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– Voici, dit-il alors une bague que Charles IX a donnée à ma mère le jour de ma naissance. Ma mère l’a retirée de son doigt lorsque je l’ai quittée, et me l’a donnée en me disant que ce serait la bague de fiançailles de celle que je choisirais pour épouse…

Il s’arrêta. Un nuage passa devant ses yeux. C’est à peine s’il entendait le son de sa propre voix. Il éprouvait une de ces émotions très douces et très pures, d’une fraîcheur d’aurore, qu’on n’éprouve qu’une fois dans la vie. Pour Violetta, c’était un sentiment de félicité qui la transposait hors la réalité.

Charles posa la bague sur la table. Puis, de sa main tremblante, il versa dans la coupe quelques gouttes du vin vermeil qui tombèrent pareilles à des rubis qu’on enchâsse dans l’or. Et alors, cette coupe, il la tendit à Violetta qui la prit en exhalant un léger soupir.

– Depuis Charles IX, dit le jeune duc, nul n’a posé ses lèvres sur les bords de cette coupe. Chère Violetta, on dit que chez les bohémiens parmi lesquels vous avez vécu existe une coutume poétique et touchante. On dit que la vierge qui choisit un époux boit dans un verre et le tend ensuite à celui qu’elle a élu… Est-ce vrai?

– C’est vrai, mon cher seigneur, dit Violetta en soulevant la coupe d’or, tandis que son visage pâlissait; et elle était en ce moment avec sa tunique blanche de condamnée, ses longs cheveux d’or épandus sur ses épaules, dans ce geste gracieux qu’elle faisait, semblable à l’une de ces nymphes dont parle Virgile. C’est vrai, cette coutume existe. Et puisque je suis à demi-bohémienne, mon seigneur, cette coutume, je veux l’adopter aujourd’hui. Et vous voyez, je bois dans la coupe…

À ces mots, elle trempa ses lèvres dans le liquide vermeil.

Puis, avec un sourire plus doux qu’un baiser, elle tendit le gobelet d’or à Charles qui le saisit en frémissant et le vida d’un trait. Alors, tout pâle, la tête perdue, palpitant, il prit la bague et la passa au doigt de Violetta en balbutiant:

– Voilà la bague de fiançailles que m’a donnée ma mère. Elle est à vous, Violetta, et vous êtes ma douce fiancée, comme vous étiez l’élue de mon cœur dès la minute où je vous vis pour la première fois…

Enivrés tous deux, extasiés et frémissants, leurs mains se cherchaient, leurs regards s’enlaçaient, leurs bras, vaguement, s’ouvraient pour une étreinte… À ce moment, on frappa à la porte. Presque aussitôt, un serviteur familier du duc entra, et Charles courut au devant de lui.

– C’est le prince Farnèse? demanda-t-il ardemment.

– Non, monseigneur, mais un jeune gentilhomme qui vient de sa part, ainsi que du chevalier de Pardaillan et de maître Claude…

– Mon père! murmura Violetta. Mon père est donc parti…

Charles saisit la main de la jeune fille.

– Chère âme, dit-il, violemment ramené du rêve à la réalité, à ce mystère dont Claude s’était enveloppé, dans quelques instants, je vais savoir où est votre père, et nous irons le rejoindre… ne craignez rien… il nous attend… ils nous attendent.

Sur ces mots qui réunissaient dans son esprit Claude et Farnèse, il s’élança dans la grande salle où attendait le jeune gentilhomme annoncé, et Violetta attendit palpitante, mais rassurée… car que pouvait-elle craindre là où se trouvait celui qui était son fiancé?…

Le jeune duc salua avec une chaleureuse politesse celui qu’il pouvait considérer comme un ami, puisqu’il venait au nom de Pardaillan, de Farnèse et de Claude, et il lui souhaita la bienvenue. Le messager s’inclina et demanda:

– C’est bien à Monseigneur Charles de Valois, comte d’Auvergne et duc d’Angoulême que j’ai l’honneur de parler?

– Une femme! murmura Charles. Oui… monsieur, répondit-il en appuyant sur ce dernier mot.

– Monseigneur, reprit la Fausta, mon nom ne vous apprendrait rien. C’est le nom d’une pauvre femme trahie, trompée, bafouée, réduite au désespoir par l’homme qui règne en ce moment sur Paris…

– Le duc de Guise!

– Oui. Et c’est pour me venger de lui, du moins je l’espère, que j’ai pris ce costume qui m’a permis d’entrer dans Paris et de m’y mouvoir à l’aise. Mais ceci importe peu. Ce que je vous en dis, c’est seulement pour m’excuser de demeurer simplement pour vous la messagère de vos amis.

– Oh! madame, il n’est pas besoin d’excuse. Je serais indigne du nom que je porte si en vous demandant votre nom, je jetais une seule inquiétude dans votre esprit. Votre cause d’ailleurs m’est sympathique, puisque vous aussi vous êtes une victime de Guise.

– Ne parlons donc plus de cet homme, dit Fausta en prenant place dans le fauteuil que lui désignait Charles, et venons-en au message que j’ai accepté de vous transmettre.

– J’attends avec impatience, je vous l’avoue…

La position de Fausta était périlleuse. Avec cette froide audace qui présidait à ses actes, elle était entrée dans l’inconnu. Elle savait peu de chose. Et ce qu’elle ne savait pas, il fallait obliger Charles à le dire lui-même.

– Monseigneur, dit-elle, permettez-moi une question. Vos trois amis m’ont paru s’inquiéter fort d’un détail auquel en ma qualité de femme… qui a aimé et souffert… Je me suis vivement intéressée. La jeune fille qu’ils nommaient Violetta, est-elle encore ici, dans cet hôtel?

– Elle y est, dit Charles sans aucun soupçon, tant la voix de cette inconnue lui inspirait de franche sympathie.

– Loué soit le Seigneur! fit-elle d’un accent de sensibilité. M. de Pardaillan sera bien heureux. Car c’est lui surtout qui m’a semblé inquiet… Sans doute il aime cette jeune fille?… Pardonnez-moi… mais ce digne gentilhomme m’a paru si bouleversé…

– Pardaillan aime sans doute Violetta, fit Charles en souriant, bien qu’il la connaisse depuis peu. Mais s’il vous a paru si inquiet, je reconnais là sa généreuse amitié. Car Violetta, madame, c’est ma fiancée, et moi j’ai le bonheur d’être l’ami du chevalier.

À ces mots, Fausta hocha la tête en signe de sympathie. Mais sans doute elle dut faire un terrible effort pour ne laisser échapper ni un mot, ni un cri, ni un geste, car sous son masque elle devint très pâle.

Ce qu’elle venait d’apprendre la bouleversait. C’était le renversement immédiat, brusque, foudroyant de toute sa pensée et de tout son sentiment. Violetta n’était pas l’amante de Pardaillan! Violetta était la fiancée de Charles d’Angoulême!… Elle ne put retenir un soupir qui était peut-être la manifestation d’une joie puissante et profonde. Cette joie s’en rendait-elle compte à ce moment? Est-ce qu’elle savait?

Pour dire quelque chose, pour gagner du temps et tâcher de voir clair en elle-même, elle reprit:

– Je ne m’étonne plus maintenant de l’intérêt que semblait témoigner M. de Pardaillan, à cette jeune fille… puisqu’elle est votre fiancée… Ce gentilhomme paraît avoir pour vous une immense affection…

– Oui, dit Charles attendri; Pardaillan est mon ami, Pardaillan est dans ma vie comme un dieu tutélaire; je ne lui dois pas seulement d’avoir été sauvé et d’être encore vivant… je lui dois mes joies les plus précieuses… Si j’ai retrouvé celle que j’aime, si elle n’est pas morte, c’est encore à lui que je le dois…

– Quoi! s’écria Fausta, cette pauvre enfant s’est donc trouvée en danger de mort?…

La question était si naturelle, la voix si sympathique et le besoin d’expansion est si puissant chez les amoureux que Charles se mit à faire le récit des événements de la place de Grève, en insistant, bien entendu, sur l’héroïsme du chevalier de Pardaillan.

Fausta, tout en l’écoutant avec attention, faisait son plan, changeait ses batteries et décidait du sort de Violetta.

La tuer?… À quoi bon maintenant?… Écarter à tout jamais la fille du duc de Guise, cela suffisait. Et la situation s’éclaircissait ainsi:

S’emparer de Charles d’Angoulême, ennemi de Guise, obstacle possible et même certain dans la marche au trône. Écarter Violetta, autre obstacle.

Pardaillan était pris ou allait l’être. Farnèse et Claude étaient ses prisonniers, et dès le soir même, le tribunal secret allait les condamner à mort. Il ne s’agissait donc que de s’emparer du duc d’Angoulême et d’éloigner Violetta. C’est sur ce double problème que se concentra toute la force de calcul et de volonté de la Fausta.

Lorsque Charles eut achevé son récit ému, débordant d’amour pour sa fiancée, d’affection et de reconnaissance pour le chevalier, elle reprit donc:

– Je comprends tout maintenant. Ces gentilshommes, dans leur hâte, n’ont pu me donner que des renseignements incomplets. Et je ne comprenais pas bien le mystérieux rendez-vous qu’ils vous assignaient.

– Un rendez-vous? fit Charles étonné.

– Je vois qu’il faut que je vous raconte les choses de point en point. Comme je vous l’ai dit, monseigneur, surveillée, traquée, je suis entrée dans Paris à la faveur de ce déguisement. Franchise pour confiance: laissez-moi vous dire que ce n’est nullement une question d’amour qui m’anime contre celui qu’on appelle le roi de Paris et le pilier de l’Église… Pour tout vous dire d’un mot, je suis de la religion… ce qu’ils nomment une huguenote…