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XX L’ATTAQUE DU MOULIN

Pendant que Guise attendait les mille hommes de renfort demandés et échangeait avec Maurevert ces macabres facéties, Maineville et Bussi-Leclerc s’approchaient en rampant du moulin, résolus qu’ils étaient à connaître le nombre exact des assiégés. C’étaient deux hardis compagnons, faisant bon marché de leur vie, et jusqu’alors, ils avaient passé à travers les dangers des escarmouches et des sièges, avec l’insolent bonheur qui s’attache aux joueurs audacieux.

Tout était silencieux et obscur dans le moulin. Mais dans le logis, une fenêtre était éclairée, comme un œil narquois fixé sur les assiégeants. Ce fut donc vers l’échelle du moulin que les deux hommes se dirigèrent; bientôt, ils eurent atteint l’étage où se trouvait la meule.

En quelques minutes, ils eurent parcouru le moulin et furent convaincus qu’il ne s’y trouvait personne. Il était évident que toute la défense s’était concentrée dans le logis du meunier. Ils allaient donc redescendre, lorsque Maineville aperçut un léger rai de lumière au pied d’un mur: il saisit Bussi-Leclerc par le bras et lui souffla à l’oreille:

– Il y a là une porte de communication…

Ils s’approchèrent de ce rayon de lumière pâle, dans l’intention non pas d’ouvrir, mais d’écouter. Mais en touchant la porte, Bussi-Leclerc s’aperçut qu’elle était simplement poussée. Avec des précautions infinies, il l’attira à lui: la porte s’ouvrit sans bruit… les deux hommes s’accroupirent sur le haut de l’escalier et purent alors dominer la salle sur laquelle ils jetèrent un regard plein de curiosité. Et alors ils tressaillirent d’étonnement. Un étrange spectacle s’offrit à leurs yeux:

Assis à une table, le chevalier de Pardaillan et le duc d’Angoulême dévoraient à belles dents un superbe jambon, tandis qu’un pâté attendait son tour et que Picouic versait à boire!… Le long d’un mur étaient rangées en bon ordre une douzaine d’arquebuses toutes chargées. Sur une table voisine s’alignaient plusieurs pistolets. Tout en mangeant et en buvant, Pardaillan et Charles continuaient une conversation déjà commencée.

– Dès demain matin, disait le chevalier, nous irons visiter ce couvent. Il faudra bien que la bohémienne parle, et nous finirons par savoir ce qu’est devenue votre jolie petite Violette… Allons, soyez gai, mon prince… Monsieur Picouic, versez-nous de ce flacon que vous avez mis de côté pour vous… je vous ai bien vu…

– Oh! monsieur, dit Picouic en s’empressant de verser, croyez bien que je ne me permettrais pas de boire du même que vous…

– Pourquoi, imbécile… puisqu’il y en a!… Tiens, bois et prends des forces… Tu n’as pas peur au moins?…

– Heu!… Ce n’est pas précisément que j’aie peur… mais…

– Mais tu trembles, poltron! Que n’es-tu aussi brave que ton ami Croasse!

– Le fait est que Croasse est très brave, dit Picouic avec la générosité d’un ami fidèle.

– Ainsi, Pardaillan, dit le duc d’Angoulême, vous pensez que cette Saïzuma en sait plus long qu’elle n’a voulu d’abord vous en dire?…

– J’en suis sûr, dit Pardaillan. Et voilà maître Picouic qui, ayant vécu avec elle, vous dira… tiens! tiens.’

Ces derniers mots, le chevalier les avait prononcés au moment où il se renversait sur le dossier de son siège pour examiner à la lumière la couleur du vin qu’il allait boire. Dans ce mouvement, sa tête s’était levée, et ses yeux avaient rencontré, au haut de l’escalier de bois, Maineville et Bussi-Leclerc, qui stupéfaits contemplaient ce spectacle. Pardaillan se mit à rire et désigna les deux hommes à Charles, qui bondit sur son épée tandis que Picouic saisissait un pistolet.

– Messieurs, dit Pardaillan, si le cœur vous en dit, je vous invite!…

Maineville et Bussi-Leclerc étaient braves, nous l’avons dit; ils se consultèrent du regard; ils n’avaient devant eux que trois hommes; la même idée leur vint: s’emparer de Pardaillan et de ses deux compagnons, les amener pieds et poings liés au duc de Guise et lui dire:

– Monseigneur, voici toute la garnison prisonnière: le moulin est libre!…

Quel joli coup d’audace! Et quel beau coup de fortune!… Ils se levèrent, saluèrent, et Maineville, le chapeau à la main, dit poliment:

– Monsieur de Pardaillan, ce sera avec plaisir que nous trinquerons avec vous si vous voulez porter la santé de M. le duc de Guise et nous accompagner ensuite auprès de lui.

Charles eut un mouvement comme pour s’élancer. Mais Pardaillan le retint.

– Monsieur de Maineville, dit-il, ce serait avec plaisir que je porterais la santé de votre maître si je ne craignais de désobliger M. d’Angoulême que voici, et qui, je ne sais pourquoi, ne peut souffrir les Lorrains; quant à vous accompagner auprès de M. de Guise, c’est encore plus impossible, vu que nous n’avons pas fini de dîner.

– C’est avec désespoir que nous interrompons votre dîner, dit alors Bussi-Leclerc, mais, par la mort-dieu, morts ou vifs, vous nous suivrez! En avant, Maineville!…

À ces mots les deux hommes, l’épée à la main, se précipitèrent. En quelques bonds, ils furent en bas de l’escalier, et Bussi-Leclerc porta sur le crâne de Picouic un tel coup de pommeau que le pauvre tomba évanoui. Entraînés par l’élan, ils se trouvèrent ainsi au milieu de la salle. Pardaillan se jeta au pied de l’escalier, leur coupant ainsi toute retraite. La porte était barricadée, comme nous croyons l’avoir dit.

Tout cela s’était passé en quelques secondes: Maineville se trouva en garde devant le duc d’Angoulême, Pardaillan devant Bussi-Leclerc… Au même instant, les épées s’engagèrent. Bussi-Leclerc porta coup sur coup deux ou trois de ses meilleures bottes: à son étonnement, elles furent parées par le chevalier, qui, tout en ferraillant, surveillait du coin de l’œil le duc d’Angoulême.

L’étonnement du fameux duelliste devint alors de la rage. Quoi!… il rencontrait donc un adversaire qui non seulement le tenait à distance, mais encore paraissait ne même pas regarder son jeu, et n’avait de regards que pour le duel voisin, comme s’il eût été simple spectateur!…

– À vous, monsieur, je vous tue! rugit-il en se fendant à fond par un coup droit.

– Bravo, mon prince, dit Pardaillan qui, dédaignant de lui répondre, avait vivement paré. Poussez… c’est cela… fendez-vous… touché!

Maineville, touché au bras, saisit son épée de la main gauche et murmurant:

– Je crois que nous nous sommes fourvoyés!…

Et furieusement, il attaqua Charles, tandis que Bussi-Leclerc, ivre de rage devant le dédain de son adversaire, portait de son côté à Pardaillan des coups jusqu’ici réputés mortels.

– Allons, allons! il faiblit! disait Pardaillan comme si Bussi-Leclerc n’eût pas existé… Ne le tuez pas, mortdiable!… j’ai une idée… liez-lui sa rapière… bon!… ah! désarmé!… tenez-le!… ficelez-le-moi! nous allons rire!…

En effet, Charles, à ce moment, venait de désarmer Maineville qui, glissant sur le parquet, était tombé sur un genou. Il lui mettait sa pointe sur la gorge et lui disait:

– Vous rendez-vous, monsieur?…

– Je me rends, fit Maineville, pâle du sang qu’il avait perdu, plus pâle encore de honte et de fureur.

À ce moment, Picouic, revenu de son évanouissement, se relevait, courait à Maineville, saisissant un paquet de cordelettes à nouer les sacs de blé, et en quelques secondes le ficelait proprement. Alors seulement Pardaillan regarda son adversaire qui, écumant, bondissait autour de lui et de sa voix la plus paisible:

– Et vous disiez donc, mon cher monsieur…

– Je disais, hurla Bussi-Leclerc, que je vais te clouer à ce mur!

Pardaillan, d’un battement sec, fit dévier la rapière dont la pointe érafla son pourpoint.

– Vous parlez de clouer, répondit-il. En effet, vous manœuvrez votre épée comme un clou. Tenez, je vais vous donner une leçon… regardez bien…

– Misérable! rugit Bussi-Leclerc…

À ce moment son épée lui sauta des mains et alla tomber à dix pas. Il voulut courir la ramasser. Mais il se heurta à Picouic qui braquait sur lui un pistolet… Bussi-Leclerc se croisa les bras, baissa la tête et pleura… Il ne pleurait pas la vie qu’il allait perdre sans aucun doute, ni la fortune qu’il perdait plus sûrement si la vie lui était laissée; il pleurait sa réputation d’invincible maître d’armes vaincu pour la première fois!… Et c’est à peine s’il s’aperçut que Picouic lui ficelait les jambes d’abord, puis les bras… puis le portait et retendait auprès de Maineville.

– Achevons de dîner, dit Pardaillan qui, ayant rengainé sa rapière, se remit à table. Ah! ça maître Picouic, à quoi pensez-vous… mon verre est vide…

– Mais que diable voulez-vous faire de ces deux hommes? demanda Charles encore tout ému de la bataille, plus ému encore de sa victoire.

– Vous l’allez voir, car voici le jour qui va se lever… En attendant, porte leur à boire, s’ils ont soif.

Picouic à qui ces derniers mots s’adressaient obéit. Maineville but d’un trait le verre de vin qui fut présenté à ses lèvres et cria: