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« Recevez, Monsieur l’inspecteur principal, avec toute ma gratitude pour la bienveillance que vous m’avez témoignée, l’assurance de mes meilleurs sentiments.

« ISIDORE BEAUTRELET.

« Post-Scriptum. – Surtout ne croyez pas qu’il m’ait fallu grand mal pour obtenir ces informations. Le matin même du crime, lorsque M. Filleul poursuivait son instruction devant quelques privilégiés, j’avais eu l’heureuse inspiration d’examiner la casquette du fugitif avant que le pseudo-chauffeur ne fût venu la changer. Le nom du chapelier m’a suffi, vous pensez bien, pour trouver la filière qui m’a fait connaître le nom de l’acheteur et son domicile. »

Le lendemain matin, Ganimard se présentait au 36 de la rue Marbeuf. Renseignements pris auprès de la concierge, il se fit ouvrir le rez-de-chaussée de droite, où il découvrit rien que des cendres dans la cheminée. Quatre jours auparavant, deux amis étaient venus brûler tous les papiers compromettants. Mais au moment de sortir, Ganimard croisa le facteur qui apportait une lettre pour M. de Vaudreix. L’après-midi, le Parquet, saisi de l’affaire, réclamait la lettre. Elle était timbrée d’Amérique et contenait ces lignes, écrites en anglais :

« Monsieur,

« Je vous confirme la réponse que j’ai faite à votre agent. Dès que vous aurez en votre possession les quatre tableaux de M. de Gesvres, expédiez-les par le mode convenu. Vous y joindrez le reste, si vous pouvez réussir, ce dont je doute fort.

« Une affaire imprévue m’obligeant à partir, j’arriverai en même temps que cette lettre. Vous me trouverez au Grand-Hôtel.

« Harlington.»

Le jour même, Ganimard, muni d’un mandat d’arrêt, conduisait au dépôt le sieur Harlington, citoyen américain, inculpé de recel et de complicité de vol.

Ainsi donc, en l’espace de vingt-quatre heures, grâce aux indications vraiment inattendues d’un gamin de dix-sept ans, tous les nœuds de l’intrigue se dénouaient. En vingt-quatre heures, ce qui était inexplicable devenait simple et lumineux. En vingt-quatre heures, le plan des complices pour sauver leur chef était déjoué, la capture d’Arsène Lupin blessé, mourant, ne faisait plus de doute, sa bande était désorganisée, on connaissait son installation à Paris, le masque dont il se couvrait, et l’on perçait à jour, pour la première fois, avant qu’il eût pu en assurer la complète exécution, un de ses coups les plus habiles et le plus longuement étudiés.

Ce fut dans le public comme une immense clameur d’étonnement, d’admiration et de curiosité. Déjà le journaliste rouennais, en un article très réussi, avait raconté le premier interrogatoire du jeune rhétoricien, mettant en lumière sa bonne grâce, son charme naïf et son assurance tranquille. Les indiscrétions auxquelles Ganimard et M. Filleul s’abandonnèrent malgré eux, entraînés par un élan plus fort que leur orgueil professionnel, éclairèrent le public sur le rôle de Beautrelet au cours des derniers événements. Lui seul avait tout fait. À lui seul revenait tout le mérite de la victoire.

On se passionna. Du jour au lendemain, Isidore Beautrelet fut un héros, et la foule, subitement engouée, exigea sur son nouveau favori les plus amples détails. Les reporters étaient là. Ils se ruèrent à l’assaut du lycée Janson-de-Sailly, guettèrent les externes au sortir des classes et recueillirent tout ce qui concernait, de près ou de loin, le nommé Beautrelet ; et l’on apprit ainsi la réputation dont jouissait parmi ses camarades celui qu’ils appelaient le rival d’Herlock Sholmès. Par raisonnement, par logique et sans plus de renseignements que ceux qu’il lisait dans les journaux, il avait, à diverses reprises, annoncé la solution d’affaires compliquées que la justice ne devait débrouiller que longtemps après lui. C’était devenu un divertissement au lycée Janson que de poser à Beautrelet des questions ardues, des problèmes indéchiffrables, et l’on s’émerveillait de voir avec quelle sûreté d’analyse, au moyen de quelles ingénieuses déductions, il se dirigeait au milieu des ténèbres les plus épaisses. Dix jours avant l’arrestation de l’épicier Jorisse, il indiquait le parti que l’on pouvait tirer du fameux parapluie. De même, il affirmait dès le début, à propos du drame de Saint-Cloud, que le concierge était l’unique meurtrier possible.

Mais le plus curieux fut l’opuscule que l’on trouva en circulation parmi les élèves du lycée, opuscule signé de lui, imprimé à la machine à écrire et tiré à dix exemplaires. Comme titre : ARSÈNE LUPIN, sa méthode, en quoi il est classique et en quoi original – suivi d’un parallèle entre l’humour anglais et l’ironie française.

C’était une étude approfondie de chacune des aventures de Lupin, où les procédés de l’illustre cambrioleur nous apparaissaient avec un relief extraordinaire, où l’on nous montrait le mécanisme même de ses façons d’agir, sa tactique toute spéciale, ses lettres aux journaux, ses menaces, l’annonce de ses vols, bref, l’ensemble des trucs qu’il employait pour « cuisiner » la victime choisie et la mettre dans un état d’esprit tel, qu’elle s’offrait presque au coup machiné contre elle et que tout s’effectuait pour ainsi dire de son propre consentement.

Et c’était si juste comme critique, si pénétrant, si vivant, et d’une ironie à la fois si ingénue et si cruelle, qu’aussitôt les rieurs passèrent de son côté, que la sympathie des foules se détourna sans transition de Lupin vers Isidore Beautrelet, et que dans la lutte qui s’engageait entre eux, d’avance on proclama la victoire du jeune rhétoricien.

En tout cas, cette victoire, M. Filleul aussi bien que le Parquet de Paris semblaient jaloux de lui en réserver la possibilité. D’une part, en effet, on ne parvenait pas à établir l’identité du sieur Harlington, ni à fournir une preuve décisive de son affiliation à la bande de Lupin. Compère ou non, il se taisait obstinément. Bien plus, après examen de son écriture, on n’osait plus affirmer que ce fût lui l’auteur de la lettre interceptée. Un sieur Harlington, pourvu d’un sac de voyage et d’un carnet amplement pourvu de bank-notes, était descendu au Grand-Hôtel, voilà tout ce qu’il était possible d’affirmer.

D’autre part, à Dieppe, M. Filleul couchait sur les positions que Beautrelet lui avait conquises. Il ne faisait pas un pas en avant. Autour de l’individu que Mlle de Saint-Véran avait pris pour Beautrelet, la veille du crime, même mystère. Mêmes ténèbres aussi sur tout ce qui concernait l’enlèvement des quatre Rubens. Qu’étaient devenus ces tableaux ? Et l’automobile qui les avait emportés dans la nuit, quel chemin avait-elle suivi ?

À Luneray, à Yerville, à Yvetot, on avait recueilli des preuves de son passage, ainsi qu’à Caudebec-en-Caux, où elle avait dû traverser la Seine au petit jour dans le bac à vapeur. Mais quand on poussa l’enquête à fond, il fut avéré que ladite automobile était découverte et qu’il eût été impossible d’y entasser quatre grands tableaux sans que les employés du bac les eussent aperçus. C’était tout probablement la même auto, mais alors la question se posait encore : qu’étaient devenus les quatre Rubens ?

Autant de problèmes que M. Filleul laissait sans réponse. Chaque jour ses subordonnés fouillaient le quadrilatère des ruines. Presque chaque jour il venait diriger les explorations. Mais de là à découvrir l’asile où Lupin agonisait – si tant est que l’opinion de Beautrelet fût juste –, de là à découvrir cet asile, il y avait un abîme que l’excellent magistrat n’avait point l’air disposé à franchir.

Aussi était-il naturel que l’on se retournât vers Isidore Beautrelet, puisque lui seul avait réussi à dissiper des ténèbres qui, en dehors de lui, se reformaient plus intenses et plus impénétrables. Pourquoi ne s’acharnait-il pas après cette affaire ? Au point où il l’avait menée, il lui suffisait d’un effort pour aboutir.

La question lui fut posée par un rédacteur du Grand Journal, qui s’introduisit dans le lycée Janson sous le faux nom de Bernod, correspondant de Beautrelet. À quoi Isidore répondit fort sagement :