pas à ce retournement, c'était vrai que l'on se disputait beaucoup ces derniers temps, mais quand même pas jusqu'au divorce, il y a là un Rubicon à franchir. Je prends note de ta sympathique réaction, qu'elle me fait, j'en attendais pas moins de ta part, c'est bien dans la lignée du personnage, qu'est-ce que j'ai pu être cruche de gâcher dix ans de ma vie pour toi. Soudain je comprends: elle est sincère, elle veut plus de moi, c'est la fin, le monde s'écroule, je me laisse tomber sur le divan, il me manquait plus qu'un divorce! elle veut ma mort ou quoi? comment ferais-je avec cette avalanche de paperasserie administrative qui accompagne un divorce, les convocations chez le juge, les publications au Journal officiel, les droits de timbre et que sais-je encore? Sans me regarder une seconde, sa garde-robe déménageait, les différentes Françoise que j'avais connues s'empilaient dans la valise, voici la jupette bleue du premier jour qui se fait écraser par les chaussures jetées en tas.

Pour la place dans l'appartement, dit-elle, je suis contente pour toi et je ne ferai pas d'ennuis devant le juge, mais pour nos papiers communs, j'en demande la garde vu que tu en es incapable, comment ça incapable? me révoltai-je, oui incapable et ça m'étonne que toi tu t'en rendes pas compte, non fais-je de mauvaise foi je ne vois pas, et là elle met mon nez dans le caca: quand on est pas capable de garder son Baccalauréat personnel, on est pas en position de réclamer la garde d'un papier même mineur, n'importe quel juge sera de mon avis. Je me pris la tête à deux mains dans un étau, elle avait raison la Françoise, j'étais anéanti. J'ai de l'affection pour toi, dis-je en pleurnichant, les sentiments étaient le seul argument qui me restait, et vous pensez que ça l'attendrit? que pouic, elle resta de glace, et le pire c'était que je la comprenais, elle avait raison de partir, on ne pouvait rester avec un tel boulet au pied, j'étais capable d'entraîner le meilleur nageur dans la grande fosse des Mariannes, alors pour la survie de l'espèce il valait mieux qu'elle parte, sauve-toi Françoise! je lui criais dans ma tête, Dieu sait ce que je suis capable de perdre si j'ai perdu mon Baccalauréat, tu ne seras en sécurité que loin de moi, sauvez-vous tous, les femmes et les enfants d'abord! Seulement elle ne se contentait pas de partir Françoise, non, elle remuait le couteau dans la plaie, tu m'as trompée sur la marchandise qu'elle disait et ses yeux m'exterminaient au lance-flammes, je croyais que l'on pouvait compter sur toi pour le souci du rangement, je te supposais un minimum de dignité, mais ce que tu disais n'était que poudre aux yeux, ah je me suis bien trompée sur ton compte, en fait t'es un faux cul de première, j'ai les yeux qui s'ouvrent maintenant, ta vraie nature s'est révélée au grand jour, t'es un ignoble individu, hypocrite comme pas deux. Quelle aveugle j'ai fait! J'avais des indices qui auraient dû m'inquiéter! Quand tu perdais tes formulaires de transport, ce n'était pas par bêtise innocente comme chez les gens ordinaires, je le comprends maintenant, je fermais les yeux sur les formulaires de transport et j'avais tort, c'étaient les gouttes d'eau qui annoncent la rupture du barrage, les rats qui quittent le navire, c'était prémonitoire que t'allais te surpasser dans l'horreur. Quand c'est arrivé, pauvre gourde j'y ai pas cru, naïvement je me suis dit: il va le retrouver, c'est une éclipse, il suffit d'attendre et tout redevient comme avant. Bernique!

On se revoit deux semaines plus tard chez le vieux juge, j'ai admis tous les torts, j'avais pas le choix vous vous en doutez. On m'a retiré la garde des papiers qu'on avait eus ensemble, le certificat de mariage, le livret de famille, les comptes joints, tout quoi, on m'a dépouillé pour ainsi dire, au néant on m'a laissé, et encore selon le juge j'avais de la chance que Françoise fût gentille, j'aurais pu être condamné à lui verser une pension compensatoire pour frais d'entretien.

Voyant que je ne contestais pas, Françoise n'a pas cherché à me faire boire la tasse, elle s'est contentée d'essuyer quelques larmes, on voyait qu'elle avait de la peine, alors le juge est venu lui caresser les cheveux, allons ma brave dame, ne vous en faites pas, vous en trouverez un autre de mari. À mon âge? sanglotait Françoise, j'ai vu pire dit le juge et en même temps il pelotait, tandis que j'admirais la propreté de son bureau. Chez lui aussi, le bureau était impeccable, il était comme manucure, il pointait son doigt vers moi son bureau et il m'accusait, regarde t'es le seul qui ait le rangement boiteux, là-dessus je ne pouvais qu'être d'accord, je suis la vermine de la planète je me disais.

Je ne voyais plus le juge, je ne voyais que ses mains sur les fesses de Françoise, il la serrait contre lui sur la banquette en cuir bon marché, elle était nue depuis longtemps et les mains poilues du juge se découpaient nettement sur sa peau blanche. Le juge parlait par saccades, les arguments juridiques et les articles de la loi se diluaient dans des bruits de ventouse, j'avais du mal à comprendre ce qu'il me disait, je ne voyais que le petit derrière de Françoise qui sautillait, le devant de Françoise avait l'air occupé par le membre du juge, il a la santé que je me disais pour quelqu'un qui n'est pas loin de la retraite. Le juge me parlait toujours par borborygmes, il insistait sur quelque chose en remuant ma Françoise, il devenait presque suppliant, alors je commençai à saisir, il avait de la classe le juge, il m'invitait à se joindre à lui, profite encore de ta femme qu'il avait l'air de dire, profite pendant qu'il est encore temps, dans dix minutes l'article untel s'interposera définitivement à votre jouissance sous peine d'annulation de la procédure, alors fais pas l'imbécile, vas-y t'es démarqué, aliène-la à titre gratuit, vas-y donc! et j'y suis allé mes frères et je ne l'ai pas regretté, oh non. Pour une fois la loi était de mon côté, la loi n'est pas forcément inique la loi, elle peut être suprêmement douce et vous faire du bien la loi, en ce moment elle me donnait le derrière de Françoise, j'avais l'autorisation légale, j'étais enthousiasmé comme vous pouvez le comprendre. Elle s'est mise à transpirer Françoise, coincée entre nous deux, nous étions tous ravis, le juge était devenu de très bonne humeur, il décida de nous faire une fleur, je limiterai la paperasserie au strict minimum disait le juge, vous suivrez la procédure allégée, et nous ne sûmes comment le remercier, ça nous facilitait la vie quelque chose de terrible, pourquoi ne peut-on divorcer tous les jours dans ces conditions?