«- Il faut en finir!
«Il prend, à cette fin, un picotin de vesces, monte au fenil, éparpille la menue graine dans le foin et dans la paille et crie au Fantastique:
«- Fantastique, mon ami! tu me trieras, une par une, ces graines de pois gris.
«Or, l’Esprit Fantastique, qui se complaît aux minuties et qui aime que tout soit bien rangé en ordre, se mit, à ce qu’il paraît, à trier les pois gris; et de vétiller, Dieu sait! car nous trouvâmes de petits tas un peu partout, dans le grenier… Mais (mon père le savait) ce travail méticuleux à la fin l’ennuya, et il détala du fenil, et jamais nous ne le revîmes.
«Si! car, pour achever, moi, je le vis encore une fois. Imagine-toi qu’un jour (je pouvais avoir onze ans), je revenais du catéchisme. Passant près d’un peuplier, j’entendis rire à la cime de l’arbre: je lève la tête, je regarde, et tout en haut du peuplier, j’aperçois l’Esprit Fantastique qui, en riant dans le feuillage, me faisait signe de grimper… Ah! je te demande un peu! Pas pour un cent d’oignons je n’y aurais grimpé; je déguerpis comme une folle et depuis, ç’a été fini.
«C’est égal, je t’assure que quand venait la nuit et qu’autour de la lampe on racontait de ces choses, nous ne risquions pas de sortir! Oh! pauvres petites, quelle frayeur! Puis, pourtant, nous devînmes grandes; arriva, comme on sait, le temps des amoureux; et alors, à la veillée, les garçons nous criaient:
«- Allons, venez, les filles! Nous ferons, à la lune, un tour de farandole.
«- Pas si sottes! répondions-nous. Si nous allions rencontrer l’Esprit Fantastique ou la Poule Blanche…
«- Ho! nigaudes, nous disaient-ils, vous ne voyez donc pas que ce sont là des contes de mère-grand l’aveugle! N’ayez pas peur, venez, nous vous tiendrons compagnie.
«Et c’est ainsi que nous sortîmes et, peu à peu, ma foi, en causant avec les gars, – les garçons de cet âge, tu sais, n’ont pas de bon sens, ils ne disent que des bêtises et vous font rire par foroe, – peu à peu, peu à peu, nous n’eûmes plus de peur… Et depuis lors, te dis-je, je n’ai plus ouï parler de ces hantises de nuit.
«Depuis lors, il est vrai, nous avons eu assez d’ouvrage pour nous ôter l’ennui. Telle que tu me vois, j’ai eu, moi, onze enfants, que j’ai tous menés à bien, et, sans compter les miens, j’en ai nourri quatorze!
«Ah! va, quand on n’est pas riche et qu’on a tant de marmaille, qu’il faut emmailloter, bercer, allaiter, ébrener, c’est un joli son de musette!»
– Allons, tante Renaude, le bon Dieu vous maintienne.
– Oh! à présent, nous sommes mûrs; il viendra nous cueillir quand il voudra.
Et, avec son mouchoir, la vieille se chassa les mouches; et, abaissant la tête, elle se reblottit tranquille pour boire son soleil.