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XL LE MARIAGE DE VIOLETTA (suite)

Après le départ de Claude, le duc d’Angoulême était demeuré quelques minutes pensif, sans pouvoir détacher son esprit de cette figure sombre et rayonnante qui lui inspirait un indéfinissable sentiment: pitié, sympathie, effroi, et surtout une curiosité frémissante pour ce secret que Claude avait emporté. Sans nul doute, ce secret était terrible, Violetta le savait. Mais Charles avait juré de ne jamais interroger la jeune fille.

Bientôt la pensée de Charles prit un autre cours. L’amour, dans ce qu’il a de pur, de généreux et d’enthousiaste, l’amour tel que tout homme l’a éprouvé une fois à l’aurore de la vingtième année et qui laissera sur sa vie un parfum de poésie, l’amour vibrait dans son cœur et le faisait palpiter.

Quelques mois à peine le séparaient du bienheureux jour où Violetta lui était apparue… où l’amour était né dans son cœur sous le premier rayon de son regard.

Un jour à Orléans, comme il passait près de la cathédrale avec quelques jeunes seigneurs pour aller chasser la sarcelle dans les îlots de la Loire, il vit un rassemblement de peuple et de bourgeois autour d’une voiture de saltimbanques – rare plaisir pour une ville paisible et morose.

Les hommes regardaient avec admiration deux grands diables d’une exorbitante maigreur, dont l’un avalait des cailloux et faisait entrer par la bouche jusqu’au fond de son estomac un estramaçon d’acier tandis que l’autre absorbait, avec des grimaces de satisfaction qui secouaient de rire les panses environnantes, des étoupes enflammées.

Quant aux femmes, elles ouvraient des yeux ébahis, remplis d’effroi et de curiosité, à la vue d’une bohémienne masquée de rouge, dont les splendides cheveux retombaient sur son manteau bariolé. Cette bohémienne disait la bonne aventure à qui voulait bien lui confier sa main.

Mais le jeune duc d’Angoulême ne regardait ni la mystérieuse bohémienne au masque rouge, ni les deux géants maigres, ni le maître de ces bateleurs. Son regard s’était fixé sans pouvoir s’en détacher sur une jeune fille pauvrement vêtue, mais si jolie, si douce à voir et à entendre, qu’il lui semblait que l’une des saintes de la cathédrale s’était détachée des vitraux pour venir lui sourire. Elle était assise sur le devant de la misérable roulotte et, s’accompagnant d’une guitare italienne, chantait d’une voix mélancolique et pure qui allait à l’âme.

Fut-ce hasard? Fut-ce attirance magnétique?… Les yeux de la jolie chanteuse adorable à voir dans sa pose craintive et fière à la fois, rencontrèrent les yeux du jeune seigneur. De ce regard datait l’amour de Violetta et de Charles…

Lorsque les compagnons du duc d’Angoulême lui frappèrent sur l’épaule, il parut revenir d’un beau songe lointain. Il était là comme en extase. Et pourtant, l’enchanteresse vision avait disparu: la voix d’or s’était tue; la petite chanteuse était rentrée dans l’intérieur de la roulotte.

La troupe de bateleurs séjourna à Orléans jusqu’au jour où l’archiprêtre se plaignit au capitaine-chevalier du guet, lequel, sans autre forme de procès, accorda deux heures aux saltimbanques pour quitter la ville.

Pendant ces journées, plus de vingt fois, Charles revit la jolie chanteuse aux yeux de violette. Vingt fois, il voulut s’approcher d’elle, et lui parler… pour lui dire quoi? il ne savait pas. Jamais il n’osa…

Violetta partie, le courage lui revint; il se reprocha amèrement sa timidité, sans savoir qu’il n’y a pas de véritable amoureux qui ne soit épouvanté à la pensée de parler à l’adorée.

Charles monta à cheval, parcourut tout un jour les environs d’Orléans fouilla la forêt de Marchenoir, poussa jusqu’à Vendôme et revint harassé, désespéré, tout mélancolique et tout soupirant. Le temps passa. Mais le temps, qui est un baume guérisseur pour les maux de l’âme, fut pour lui ce qu’est l’huile sur le feu. Cet amour grandit dans le silence; l’image de Violetta vécut dès lors d’une vie intense dans la pensée du jeune duc.

Tels étaient les souvenirs qui s’évoquaient dans l’esprit de Charles d’Angoulême à cette minute où il venait enfin d’être réuni à celle qu’il aimait. Ces souvenirs venaient de passer dans son imagination en scènes rapides. L’horreur des scènes affreuses de la place de Grève, la crainte de ce qui pouvait arriver dans l’avenir, cette sourde angoisse même qui s’était dégagée des mystérieuses paroles de Claude, tout cela disparut, il n’y eut plus de vivant en lui que la joie profonde, étonnée, ravie de pouvoir se répéter:

– Elle est là, derrière cette porte… c’est bien elle qui est là!…

Il entra, Violetta, à sa vue, se leva, fit deux pas rapides vers lui et lui tendit les mains en murmurant:

– Vous voici donc, mon cher seigneur… je vous attendais…

Elle était un peu pâle. Et dans ses grands yeux fixés sur lui, elle laissait éclater son amour et sa joie. Car Violetta ignorait qu’il fût mal d’aimer. C’était une fleur sauvage, avons-nous dit. Et tout naturellement, elle se tournait vers l’amour, qui est le soleil de cette fleur.

Charles, ébloui, saisit une main de Violetta et la porta à ses lèvres, dans un geste plus courtois qu’ardent, mais qui lui permettait de cacher son trouble. Il palpitait. Il était tremblant et ne savait ce qu’il devait dire. Alors, dans une inspiration soudaine, il la conduisit au pied d’un grand portrait où souriait une femme aux traits empreints d’une douceur mélancolique et, simplement, il dit:

– Ma mère…

Violetta leva vivement les yeux vers le portrait, joignit les mains et dit:

– Comme elle est belle, mon cher seigneur! Comme elle doit être bonne!… Et comme elle a dû aimer celui qu’elle aimait!…

Avec l’infinie science de l’instinct, Violetta venait de résumer Marie Touchet tout entière dans ces trois traits: la beauté, la bonté, l’amour…

– Celui qu’elle aimait… reprit Charles, ravi de la plus douce émotion.

Et il conduisit alors Violetta au pied d’un autre portrait et dit:

– Mon père, le roi Charles IX, tel qu’il était deux ans avant sa mort…

Violetta considéra le portrait avec une remarquable attention, puis elle murmura:

– Pauvre petit roi!…

Charles d’Angoulême tressaillit. Il n’était pas possible de trouver un mot plus convenable pour traduire l’impression rendue par le peintre de ce roi chétif, pâle, dans les yeux troubles duquel pointait déjà l’aube livide des folies.

– Vous le plaignez? fit doucement le duc.

– Oui, il a dû beaucoup souffrir…

Charles se détourna, alla à un vieux bahut orné de précieuses sculptures sur bois, l’ouvrit et en sortit un flacon contenant un vin vermeil, puis un gobelet d’or ciselé qui se trouvait enfermé dans un écrin. Il déposa ces deux objets sur la table.

– Voici, dit-il, la coupe où buvait mon père. Le jour où il mourut, ma mère se trouva un instant près de lui. Il lui demanda de lui verser à boire une dernière fois dans ce gobelet que ma mère avait acheté à Diane de France, fille de François Ier , pour en faire présent à celui que vous appelez «pauvre petit roi». Cette coupe a été jadis ciselée par les mains de Benvenuto Cellini. Elle a servi à François Ier . Diane de France, qui la tenait de son royal père, consentit à grand-peine à la remettre à ma pauvre mère contre un collier d’émeraudes d’une valeur de mille écus d’or…

Il parlait très doucement, en la regardant avec une tendresse infinie. Elle écoutait et souriait. Ils causaient ainsi, sans émotion apparente, de choses qui ne se rattachaient pas à leur amour. De leur amour, ils ne disaient pas un mot. Mais toutes les paroles, tous les gestes de Charles indiquaient qu’il faisait entrer Violetta dans l’intimité de la maison, qu’elle avait droit dès ce moment de faire partie de la famille. Et l’amour absent de leurs paroles débordait de leurs regards, et chacun de leurs gestes était une caresse.

– Voyez, continua Charles, le grand artiste a représenté tout autour de cette coupe des êtres aériens qui voltigent pareils à des papillons sur des fleurs et qui soutiennent une banderole sur laquelle François Ier voulait faire graver une devise… Il oublia. Et ce fut Charles IX qui confia à un orfèvre le soin de placer sur cette banderole la devise qu’il avait trouvée pour ma mère…

Violetta, dans ses doigts fins et pâles, faisait tourner la coupe, magnifique joyau dont l’or bruni par le temps jetait des feux sombres.

– Lisez, dit Charles.

– Je ne sais pas lire, dit-elle, sans embarras.

– Ah!… Je vous apprendrai, moi, si vous voulez… Cette devise, donc, c’est celle de ma mère: Je charme tout…

– Oh! la jolie devise, fit Violetta d’une voix qui pénétra jusqu’à l’âme du jeune homme. Et comme elle convient à miracle à cette bonne et belle demoiselle!…

«Comme elle vous convient, à vous!» murmura Charles en lui-même.

Mais il n’osa pas dire tout haut ce qu’il venait de penser. Ils se regardèrent en souriant. Et c’était une minute d’un charme infini… Charles, tremblant, tira alors du bahut un autre écrin qui contenait plusieurs bijoux, et notamment des bracelets et des bagues enrichis de diamants. Parmi ces bagues, il en était une toute simple, en or mat, qui portait une seule perle incrustée dans les dents du chaton délicat, joyau fragile, d’une finesse admirable.