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– Tuez-le! tuez-le! vociférait Guise.

– Je suis vaincue! Je suis maudite! gronda Fausta.

La mêlée entre les gardes et les truands se faisait plus violente; des gentilshommes dévalaient de l’estrade et couraient sur Pardaillan, la dague levée. Pardaillan jeta la jeune fille dans les bras de Charles, et d’une voix intraduisible, dit:

– Voici votre fiancée…

Charles d’Angoulême, déchiré lui-même, en lambeaux, délirant, croyant vivre un rêve fabuleux, ses forces centuplées par la frénésie de cette minute, reçut Violetta qui à ce moment ouvrit les yeux, ses doux yeux de violette, d’où tout effroi avait disparu…

Il y eut entre eux un regard qui eut la durée d’un éclair… Et ce fut dans le tumulte déchaîné, dans le bondissement des démons tout autour d’eux dans la fumée qui montait du bûcher de Madeleine, dans la lueur des flammes, ce fut la confirmation de leur amour, comme un baiser très doux dans un majestueux et terrible décor d’enfer.

– En avant! rugit Pardaillan.

Et suivi de Charles qui, ayant jeté son épée, portait dans ses bras Violetta, il marcha. Où allait-il?… Vers quel point de cette place que les flots démontés du peuple battaient de leurs tourbillons? Allait-il au hasard?…

Non!… il avait vu d’un coup d’œil la ligne de retraite possible… Possible?… Impossible à concevoir!… Mais il avait conçu cela, lui!… Et ce qu’il avait conçu, rêve ou réalité, simple geste ou prodige, il l’exécutait!… Il l’exécutait avec son sourire railleur, une pointe de moquerie aux lèvres… Que voulait-il, tandis qu’autour de lui l’effroyable mêlée des truands lui formait comme une carapace humaine, une ceinture d’aciers qui fulguraient avec des lueurs rouges?…

– Les chevaux! dit-il en désignant à Charles les montures de l’escorte massées près de l’estrade.

C’est aux chevaux qu’il marcha.

– Meurs donc, démon! hurla quelqu’un devant lui.

En même temps, ce quelqu’un tomba assommé, mort peut-être.

– Tiens, c’est M. de Maineville, fit Pardaillan.

Et cette fois, il saisit sa rapière par la poignée. Et il se mit en marche. Il ne courait pas. Ce n’était plus la ruée de tout à l’heure. C’était une marche dans un enveloppement d’éclairs. La rapière tourbillonnait, pointait, frappait, sifflait; sur la route sanglante, des gens tombaient… et Pardaillan blessé aux deux bras, blessé à la gorge, blessé à la poitrine, ses vêtements en loques, pareil à une statue rouge, éclaboussé de sang du front aux pieds, marchait, couvrant de son prodigieux moulinet Charles et Violetta, les deux petits, les deux amoureux qui se regardaient, ayant peut-être oublié dans cette minute adorable et terrible où ils étaient pour se dire qu’ils s’aimaient et s’aimeraient toujours!…

Pardaillan atteignit les chevaux au moment où une vingtaine de gentilshommes se ruaient sur lui tous ensemble. Il mit son épée en travers de ses dents.

– Tue! Tue! vociférèrent les gentilshommes.

Pardaillan empoigna Charles, tenant Violetta, et les souleva tous deux d’un terrible effort: Charles se trouva à cheval, Violetta assise devant lui, sur l’encolure, l’enlaçant d’un de ses bras.

– Tue! Tue! rugirent les assaillants…

Ils étaient sur lui… Les truands décimés avaient fui!… La foule revenait à la charge avec une clameur sauvage, comprenant enfin qu’on lui enlevait une Fourcaude, et que la fête serait manquée et que l’un des deux bûchers ne s’allumerait pas! Tous les gentilshommes de l’estrade étaient descendus; les archers, les hallebardiers avaient reformé leurs rangs…

Pardaillan vit qu’il était seul!…

Seul contre deux ou trois cents gentilshommes… Seul contre cinq ou six cents gardes!… Seul contre vingt mille furieux qui couvraient la Grève!…

Pardaillan sourit…

* * * * *

– Ô vous que j’aime, murmura Charles, que ma dernière parole soit une parole de bonheur… je vous aime!…

– Ô mon beau prince, dit Violetta extasiée, je vous aime, et mon bonheur est grand de mourir dans vos bras… je vous aime!…

À cet instant, l’immense clameur de mort et de joie affreuse devint de nouveau une clameur d’épouvante… Charles regarda au loin… Autour de lui, tout à coup, la place se vidait… Et il vit que partout on fuyait… Les gentilshommes fuyaient, les gardes fuyaient, le peuple fuyait. Et seule maintenant sur l’estrade, Fausta, haletante, rugissait une suprême imprécation de rage…

Partout, vers le fleuve, vers les rues, des torrents d’hommes se précipitaient… Que se passait-il?…

Les chevaux de l’escorte, pris de folie sans doute, s’étaient débandés…

Près de quatre cents chevaux lâchés, furieux, hennissant, ruant, affolés encore par les cris de détresse, renversant des groupes, les écrasant, les culbutant de leurs poitrails, galopant dans tous les sens, les uns seuls, d’autres par bandes, d’autres se heurtant, se mordant, tombant, se relevant et reprenant leur course insensée…

Comment?… Pourquoi cette folie soudaine? pourquoi lâchés?

Les chevaux de l’escorte, quelques secondes avant, étaient encore massés près de l’estrade, tenus par groupes de six, de huit, de dix, dont toutes les brides étaient dans la main d’un laquais pour chaque groupe.

À la seconde où les truands furent dispersés, où les gardes se reformèrent, où les gentilshommes se ruèrent, où Charles fut placé, jeté à cheval avec Violetta, Pardaillan bondit sur le laquais le plus proche de lui, et l’envoya rouler sur le sol d’une furieuse poussée; en même temps, il se mit à cravacher les chevaux de sa rapière: la rapière, transformée en cravache cingla des croupes, fouetta des naseaux, zébra d’estafilades sanglantes des poitrails et des encolures…

Et les chevaux fous de douleur, se cabrant, se dressant, se mordant et ruant, se précipitèrent en une galopade éperdue. Pardaillan s’élança sur un deuxième groupe: même manœuvre, mêmes cinglements, même fuite enragée des bêtes affolées… et il allait se ruer sur un troisième groupe lorsqu’il s’arrêta, soufflant, suant une sueur rouge, et partit d’un de ces formidables éclats de rire comme il en avait eu deux ou trois dans sa vie…

Maintenant, c’étaient les chevaux eux-mêmes qui faisaient sa besogne!…

Les premiers débandés renversaient les laquais, la panique infernale gagnait de groupe à groupe avec la foudroyante rapidité de toutes les paniques; les laquais renversés lâchaient leurs brides; les chevaux échappés, d’abord une vingtaine, furent cinquante en quelques secondes, quatre cents en moins d’une minute, et ce fut sur la place, dans tous les sens, parmi des imprécations, des cris de rage et de douleur, des hennissements furieux, la chevauchée de l’Apocalypse, les quatre cents bêtes furieuses balayant la Grève à coups de poitrail, tandis que le bûcher de Madeleine Fourcaud jetait une dernière lueur, et que toute seule sur l’estrade, devant cette débâcle qui anéantissait ses projets, Fausta tomba sur un fauteuil, évanouie…

Charles d’Angoulême, fou de stupéfaction devant ce prodigieux spectacle, entendit tout à coup une voix éclatante:

– En avant, par tous les diables! C’est bien le moment de vous extasier d’amour!…

Il vit Pardaillan près de lui… Pardaillan monté sur un cheval qu’il venait d’arrêter par la bride… Pardaillan ruisselant de sang et de sueur, terrible, flamboyant.

– En avant! rugit Pardaillan.

Et il s’élança vers le point de la Grève où il n’y avait plus personne, c’est-à-dire vers le fleuve, la foule ayant redouté d’être poussée à l’eau, et ayant fui surtout par les rues. Charles suivit… En quelques instants, ils eurent gagné la ligne des berges…

– Fuyez, dit Pardaillan. Gagnez votre hôtel et attendez-moi là…

– Et vous? haleta le jeune duc.

– On nous poursuit. Je vais tâcher de les entraîner. Si nous fuyons ensemble, on saura où nous sommes, et ce sera encore un siège après la jolie bagarre que nous venons d’avoir.

– Mais…

– Fuyez, par l’enfer!… Les voici!…

Pardaillan, levant sa rapière, cingla la croupe du cheval de Charles, qui partit à fond de train. Quant à lui, il demeura sur place, immobile, regardant d’un œil étrange la tunique blanche de Violetta qui s’envolait et bientôt disparut au loin… Charles était sauvé!… Violetta était sauvée!

Pardaillan poussa un profond soupir. Son regard s’embua… Que lui rappelait donc cette tunique blanche qui venait de disparaître?… Quels héroïques et charmants souvenirs se levaient dans l’âme du héros?… Un nom, tout bas, à peine murmuré, voltigea sur ses lèvres… Le nom de celle qui avait été sa bien-aimée, à lui…

À ce moment, tout près de lui, un long hurlement, venant de la place de Grève, retentit. Pardaillan tressaillit violemment, comme un homme arraché à un beau rêve, et avec une sorte d’étonnement plus héroïque peut-être que tout ce qu’il venait de faire, il se retourna et regarda.