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– Voyez-vous un autre moyen d’arrêter le Béarnais? demanda le duc avec une insolente ironie.

– Il y en a un, dit Catherine gravement, un seul… c’est d’attendre la mort de mon fils…

Guise tressaillit violemment. Catherine, à ce moment, paraissait auguste de douleur et de majesté. Elle poussa un profond soupir.

– Vous savez, dit-elle d’une voix infiniment douce et triste, que le pauvre enfant est condamné; vous savez que les médecins les plus experts ne lui accordent pas plus d’un an à vivre maintenant… Duc, écoutez-moi… Ne voyez en moi qu’une mère affligée, une chrétienne qui veut mourir en paix, en accomplissant jusqu’au bout son devoir… Henri est mon dernier enfant… tous les autres sont morts… Après lui, la dynastie des Valois est donc éteinte.

Guise, maintenant, écoutait avec une telle attention que le chapeau qu’il tenait à la main lui glissa des doigts et roula jusqu’aux pieds de Catherine sans qu’il s’en aperçût… Sur ce chapeau, la reine posa le bout de son pied…

Un imperceptible sourire, rapide et livide comme un éclair d’orage, balafra ses lèvres minces.

– Mon fils meurt dans quelques mois, reprit-elle avec ce calme terrible d’une mère qui a renoncé à tout au monde en présence de la catastrophe attendue, qui va succéder à la race des Valois éteinte?… Qui donc, sinon celui que le roi Henri III aura désigné lui-même?…

– Achevez, madame, balbutia Guise en prenant une attitude plus respectueuse.

– Et qui donc Henri III désignera-t-il, sinon celui que je lui aurai nommé moi-même? car grâce à Dieu, si je ne suis plus reine, je suis encore mère; si je n’ai plus de pouvoir à la cour, j’ai gardé tout mon pouvoir sur le cœur de mon enfant… Il reste donc uniquement à savoir qui est celui que je désignerai!… Vous voyez, duc, que je puis encore beaucoup… et que moi morte… car je mourrai de la mort de mon fils… c’est encore celui qui m’aura agréé qui aura le plus de chance de régner sur ce pays…

– Et celui-là, madame, palpita Guise, qui est-il?…

À ces mots, Catherine comprit que la victoire lui appartenait. Elle vit tout le travail qui venait de s’accomplir dans l’esprit de Guise, et qu’il se rendait à discrétion.

– Celui-là, dit-elle avec cette sorte d’indifférence qu’elle avait adoptée, celui-là, c’est celui qui m’aidera, je veux dire aidera mon fils à terrasser pour toujours le Béarnais… Par la naissance, la force, l’énergie et la grandeur, je ne vois qu’un homme capable de remplir ce rôle: c’est vous, mon cousin.

Guise s’inclina profondément, prêt à s’agenouiller devant cette femme si vraiment supérieure par sa connaissance du cœur humain. Le duc frémissait d’espoir et d’orgueil. Ce que lui offrait Catherine, c’était la royauté assurée, la royauté sans la conquête, sans la guerre avec Henri III, sans la guerre avec les huguenots, la victoire sûre, la reconnaissance de ses prétentions par le roi légitime!… Et pour cela, que lui demandait-on en revanche?…

D’attendre que le roi fût mort.

Pas d’avantage. Un an à peine, et Guise était roi sans contestation possible. Un an?… Qui savait?… Et si la mort était trop lente au gré du prétendant, ne pouvait-on la hâter?…

Voilà les effroyables pensées qui s’agitaient à cette minute dans l’esprit de Guise. Et il éprouvait un immense soulagement à se dire que l’intervention de la vieille reine arrangerait la situation d’un seul coup. Ainsi le duc de Guise, qui une heure avant était résolu à pousser sa victoire, à se faire sacrer roi et à commencer la guerre, songeait maintenant à faire de la diplomatie.

Guise était un loup: il oublia qu’il devait agir en loup… En cette minute, peut-être, il consentit sa perte! Aux dernières paroles de Catherine, il répondit en se redressant:

– Madame, quand voulez-vous que j’aille chercher le roi pour le ramener triomphant à son Louvre?

Catherine ferma un instant les paupières comme pour réfléchir, en réalité pour voiler l’éclair de malice et de gaieté sinistre qui pétillait dans ses yeux.

– Mon cousin, dit-elle, nous irons ensemble. Mais pour nos Parisiens, il faudra que la rentrée de mon fils soit précédée de quelque discussion. Ne craignez pas de demander beaucoup… pour vous et pour vos amis: il ne faut pas que vous ayez eu l’air de vous soumettre, si vous voulez que les ligueurs vous demeurent fidèles au jour… prochain hélas! où vous serez sacré Majesté…

– Madame, dit Guise ébloui, j’admire la profondeur de votre génie. Il sera donc fait comme vous dites. Je me présenterai au roi en lieutenant-général de la Ligue… et non…

– Et non en sujet par trop fidèle! acheva Catherine avec un sourire aigu. Seulement, prenez-y garde: vous aurez à combattre de redoutables malveillances… À propos, ajouta-t-elle en toussant et en jetant un rapide regard vers la tapisserie, il sera de toute nécessité de vous assurer le concours de Rome…

Le duc de Guise haussa les épaules.

– Rome! fit-il sourdement. Tenez, madame, il est temps que le pape s’occupe un peu plus des affaires de l’Église et un peu moins des affaires de la France. Le roi votre fils a montré jusqu’ici une incroyable faiblesse vis-à-vis de Sixte…

– Le roi de France est le fils aîné de l’Église…

– Soit! Mais à condition que le pape se montre bon père. Sixte est envahissant. Ce vieillard ombrageux, hypocrite et ambitieux à l’excès, rêve peut-être je ne sais quel asservissement du royaume. Il faudra compter…

– Prenez garde, mon fils… Sixte est puissant…

– Il l’a été, madame!… Nous pouvons aujourd’hui nous passer de lui. Par son despotisme, il s’est attiré la haine d’une foule de cardinaux. Qu’il prenne garde lui-même! le gardeur de pourceaux a lassé la patience des princes: et je sais qu’un conclave secret…

Guise s’arrêta soudain.

– Eh bien? fit Catherine. Achevez, duc, puisque nous sommes alliés!

– Ce que je pourrais dire à Votre Majesté est tellement incroyable que j’ose à peine le croire moi-même… Seulement sachez ceci: c’est que si la chrétienté a comme chef visible Sixte Quint, elle a aussi un chef occulte… Et c’est à ce dernier qu’obéira la Ligue, madame!… Sixte m’avait promis deux millions. Où sont-ils? Sixte m’avait promis l’appui de Philippe d’Espagne, et Philippe me boude. Sixte joue double jeu. Quand je le voudrai… quand je le pourrai, du moins…

– C’est-à-dire quand vous aurez succédé à mon fils…

– Oui, madame! dit Guise enivré. Eh bien, ce jour-là, Sixte verra se dresser devant lui un autre pape plus puissant.

– Oh! ceci est impossible!… Un schisme!… Vous songeriez à un schisme!…

– Pourquoi pas, madame! Si le schisme assure la prédominance du pouvoir royal!

– Hélas! dit Catherine en secouant la tête. Je ne souhaite rien voir de ce que vous m’annoncez là… je ne souhaite plus qu’une seule chose au monde… C’est que mon fils vive à peu près tranquille les deux mois qui lui reste à vivre… après quoi je m’éteindrai, n’ayant plus rien à faire sur cette terre.

Guise s’inclina avec une apparente émotion. Puis il alla lui-même ouvrir la porte. Son escorte apparut aux yeux de la vieille reine… une quarantaine de seigneurs armés en guerre, cuirassés et prêts à monter à cheval.

– Messieurs, dit à haute voix le duc de Guise, Sa Majesté la reine a bien voulu me promettre en ce jour mémorable d’employer son crédit à faire cesser la guerre qui désole Paris et le royaume… Messieurs, vive la reine!…

Et Guise accompagna ces paroles d’un regard si impératif que ces gentilshommes, malgré leur stupéfaction, crièrent d’une seule voix:

– Vive la reine!…

– La reine, messieurs, reprit alors Guise, a accepté et promis de faire accepter par Sa Majesté le roi les articles les plus importants de notre Sainte Ligue. Chacun de nous ne peut trouver qu’honneur et profit à la paix qu’elle va nous préparer!

Cette fois, la stupéfaction s’accentua. Cette escorte qui était venue pour arrêter Catherine, pour en faire un otage, assistait avec stupeur et presque avec angoisse à cette réconciliation imprévue.

– Messieurs, dit alors Catherine, veuillez préparer un cahier de vos désirs: je réponds de le faire accepter par le roi. Je réponds de faire convoquer au plus tôt les états généraux.

– Vive la reine! répéta le duc.

– Vive la reine! crièrent les gens de Guise qui commencèrent aussitôt à se retirer.

La reine mère debout, appuyée à son fauteuil, les regardait s’éloigner en souriant. Lorsque le dernier d’entre eux eut disparu, elle abaissa lentement son regard sur le bracelet talismanique qu’elle portait au poignet gauche et murmura:

– Ruggieri n’a pas menti. Ces pierres diaboliques m’ont vraiment inspiré les paroles nécessaires… Oui, ajouta-t-elle avec un grondement de haine… les paroles qui tuent! mon fils vivra!… mon fils régnera!… Et toi, misérable Lorrain, orgueilleux imbécile… prépare-toi à mourir!…