Il écumait en disant ces mots, entremêlés de jurements et de blasphèmes odieux. La main dont il effleurait le temple qu'il paraissait vouloir attaquer s'égara alors sur toutes les parties adjacentes, il les égratignait; il en fit autant à ma gorge, il me la meurtrit tellement que j'en souffris quinze jours des douleurs horribles. Ensuite il me plaça sur le bord du canapé, frotta d'esprit-de-vin cette mousse dont la nature orna l'autel où notre espèce se régénère; il y mit le feu et la brûla. Ses doigts saisirent l'excroissance de chair qui couronne ce même autel, il le froissa rudement; il introduisit de là ses doigts dans l'intérieur, et ses ongles molestaient la membrane qui le tapisse. Ne se contenant plus, il me dit que puisqu'il me tenait dans son repaire, il valait tout autant que je n'en sortisse plus, que cela lui éviterait la peine de m'y redescendre. Je me précipitai à ses genoux, j'osai lui rappeler encore les services que je lui avais rendus… Je m'aperçus que je l'irritais davantage en reparlant des droits que je supposais à sa pitié; il me dit de me taire, en me renversant sur le carreau d'un coup de genou appuyé de toutes ses forces dans le creux de mon estomac.

– Allons! me dit-il, en me relevant par les cheveux, allons! prépare-toi; il est certain que je vais t'immoler…

– Oh, monsieur!

– Non, non, il faut que tu périsses; je ne veux plus m'entendre reprocher tes petits bienfaits; j'aime à ne rien devoir à personne, c'est aux autres à tenir tout de moi… Tu vas mourir, te dis-je, place-toi dans ce cercueil, que je voie si tu pourras y tenir.

Il m'y porte, il m'y enferme, puis sort du caveau, et fait semblant de me laisser là. Je ne m'étais jamais crue si près de la mort; hélas! elle allait pourtant s'offrir à moi sous un aspect encore plus réel. Roland revient, il me sort du cercueil.

– Tu seras au mieux là-dedans, me dit-il; on dirait qu'il est fait pour toi; mais t'y laisser finir tranquillement, ce serait une trop belle mort; je vais t'en faire sentir une d'un genre différent et qui ne laisse pas que d'avoir aussi ses douceurs. Allons! implore ton Dieu, catin, prie-le d'accourir te venger, s'il en a vraiment la puissance…

Je me jette sur le prie-Dieu et pendant que j'ouvre à haute voir mon cœur à l'Éternel, Roland redouble sur les parties postérieures que je lui expose ses vexations et ses supplices d'une manière plus cruelle encore; il flagellait ces parties de toute sa force avec un martinet armé de pointes d'acier, dont chaque coup faisait jaillir mon sang jusqu'à la voûte.

– Eh bien! continuait-il en blasphémant, il ne te secourt pas, ton Dieu; il laisse ainsi souffrir la vertu malheureuse, il l'abandonne aux mains de la scélératesse; ah! quel Dieu, Thérèse, quel Dieu que ce Dieu-là! Viens, me dit-il ensuite, viens, catin, ta prière doit être faite (et en même temps il me place sur l'estomac, au bord du canapé qui faisait le fond de ce cabinet); je te l'ai dit, Thérèse, il faut que tu meures!

Il se saisit de mes bras, il les lie sur mes reins, puis il passe autour de mon cou un cordon de soie noire dont les deux extrémités, toujours tenues par lui, peuvent, en serrant à sa volonté, comprimer ma respiration et m'envoyer en l'autre monde, dans le plus ou le moins de temps qu'il lui plaira.

– Ce tourment est plus doux que tu ne penses, Thérèse, me dit Roland; tu ne sentiras la mort que par d'inexprimables sensations de plaisir; la compression que cette corde opérera sur la masse de tes nerfs va mettre en feu les organes de la volupté; c'est un effet certain. Si tous les gens condamnés à ce supplice savaient dans quelle ivresse il fait mourir, moins effrayés de cette punition de leurs crimes, ils les commettraient plus souvent et avec bien plus d'assurance; cette délicieuse opération, Thérèse, comprimant de même le local où je vais me placer, ajoute-t-il en se présentant à une route criminelle, si digne d'un tel scélérat, va doubler aussi mes plaisirs.

Mais c'est en vain qu'il cherche à la frayer; il a beau préparer les voies, trop monstrueusement proportionné pour réussir, ses entreprises sont toujours repoussées. C'est alors que sa fureur n'a plus de bornes; ses ongles, ses mains, ses pieds servent à le venger des résistances que lui oppose la nature. Il se présente de nouveau, le glaive en feu glisse aux bords du canal voisin, et de la vigueur de la secousse y pénètre de près de moitié; je jette un cri; Roland, furieux de l'erreur, se retire avec rage, et pour cette fois frappe l'autre porte avec tant de vigueur, que le dard humecté s'y plonge en me déchirant. Roland profite des succès de cette première secousse; ses efforts deviennent plus violents; il gagne du terrain; à mesure qu'il avance, le fatal cordon qu'il m'a passé autour du cou se resserre, je pousse des hurlements épouvantables; le féroce Roland, qu'ils amusent, m'engage à les redoubler, trop sûr de leur insuffisance, trop maître de les arrêter quand il voudra; il s'enflamme à leurs sons aigus. Cependant l'ivresse est prête à s'emparer de lui, les compressions du cordon se modulent sur les degrés de son plaisir; peu à peu mon organe s'éteint; les serrements alors deviennent si vifs que mes sens s'affaiblissent sans perdre néanmoins la sensibilité; rudement secouée par le membre énorme dont Roland déchire mes entrailles, malgré l'affreux état dans lequel je suis, je me sens inondée des jets de sa luxure; j'entends encore les cris qu'il pousse en les versant. Un instant de stupidité succéda, je ne sais ce que je devins, mais bientôt mes yeux se rouvrent à la lumière, je me retrouve libre, dégagée, et mes organes semblent renaître.

– Eh bien! Thérèse, me dit mon bourreau, je gage que si tu veux être vraie, tu n'as senti que du plaisir?

– Que de l'horreur, monsieur, que des dégoûts, que des angoisses et du désespoir!

– Tu me trompes, je connais les effets que tu viens d'éprouver; mais quels qu'ils aient été, que m'importe! tu dois, je l'imagine, me connaître assez pour être bien sûre que ta volupté m'inquiète infiniment moins que la mienne dans ce que j'entreprends avec toi, et cette volupté que je cherche a été si vive, que je vais m'en procurer encore les instants. C'est de toi, maintenant, Thérèse, me dit cet insigne libertin, c'est de toi seule que tes jours vont dépendre.

Il passe alors autour de mon cou cette corde qui pendait au plafond; dès qu'elle y est fortement arrêtée, il lie au tabouret sur lequel je posais les pieds et qui m'avait élevée jusque-là, une ficelle dont il tient le bout, et va se placer sur un fauteuil en face de moi: dans mes mains est une serpe tranchante dont je dois me servir pour couper la corde au moment où, par le moyen de la ficelle qu'il tient, il fera trébucher le tabouret sous mes pieds.

– Tu le vois, Thérèse, me dit-il alors, si tu manques ton coup, je ne manquerai pas le mien; je n'ai donc pas tort de te dire que tes jours dépendent de toi.

Il s'excite; c'est au moment de son ivresse qu'il doit tirer le tabouret dont la fuite me laisse pendue au plafond; il fait tout ce qu'il peut pour feindre cet instant; il serait aux nues si je manquais d'adresse; mais il a beau faire, je le devine, la violence de son extase le trahit, je lui vois faire le fatal mouvement, le tabouret s'échappe, je coupe la corde et tombe à terre, entièrement dégagée; là, quoique à plus de douze pieds de lui, le croiriez-vous, madame? je sens mon corps inondé des preuves de son délire et de sa frénésie.

Une autre que moi, profitant de l'arme qu'elle se trouvait entre les mains, se fût sans doute jetée sur ce monstre; mais à quoi m'eût servi ce trait de courage? N'ayant pas les clefs de ces souterrains, en ignorant les détours, je serais morte avant que d'en avoir pu sortir; d'ailleurs Roland était armé; je me relevai donc, laissant l'arme à terre, afin qu'il ne conçût même pas sur moi le plus léger soupçon; il n'en eut point; il avait savouré le plaisir dans toute son étendue, et content de ma douceur, de ma résignation, bien plus peut-être que de mon adresse, il me fit signe de sortir, et nous remontâmes.

Le lendemain, j'examinai mieux mes compagnes. Ces quatre filles étaient de vingt-cinq à trente ans; quoique abruties par la misère et déformées par l'excès des travaux, elles avaient encore des restes de beauté; leur taille était belle, et la plus jeune, appelée Suzanne, avec des yeux charmants, avait encore de très beaux cheveux; Roland l'avait prise à Lyon, il avait eu ses prémices, et après l'avoir enlevée à sa famille, sous les serments de l'épouser, il l'avait conduite dans cet affreux château; elle y était depuis trois ans, et, plus particulièrement encore que ses compagnes, l'objet des férocités de ce monstre: à force de coups de nerf de bœuf, ses fesses étaient devenues calleuses et dures comme le serait une peau de vache desséchée au soleil; elle avait un cancer au sein gauche et un abcès dans la matrice qui lui causait des douleurs inouïes. Tout cela était l'ouvrage du perfide Roland; chacune de ces horreurs était le fruit de ses lubricités.

Ce fut elle qui m'apprit que Roland était à la veille de se rendre à Venise, si les sommes considérables qu'il venait de faire dernièrement passer en Espagne lui rapportaient les lettres de change qu'il attendait pour l'Italie, parce qu'il ne voulait point porter son or au-delà des monts; il n'y en envoyait jamais: c'était dans un pays différent de celui où il se proposait d'habiter qu'il faisait passer ses fausses espèces; par ce moyen, ne se trouvant riche dans le lieu où il voulait se fixer que des papiers d'un autre royaume, ses friponneries ne pouvaient jamais se découvrir. Mais tout pouvait manquer dans un instant, et la retraite qu'il méditait dépendait absolument de cette dernière négociation, où la plus grande partie de ses trésors était compromise. Si Cadix acceptait ses piastres, ses sequins, ses louis faux, et lui envoyait sur cela des lettres sur Venise, Roland était heureux le reste de sa vie; si la fraude était découverte, un seul jour suffisait à culbuter le frêle édifice de sa fortune.