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Le flic m'a emmené à l'étage (en passant dans le hall, j'ai noté qu'il faisait toujours nuit – je n'ai donc pas à m'affoler, me suis-je dit, on entend toujours parler de «nuit au poste», pour l'instant tout est normal) et m'a fait entrer dans un bureau où m'attendait un grand inspecteur moustachu dont le bon regard méridional m'a tout de suite plu – il avait au fond des yeux du pastis en terrasse. Assis en face de lui, me tournant bravement le dos, trépignait un petit chauve au crâne lourd.

– Asseyez-vous, nous allons procéder à la confrontation.

– Bonjour.

– Bonjour, asseyez-vous.

J'allais enfin pouvoir parler. Et ce grand moustachu à l'accent caillouteux (de petites pierres sèches de garrigue roulaient dans sa gorge) m'inspirait toute confiance. Je me suis installé à côté de mon accusateur, qui a raconté le premier sa version des faits, sans m'accorder un regard, même en coin (deux garnements convoqués chez le directeur – C'est lui, msieu!).

J'ai appris qu'il était coiffeur.

Je rôdais depuis plusieurs semaines devant sa boutique, j'avais sans doute remarqué qu'elle tournait bien, qu'on venait se faire coiffer en masse, j'avais peaufiné le coup dans le bar russe (il était là?) avec cet Hannibal, mon homme de main, puis nous nous étions jetés sur lui pour lui dérober son bien.

J'observais le visage du grand inspecteur provençal et sentais se diffuser progressivement en moi une vapeur chaude de plaisir et de soulagement. Je devinais qu'il se méfiait des gémissements vengeurs du martyr – présomption de mon innocence, ce qui pour un homme de police est remarquable. Il faut dire que le vieux s'exprimait avec tant de haine et d'emphase paranoïaque que même un enfant stupide aurait flairé le délire et le mensonge.

Et quand, pour la première fois depuis mon arrestation, j'ai pu à mon tour m'exprimer (indicible allégresse de l'homme libre), je me suis aperçu que le chef me croyait. J'ai su alors ce qu'était le bien-être. Tendu, sentant le roussi, le vieux fébrile m'interrompait sans cesse (toujours sans me regarder), contestait ma version avec de plus en plus de véhémence outrée, en dandinant nerveusement son gros cul sur la chaise. Comment le chef pouvait-il perdre son temps à noter mes balivernes? Après l'avoir poliment prié de se calmer, l'inspecteur Garrigue a dû hausser le ton, car les «C'est faux!» hystériques et répétés de mon adversaire finissaient par brouiller très désagréablement le cours fluide de mon histoire.

Garrigue nous a fait signer nos dépositions (en rappelant au malheureux ce que pouvait lui coûter un faux témoignage), nous a conduits hors du bureau et l'a renvoyé assez sèchement à ses lotions (j'imaginais son petit appartement obscur, quelques diplômes de coiffure, des voilages et des napperons jaunis, une odeur de renfermé célibataire, de poussière et de crèmes à cheveux, une poupée espagnole, un beau tapis, un lustre, les Ciseaux d'Or de Tourcoing, un bahut lourd, un couvre-lit satiné, et à le voir s'éloigner vers son refuge miteux, j'avais presque pitié de lui). Mais bon, c'est pas tout. Je rentre chez moi, dans mon refuge, moi aussi? Non?

– Ne vous inquiétez pas, m'a dit le chef Garrigue. Je sais que vous dites la vérité, ce type n'a pas tous ses esprits. Ne vous inquiétez pas, je vous laisse partir.

Nous marchions tranquillement côte à côte dans le commissariat. J'avais toujours les menottes, mais il me posait sur l'épaule une main presque paternelle. En quelques minutes, je venais de repasser du côté des bons citoyens, des laissés tranquilles, du côté des admis. Notre petite promenade nous a menés jusqu'en haut de l'escalier qui plongeait vers les oubliettes.

D'un bras aimable, il m'invite à passer devant.

– Laborde!

– Excusez-moi, mais… Vous me remettez en bas?

– Non non, répond-il en s'amusant gentiment de mon inquiétude, pendant que Laborde et sa clé nous rejoignent dans l'escalier. Ne vous inquiétez pas, c'est juste une petite formalité.

– Vous me rassurez. Je peux aller aux toilettes, s'il vous plaît?

– Ah, il aurait fallu y penser là-haut. Ce n'est rien, vous irez tout à l'heure, en sortant.

En bas, j'ai été mieux accueilli que la première fois: derrière la grille, Elvis me souriait.