J'échangerais pas un million contre un ami de la qualité de Marko, la plupart des soi-disant amis fréquentent par intérêt, ils tiennent à vous parce que vous êtes riche, c'est classique, ou que vous êtes médiocre et ça les valorise de s'afficher avec vous, mais quand vous n'avez rien de tout cela, quand vous êtes dans la zone et que la société vous a mis au ban, c'est là qu'ils se révèlent les amis comme Marko, c'est ça que j'appelle de l'amitié, c'est quand on prend des risques, et il en prenait des risques Marko en me fréquentant, l'opinion aime bien les rapprochements faciles, par osmose on l'aurait mis dans le même sac, tu es complice Marko on aurait dit. Remarquez, il venait peut-être pour Françoise, ça ne serait pas idiot, après tout elle est son genre, l'idée m'a effleuré plus d'une fois j'avoue, ils ont toujours eu des affinités l'un pour l'autre Françoise et Marko, mais je pense que c'était purement sexuel et qu'il n'y avait pas de sentiment là-dessous. La preuve, vous la lisez dans l'expression de Marko quand il la chevauche, une expression d'indifférence, ça ne lui fait ni chaud ni froid de la posséder, il a envie parce qu'il a sous la main ces courbures qui l'enveloppent, mais s'il fallait monter plusieurs étages à pied pour les avoir je ne suis pas certain du résultat.

Au fond ça m'était agréable de les voir se bécoter sur le canapé, la théière renversée sur les gâteaux secs, regardez-moi ce gâchis! Ils étaient très plastiques, on aurait dit du ballet, Marko embrassait dans la nuque comme s'il buvait avec une paille, il avait noué ses mains autour du buste, Françoise donnait le rythme avec ses hanches, la garce a toujours eu la musique dans la peau, elle avait jeté sa jupe sans faire attention et maintenant il y avait une tache de thé en plein milieu des fleurs, je peux vous dire qu'elle sera déçue quand elle s'en apercevra. Objectivement parlant j'aurais pu me joindre à eux, à force de les regarder j'avais comme une tension au bas-ventre, la bouche de Françoise semblait m'inviter, mais je n'avais pas le moral à m'amuser ce jour-là, je ressentais un étrange mélange de faim et d'écœurement. Les conseils de Marko étaient encore tout frais dans ma tête, ça m'avait redonné un coup de fouet qu'il croie encore en moi, je me creusais pour trouver une solution à mon problème, alors les signaux de l'entrejambe sont un peu passés au second plan, je n'ai fait que caresser Françoise par-devant, c'était ma seule concession à leur débauche, j'avais d'autres soucis vous comprenez, mais là aussi j'ai dû commettre un impair car quand ils eurent fini Françoise me piqua de son air courroucé, je m'étais conduit comme un pète-sec, ah vraiment j'étais devenu sinistre, plus moyen de rigoler avec moi, et en plus j'avais pas fait attention à sa jupe. Ça sentait la scène de ménage alors Marko s'éclipsa, tchao mon pote, n'oublie pas ce que je t'ai dit, tu dois remonter la pente, je compte sur toi, je vais pas tenir longtemps avec tes iguanodons, et sur le palier il a l'air joyeux mais je sens qu'il se force un peu, c'est l'attitude que l'on doit avoir quand on parle à un grand malade, et quand son air faussement optimiste s'éloigne je me retrouve comme abandonné.

Marko parti, on se dispute avec Françoise comme prévu, elle me dit un tas d'insultes sur mon tempérament, comme quoi je suis trop mou, que je manque de virilité, en somme je ne pensais qu'à mes petites affaires, mon égoïsme était prodigieux, pour une fois qu'elle passait du bon temps je n'ai pas jugé bon de participer, je serais une sorte de gâcheur universel, alors je craque, je lui rends la monnaie, ça commence à devenir impossible que je lui dis, tu m'es d'aucun soutien, pire tu me sapes le moral comme une tronçonneuse, j'en peux plus de tes reproches, ça me tue mieux que les vexations de l'Institut, si t'es pas contente tu devrais te chercher un autre mari, que je fais, vous savez comme on s'emporte facilement parfois, je ne le pensais pas je vous jure, car qui j'aurais eu d'autre si elle avait décidé de partir? On avait commencé par se crier dessus, on finit par plus se parler, elle boude avec un journal de mode, et moi je me colle à la fenêtre histoire de voir autre chose que mon appartement pourri. Quelle vie de chien, je me dis. Si au moins j'avais l'armoire chromée du type en face, elle aurait été plus fluide la vie, jamais je n'aurais égaré ce fichu Baccalauréat, quelle injustice au fond, pourquoi peut-on savoir certains naissent tout équipés d'armoires, la vie leur vient facilement à ceux-là, alors que d'autres suivez mon regard se hissent à la sueur, ils sont toujours en équilibre au-dessus du précipice ces pauvres bougres, un petit coup de vent de rien du tout suffit à les faire trébucher, expliquez-moi ce phénomène, je voudrais bien comprendre, il doit bien y avoir une raison pour tant d'inégalité, et qu'on me parle pas de petits Hindous, comme quoi ils sont plus dans la merde que moi, ça n'explique rien sur le fond les petits Hindous, j'en ai déjà soupé avec Marko des petits Hindous.

J'enrageais ainsi contre la vitre, mes poings serrés, j'étais à deux doigts de me sentir communiste, quand j'aperçus le maniaque qui me faisait signe, un geste amical du genre coucou, il nous avait vus en plein érotisme avec Françoise et Marko, mince alors! je m'aperçois que j'avais oublié de tirer le rideau, il nous avait matés comme à la télé sauf qu'il lui manquait le son, il semblait apprécier le spectacle, il souriait, coucou! qu'il me faisait de sa main, je lui répondais coucou coucou, mais oui je te vois enfoiré, c'est ainsi qu'on a lié connaissance à vol d'oiseau. Le maniaque ne resta pas longtemps devant sa fenêtre, il avait du nettoyage à faire, je le voyais qui avait retroussé les manches de sa veste cinq boutons, il triait une énorme poubelle pleine à craquer, et je me disais qu'il avait bien de la chance d'avoir une occupation, il n'était pas aussi légume que moi, remarquez ce n'était pas difficile, j'avais fait très fort dans le genre légume, j'avais battu un record, dans toute cette ville que je regardais par la fenêtre il n'y avait aucun spécimen qui me valait, ils s'affairaient tous à ranger leurs diplômes, même les handicapés en étaient capables. T'es le seul de ton espèce que je me disais, t'es le seul sapiens capable d'une telle infamie, t'es un mutant en quelque sorte, t'es pire qu'une pourriture, tu n'avais que les apparences avec ton Institut et ton salaire de directeur adjoint, au fond de toi tu portais les germes de ta décrépitude, ce n'est pas par hasard que t'as égaré ce que t'avais de plus sacré, c'était prédestiné car t'es un microbe, une infection qu'aurait attrapée l'humanité, oui! la maladie du monde tu es! Quelle honte, ô camarades bacheliers, quel horrible dégoût de moi-même m'était venu ce jour-là devant la fenêtre!

C'était insupportable alors pour me distraire je fis une tentative un peu absurde je dois le reconnaître, je suis allé à l'Académie pour quémander une copie de mon diplôme, c'est ridicule je savais que j'avais aucune chance et j'y suis allé quand même. Comme un gangster qui sort à découvert et tire dans la foule, je me suis précipité dans une voie sans issue, j'ai osé les déranger en plein travail avec mon problème, j'ai fait la queue aux Renseignements, j'ai souri abondamment à la préposée dans le guichet, il y en avait partout de mon sourire nerveux, il inondait l'hygiaphone. Excusez-moi de vous déranger, voilà pourquoi je viens, globalement c'est une histoire un peu comique ha ha ha, vous ne devinerez jamais ce qui m'est arrivé l'autre jour, ma femme Françoise dans un accès de colère a brûlé mon diplôme, si si si véridique, on s'est disputés, elle a pris une allumette et hop elle y a mis le feu, juste pour se venger, vous comprenez elle est un peu mégère, c'est son hobby que de me torturer, j'ai un peu honte de l'avouer mais les faits sont là: j'ai besoin d'une confirmation, vous pouvez faire ça pour moi?

La préposée n'avait jamais entendu pareille histoire, elle fut très émue, mon pauvre citoyen qu'elle s'est mise à me plaindre, mon pauvre pauvre citoyen, vous auriez dû faire plus attention en vous mariant, tomber sur une folle c'est pas rigolo, remarquez vous ne pouviez pas savoir avant, eh oui c'est toujours comme ça on ne la voit jamais l'anguille sous roche, les femmes c'est cruel j'en sais quelque chose, bon allez citoyen ne vous faites pas du mauvais sang, je vais voir ce que je peux faire, en attendant entrez donc par la porte de service, mettez-vous là sur la chaise, je vous apporte un café. Elle s'est mise aux petits soins pour moi la préposée, elle m'a servi un long café crème, elle me demandait si j'avais pas trop chaud parce que dans ces satanés bureaux, je cite, on cuit comme dans une cocotte. J'ai dit que non, ça va pour moi, vous êtes un ange je lui ai dit, je l'ai un peu touchée à travers le jeans, elle s'est mise à gémir ma tourterelle, son buste s'est affaissé sur la table en zinc, sa main pleine de bagues à trois francs a défait mon paquet cadeau, le bruit de nos zips respectifs a stoppé le tic-tac de la montre, on perd la notion du temps dans ces occasions-là, c'est d'ailleurs le but de l'opération, cueillir cette contraction qui vous libère de l'emprise des secondes. C'est parce qu'ils ne copulaient pas assez que les dinos ont disparu, hypothèse personnelle, ils ont laissé le temps s'avancer, il a empiété sur leur vie de cons, il les a asphyxiés le temps, ils ne se sont pas défendus avec suffisamment d'orgasmes, ils n'avaient pas notre intuition à moi et à la préposée, les mammifères que nous sommes faisons barrage de nos sexes, le temps nous obéit mieux, encore que c'est loin d'être l'idéal car les autres dans la queue derrière moi s'impatientaient à nous voir gigoter derrière l'hygiaphone, c'est pas bientôt fini? qu'ils s'exclamaient, alors on est revenu à nos moutons, la préposée s'est plongée dans l'ordinateur, nom? prénom? nom de jeune fille? ah oui suis-je bête. Année de naissance? Vous avez une pièce d'identité? Ça y est, nous y sommes citoyen, voici votre fiche, attendez je la sors, voilà, vous avez effectivement votre Baccalauréat, vous l'avez passé à Paris il y a vingt-cinq ans et je vois que vous l'avez eu avec mention, bravo citoyen, moi je n'ai que mon brevet des collèges.

Formidable! que j' hurle, vous me sauvez mademoiselle! Faites-moi une copie dare-dare, je vais les remettre à leur place à l'Institut, je vais les saigner à blanc ces mollusques, je vais leur exploser la rate, on ira aux prud'hommes, ça va être un feu d'artifice! Merci mademoiselle! Dire que je pensais du mal de l'Académie, je me disais qu'elle refuserait de m'aider! Mais non, elles ne sont pas sans cœur nos institutions, il y a encore des humanistes qui y travaillent.