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Il ouvrit vivement la porte et appela le chevalier d’une voix caressante.

– Ne craignez rien, dit Pardaillan en s’approchant.

– Je n’ai pas peur, monsieur. Mais vous venez de dire que sans doute, il n’y aurait pas de nouvelle attaque avant une demi-heure?

– Avant une heure, peut-être! Eh bien?…

– Eh bien, mon cher monsieur, le moment est venu de suivre l’excellent conseil que vous m’avez donné dans la journée… c’est-à-dire de faire filer mes trente mulets. Seulement… je crains… je redoute…

– Oui, vous craignez que M. de Guise, en trouvant le moulin vide, ne lance une bonne compagnie de cavaliers dont les chevaux auront vite fait de rattraper vos mulets…

– C’est cela même, mon noble ami… Vous me permettez, n’est-ce pas, de vous appeler ainsi? Car vous venez de me rendre un service, voyez-vous… c’est que j’étais responsable, moi! Et devant qui? Devant notre Saint-Père lui-même!… Mais Sa Sainteté saura tout ce qu’elle doit au chevalier de Pardaillan!… Mais me voilà bien embarrassé! si on me poursuit… il faudrait… ah! mon digne et vaillant défenseur… il faudrait…

– Il faudrait, dit Pardaillan, que la troupe du duc soit arrêtée devant le moulin jusqu’au jour pour vous permettre de prendre de l’avance…

– Je n’ai jamais vu personne d’aussi intelligent que vous, dit M. Peretti avec l’accent de la plus vive admiration.

– C’est que je suis un vieux routier habitué à toutes les malices, dit Pardaillan avec un sourire. Eh bien, partez donc. Je me charge d’arrêter l’ennemi jusqu’à demain matin.

– Quoi! vous consentez! s’écria M. Peretti, cette fois avec une émotion sincère.

– Je vous ai dit que je voulais jouer un bon tour à M. de Guise.

– Quoi! à vous seul, vous arrêterez cette bande bien armée!… Car je vous préviens que le meunier de céans et ses aides devront m’accompagner…

– Je m’en doute, car tous ces messieurs ressemblent à des meuniers comme je ressemble au pape.

M. Peretti tressaillit.

– Vous lui ressemblez peut-être plus que vous ne pensez… sinon par le visage, car notre Saint-Père est bien vieux, hélas… du moins par la force de caractère. Jeune homme, vous ne voulez pas de récompense, et je vois à votre air qu’il est inutile d’insister. Mais prenez cet anneau… et peut-être qu’en certaines occasions, il pourra vous être plus utile qu’une fortune…

À ces mots, M. Peretti glissa vivement une bague dans la main de Pardaillan, et sans y attacher d’autre importance, le chevalier la passa à un de ses doigts… Dix minutes plus tard, tandis que Picouic, Charles d’Angoulême et Pardaillan continuaient à tirer dans la nuit, au hasard, pour donner à l’ennemi l’impression que le moulin était bien défendu, les trente mulets rechargés de leurs précieux sacs sortaient par-derrière et se mettaient en route. M. Peretti suivait à cheval, escorté par le meunier et ses garçons transformés en gens de guerre. Quant aux servantes elles avaient pris à pied la route de Montmartre.

La caravane ayant atteint rapidement La Ville-l ’Évêque, celui qui paraissait être le chef des muletiers s’approcha chapeau bas de M. Peretti et lui demanda:

– C’est bien la route d’Italie que nous reprenons?

– Non, monsieur le comte, répondit M. Peretti: vous prendrez la route de La Rochelle…

Pardaillan, Charles d’Angoulême et Picouic étaient demeurés seuls dans le logis du meunier; le moulin lui-même se dressait sur l’aile gauche de ce logis, et ils communiquaient par un escalier de bois qui, partant du rez-de-chaussée du logis, aboutissait à l’étage du moulin où se manœuvrait la meule, et où on pouvait mettre en mouvement les grands bras livrés à l’action du vent. De cet étage du moulin, par une simple trappe à laquelle aboutissait une échelle, on descendait à l’étage inférieur où se recueillait la farine. Tout cet ensemble était juché sur un cône de poutres solides et pouvait pivoter de façon qu’on pût profiter du vent, quelle que fût sa direction. Ce cône de poutres était recouvert d’un bâti de planches, en sorte que cela formait un réduit où on pouvait pénétrer au besoin.

Pardaillan parcourut rapidement le logis et le moulin et se rendit compte de ces diverses dispositions.

– Voici notre quartier général, dit-il en désignant le logis, et voici notre ligne de retraite, ajouta-t-il en montrant l’escalier qui conduisait au moulin.

– Nous allons donc nous battre? demanda Picouic.

– Aurais-tu peur? dit Charles.

– Non, monseigneur, mais comme les gens de céans sont partis, je supposais.

– Alerte! cria Pardaillan.

La troupe de Guise, en effet, apparaissait à ce moment sur le petit plateau de la butte. Pardaillan ouvrit la fenêtre et cria:

– Holà messieurs! qui êtes-vous? que désirez-vous?

– Qui êtes-vous vous-même? fit dans la nuit une voix impérieuse.

– Ma foi, monseigneur duc, répondit Pardaillan, en reconnaissant la voix de Guise, je suis le meunier du joli moulin de la butte… Qu’y a-t-il pour votre service?

– Meunier ou non, dit le duc, vous avez tout à l’heure tiré sur mes gens qui montaient le sentier sans autre intention que de patrouiller. Qui que vous soyez, je vous tiens pour responsable de cette violence, si vous êtes le chef des rebelles enfermés ici. En conséquence, je vous préviens que vous serez pendu haut et court, à moins que vous ne sortiez à l’instant. Auquel cas, il vous sera fait grâce de la vie et il vous sera permis d’emmener vos hommes.

– Un instant, monseigneur, me sera-t-il permis d’emporter aussi les trente sacs pleins d’or que vous venez piller?

– Sortez, hurla le duc furieux, livrez-nous la place, ou nous allons vous donner l’assaut.

– Ah! monseigneur, si vous menacez, nous allons être forcés de faire une sortie et de vous exterminer tous…

Guise qui allait jeter un ordre s’arrêta soudain avec un geste de rage.

– Ils sont peut-être cent là-dedans! dit-il à Maineville.

Pardaillan entendit et cria:

– Nous sommes trois, monseigneur!… Trois, et c’est bien assez, savoir: M. le duc d’Angoulême, qui attend avec impatience la rencontre que vous lui avez promise; le sieur Picouic, baladin de son métier, actuellement laquais de M. d’Angoulême, et enfin, votre serviteur chevalier de Pardaillan.

– Il ment! dit une voix. Ils sont nombreux.

– Ma foi, venez-y voir, cria Pardaillan. Voyons, décidez-vous, venez… ou bien retirez-vous, car voici que nous allons mettre le moulin en branle et vous gênez le vent. Retirez-vous, ou par la mort-dieu, nous allons tirer.

Il y eut une vive débandade dans la troupe, chacun étant convaincu que le logis était défendu par une centaine d’arquebusiers. La présence du chevalier était une preuve de plus qu’une véritable armée était cachée là. Pardaillan éclata de rire et lança:

– Au revoir, monseigneur!

Et il referma tranquillement la fenêtre.

– Oui, au revoir! gronda Guise pâle de fureur.

Et il donna aussitôt ses ordres. Avec les forces dont il disposait, il forma un large cercle de surveillance autour de la butte, chaque homme avait pour mission de surveiller, et non de se battre, il devait surtout prévenir au cas où on tenterait de faire sortir du moulin tout bagage qui ressemblerait à des sacs de blé. Puis il expédia un sergent à Paris.

Deux heures plus tard, ce sergent revenait, annonçant que les ordres du duc allaient s’exécuter, c’est-à-dire qu’une troupe de mille arquebusiers allait arriver.

Pendant ces deux heures, Pardaillan et ses deux compagnons s’étaient fortement barricadés. Cependant Maineville soupçonnait que le chevalier pouvait bien avoir dit la vérité; il soupçonna surtout que les assiégés, quels qu’ils fussent, allaient cacher l’argent dans quelque réduit où il serait difficile ensuite de le trouver. Il résolut donc de pousser une pointe avec Bussi-Leclerc. Quant à Maurevert, il demeura près du duc de Guise, frémissant de joie; il tenait enfin l’ennemi tant redouté et disait au duc:

– Monseigneur, vous m’avez promis deux cent mille livres sur le butin que vous allez faire?

– C’est promis, Maurevert, tu les auras, foi de Guise!

– Eh bien, monseigneur, je veux vous proposer un échange: gardez les deux cent mille livres et donnez-moi l’homme qui vient de vous parler avec tant d’insolence.

– Je te comprends, Maurevert, dit Guise d’une voix assombrie, tu hais cet homme. Mais moi aussi, je le hais. Et nous avons un vieux compte à régler. Cela date de l’hôtel Coligny…

– Moi, c’est plus vieux encore, monseigneur.

– Bon! Eh bien, tu garderas tes deux cent mille livres, et moi je garde l’homme. Seulement, si tu veux te contenter de cent mille livres, ce qui est encore un joli denier, tu auras permission d’assister à l’entretien que j’aurai avec le Pardaillan dès que nous l’aurons pris dans son terrier.