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– Mignon, sois plein comme un œuf, sois bon comme le pain, sois sage comme le sel, sois droit comme une allumette.

On trouvera peut-être tant soit peut enfantin de raconter ces choses. Mais, après tout, chacun est libre, et, à moi, il m’agrée de revenir, par songerie, dans mon premier maillot et dans mon berceau de mûrier et dans mon chariot à roulettes, car, là, je ressuscite le bonheur de ma mère dans ses plus doux tressaillements.

Quand j’eus six mois, on me délivra de la bande qui enveloppait mes langes (car Nanounet, ma mère-grand, avait très fort recommandé de me tenir serré à point, parce que, disait-elle, les enfants bien emmaillotés ne sont ni bancals ni bancroches), et, le jour de la Saint-Joseph, selon l’us de Provence, on me «donna les pieds» et, triomphalement, ma mère m’apporta à l’église de Maillane; et sur l’autel du saint, en me tenant par les lisières, pendant que ma marraine me chantait: Avène, Avène, Avène (Viens, viens, viens), on me fit faire mes premiers pas.

A Maillane, chaque dimanche, nous venions pour la messe. C’était une demi-lieue de chemin pour le moins. Ma mère, tout le long, me dorlotait dans ses bras. Oh! le sein nourricier, ce nid doux et moelleux! Je voulais toujours, toujours, qu’il me portât encore un peu… Mais, une fois, – j’avais cinq ans, – à mi-chemin du village, ma pauvre mère me déposa en disant:

– Oh! tu pèses trop, maintenant; je ne puis plus te porter.

Après la messe, avec ma mère, nous’ allions voir mes grands-parents, dans leur belle cuisine voûtée en pierre blanche, où, de coutume, les bourgeois du lieu, M. Deville, M. Dumas, M. Ravoux, le Cadet Rivière, en se promenant sur les dalles, entre l’évier et la cheminée, venaient parler du gouvernement.

M. Dumas, qui avait été juge et qui s’était démis en 1830, aimait, sur toute chose, à donner des conseils, comme celui- ci, par exemple, qu’avec sa grosse voix, il répétait, tous les dimanches, aux jeunes mères qui dodelinaient leurs mioches:

– Il ne faut donner aux enfants ni couteau, ni clé, ni livre: parce qu’avec un couteau l’enfant peut se couper; une clé, il peut la perdre et, un livre, le déchirer.

M. Durnas ne venait pas seul: avec son opulente épouse et leurs onze ou douze enfants, ils remplissaient le salon, le beau salon des ancêtres, tout tapissé de toile peinte, de Marseille, représentant des oisillons et des paniers en fleurs, et là, pour étaler l’éducation de sa lignée, il faisait, non sans orgueil, déclamer, vers à vers, mot à mot, un peu à l’un, un peu à l’autre, le récit de Théramène:

A peine nous sortions des portes de Trézène…

De Trégène… Il était sur son char… sur chon sar…

Ses gardes affligés… affizés…

Imitaient son silence autour de lui rangés…

Lui ranzés.

Ensuite, il disait à ma mère:

– Et le vôtre, Délaïde, lui apprenez-vous rien pour réciter?

– Si répondait naïvement ma mère: il sait la sornette de Jean du Porc.

– Allons, mignon, dis Jean du Porc, me criait tout le monde.

Et alors en baissant la tête, j’ânonnais timidement:

Qui est mort? – Jean du Porc. – Qui le pleure? – Le roi Maure – Qui le rit? – La perdrix. – Qui le chante? – La calandre – Qui en sonne le glas? – Le cul de la poêle. – Qui en porte le deuil? – Le cul du chaudron.

C’est avec ces contes-là, chants de nourrices et sornettes, que nos parents, à cette époque, nous apprenaient à parler la bonne langue provençale; tandis qu’à présent, la vanité ayant pris le dessus dans la plupart des familles, c’est avec le système de l’excellent M. Dumas que l’on enseigne les enfants et qu’on en fait de petits niais qui sont, dans le pays, tels que des enfants trouvés, sans attaches ni racines, car il est de mode, aujourd’hui, de renier absolument tout ce qui est de tradition.

Il faut que je parle un peu, maintenant, du bonhomme Etienne, mon aïeul maternel. Il était, comme mon père, ménager propriétaire, d’une bonne maison comme lui, et d’un bon sang: avec cette différence que, du côté des Mistral, c’étaient des laborieux, des économes, des amasseurs de biens, qui, en tout le pays, n’avaient pas leurs pareils, et que, du côté de ma mère, tout à fait insouciants et n’étant jamais prêts pour aller au labour, ils laissaient l’eau courir et mangeaient leur avoir. L’aïeul Étienne, pour tout dire, était (devant Dieu soit-il) un vrai Roger Bontemps.

Bien qu’il eût huit enfants, entre lesquels six filles (qui, à l’heure des repas, se faisaient servir leur part et puis allaient manger dehors, sur le seuil de la maison, leur assiette à la main), dès qu’il y avait fête quelque part, en avant! Il partait pour trois jours avec les camarades. Il jouait, bambochait tant que duraient les écus; puis, souple comme un gant, quand les deux toiles se touchaient (1), le quatrième jour il rentrait au logis et, alors, grand’maman Nanon, une femme du bon Dieu, lui criait:

– N’as-tu pas honte, dissipateur que tu es, de manger comme ça le bien de tes filles!

(1) Quand la poche est vide.

– Hé! bonasse, répondait-il, de quoi vas-tu t’inquiéter? Nos fillettes sont jolies, elles se marieront sans dot. Et tu verras, Nanon, ma mie, nous n’en aurons pas pour les derniers.

Et, amadouant ainsi et cajolant la bonne femme, il lui faisait donner sur son douaire des hypothèques aux usuriers, qui lui prêtaient de l’argent à cinquante ou à cent pour cent, ce qui ne l’empêchait pas, quand ses compagnons de jeu venaient, de faire, avec eux, le branle devant la cheminée, en chantant tous ensemble:

Oh! la charmante vie que font les gaspilleurs!

Ce sont de braves gens,

Quand ils n’ont plus d’argent.

Ou bien ce rigaudon qui les faisait crever de rire:

Nous sommes trois qui n’avons pas le sou, – Qui n’avons pas le sou, – Qui n’avons pas le sou. – Et le compère qui est derrière, – N’a pas un denier, – N’a pas un denier.

Et quand ma pauvre aïeule se désolait de voir ainsi partir, l’un après l’autre, les meilleurs morceaux, la fleur de son beau patrimoine:

– Eh! bécasse, que pleures-tu? lui faisait mon grand-père, pour quelques lopins de terre? Il y pleuvait comme à la rue.

Ou bien:

– Cette lande, quoi! ce qu’elle rendait, ma belle, ne payait pas les impositions!

Ou bien:

– Cette friche-là? les arbres du voisin la desséchaient comme bruyère.

Et toujours, de cette façon, il avait la riposte aussi prompte que joyeuse… Si bien qu’il disait même, en parlant des usuriers:

– Eh! morbleu, c’est bien heureux qu’il y ait des gens pareils. Car, sans eux, comment ferions-nous, les dépensiers, les gaspilleurs, pour trouver du quibus, en un temps où comme on sait, l’argent est marchandise?

C’était l’époque, en ce temps-là, où Beaucaire, avec sa foire, faisait merveille sur le Rhône; il venait là du monde, soit par eau, soit par terre, de toutes les nations, jusqu’à des Turcs et des nègres.

Tout ce qui sort des mains de l’homme, toutes espèces de choses qu’il faut pour le nourrir, pour le vêtir, pour le loger, pour l’amuser, pour l’attraper, depuis les meules de moulins, les pièces de toile, les rouleaux de drap, jusqu’aux bagues de verre portant au chaton un rat, vous l’y trouviez à profusion, à monceaux, à faisceaux ou en piles, dans les grands magasins voûtés, sous les arceaux des Halles, aux navires du port, ou bien dans les baraques innombrables du Pré.

C’était comme nous dirions, mais avec un côté plus populaire et grouillant de vie, c’était là tous les ans, au soleil de juillet, l’exposition universelle de l’industrie du Midi.

Mon grand-père Étienne, comme vous pensez bien, ne manquait pas telle occasion d’aller, quatre ou cinq jours, faire à Beaucaire ses bamboches. Donc, sous prétexte d’aller acheter du poivre, du girofle ou du gingembre avec, dans chaque poche de sa veste, un mouchoir de fil, car il prenait du tabac, et trois autres mouchoirs, en pièce, non coupés, dont en guise de ceinture il se ceignait les reins; et il flânait ainsi, tout le franc jour de Dieu, autour des bateleurs, des charlatans, des comédiens, surtout des bohémiens, lorsqu’ils discutent et se harpaillent pour le marché et marchandage de quelque bourrique maigre.

Un délicieux régal pour lui: Polichinelle avec Rosette! Il y était toujours plus neuf et ravi, bouche bée, il y riait comme un pauvre aux pantalonnades et aux coups de batte qui pleuvaient là sans cesse sur le propriétaire et sur le commissaire. A ce point les filous (et imaginez-vous si, à Beaucaire, ils pullulaient!) lui tiraient chaque année, tout doucement, l’un après l’autre, sans qu’il se retournât, tous ses mouchoirs; et quand il n’en avait plus, chose qu’il savait d’avance, il dénouait sa ceinture, sans plus de chagrin que ça, et s’en torchait le nez. Mais, quand il rentrait à Maillane, avec le nez tout bleu, – de la teinture des mouchoirs, des mouchoirs neufs qui avaient déteint:

– Allons, lui disait ma grand’mère, on t’a encore volé tes mouchoirs.