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Elle m’a repris l’enfant, alors j’ai voulu m’enfuir, mais j’ai trébuché et je suis tombée. Elle s’est tenue au-dessus de moi, et elle m’a hurlé dessus, elle m’a dit de ne pas bouger, que, sinon, elle appellerait la police. Elle a téléphoné à Tom, qui est rentré et qui est allé s’asseoir avec elle dans le salon. Elle était hystérique, elle pleurait, elle voulait toujours appeler la police et me faire arrêter pour enlèvement. Tom l’a calmée, il l’a suppliée de renoncer et de me laisser partir. Il m’a sauvée. Après cela, il m’a reconduite chez moi. Au moment où j’allais descendre de la voiture, il m’a pris la main. J’ai cru que c’était un geste de gentillesse, pour me rassurer, mais il a serré, fort, puis de plus en plus fort, jusqu’à ce que je pousse un cri. Le visage écarlate, il m’a dit qu’il me tuerait si je faisais un jour du mal à sa fille.

Je ne sais pas ce que je comptais faire, ce jour-là. Je ne le sais toujours pas. Devant la porte, j’hésite, les doigts enroulés autour de la poignée. Je me mords la lèvre inférieure. Je sais que, si je commence à boire dès maintenant, ça ira mieux pendant une heure ou deux, puis ce sera pire les six ou sept suivantes. Je lâche la poignée et je repars dans le salon, où j’ouvre à nouveau mon ordinateur. Il faut que je m’excuse, que je demande pardon. Je me reconnecte à mon compte de messagerie, et je vois un nouvel e-mail reçu. Ce n’est pas Tom. C’est Scott Hipwell.

Chère Rachel,

Merci de m’avoir contacté. Je ne me souviens pas que Megan m’ait parlé de vous, mais elle avait beaucoup de visiteurs réguliers à la galerie, et je ne suis pas très doué pour retenir les prénoms. Je voudrais vous parler de ce que vous savez. Appelez-moi au 97583-123657 aussi vite que possible.

Cordialement,

Scott Hipwell

L’espace d’un instant, je pense qu’il s’est simplement trompé d’adresse. Ce message ne m’est pas destiné. Ça ne dure qu’une seconde, puis je me souviens. Je me souviens. Assise sur le canapé, au milieu de ma deuxième bouteille, je me suis rendu compte que je n’avais pas envie que mon rôle soit terminé. Je voulais être au cœur de cette histoire.

Alors je lui ai écrit.

Je fais défiler l’écran jusqu’au bas de son message, où je trouve le mien.

Cher Scott,

Je suis désolée d’insister, mais je crois qu’il est important que nous discutions. Je ne sais pas si Megan vous a déjà parlé de moi, je suis une amie, nous nous sommes rencontrées à la galerie. Je vivais à Witney, à l’époque. Je crois que je dispose d’informations qui pourraient vous intéresser. Merci de me répondre à cette adresse.

Rachel Watson

Je sens la chaleur me monter au visage, mon estomac s’emplir d’acide. Hier, rationnelle, les idées claires, raisonnable, j’ai décidé que je devais accepter que mon rôle dans cette affaire soit terminé. Mais la meilleure volonté du monde n’a pas suffi, elle a été anéantie par la boisson, par la personne que je suis quand je bois. Rachel l’ivrogne ne mesure aucune conséquence, elle est soit trop expansive et optimiste, soit pleine de haine. Elle n’a ni passé, ni avenir. Elle n’existe que pour le moment présent. Rachel l’ivrogne voulait faire partie de l’histoire, elle avait besoin de persuader Scott de lui parler, alors elle a menti. J’ai menti.

Je voudrais me taillader la peau avec des couteaux, juste pour ressentir autre chose que de la honte, mais je n’ai même pas le courage de faire ça. Je commence à écrire à Tom, à écrire et effacer, recommencer et effacer, pour tâcher de trouver comment demander pardon pour les choses que j’ai dites hier soir. Si je devais mettre par écrit toutes les transgressions pour lesquelles je devrais m’excuser auprès de Tom, il y aurait de quoi remplir un livre entier.

Soir

Il y a une semaine, il y a presque exactement une semaine, Megan Hipwell est sortie du numéro quinze, Blenheim Road, et elle a disparu. Personne ne l’a vue depuis. Son téléphone et ses cartes bancaires n’ont pas été utilisés depuis samedi. Quand j’ai lu cela dans un article, aujourd’hui, je me suis mise à pleurer. J’ai honte, maintenant, de ce à quoi j’ai secrètement pensé. Megan n’est pas un mystère à résoudre, ce n’est pas une silhouette qui apparaît dans l’objectif au début d’un film, belle, diaphane, évanescente. Megan n’est pas un message crypté. Elle est réelle.

Je suis dans le train pour aller chez elle. Je vais rencontrer son mari.

J’ai bien été obligée de l’appeler. Le mal était fait. Je ne pouvais pas me contenter d’ignorer son e-mail, sinon, il allait en parler à la police. Non ? À sa place, c’est ce que je ferais, si une inconnue me contactait en prétendant disposer d’informations, puis ne me répondait plus par la suite. Il a peut-être même déjà appelé la police ; et peut-être qu’ils seront là à m’attendre quand j’arriverai.

Assise là, à la même place que d’habitude, mais pas le bon jour, j’ai l’impression que je fonce tout droit vers un précipice. C’est ce que j’ai ressenti ce matin, quand j’ai composé son numéro : l’impression d’être en pleine chute dans l’obscurité complète, incapable de savoir quand j’allais toucher le sol. Il m’a parlé à voix basse, comme s’il y avait quelqu’un d’autre dans la pièce, et qu’il craignait qu’on ne l’entende.

— Est-ce qu’on peut se voir en personne ? a-t-il demandé.

— Je… non. Je ne crois pas…

— S’il vous plaît ?

Je n’ai hésité qu’un instant, puis j’ai accepté.

— Vous pouvez venir chez moi ? Pas maintenant, ma… il y a des gens. Ce soir ?

Il m’a donné son adresse et j’ai fait semblant de la noter.

— Merci de m’avoir contacté, a-t-il dit avant de raccrocher.

J’ai su dès que j’ai dit « oui » que ce n’était pas une bonne idée. Ce que je connais de Scott d’après les articles dans les journaux, ce n’est presque rien. Ce que j’ai appris de par mes propres observations, je ne peux pas vraiment m’y fier. Je ne sais rien sur Scott. J’en sais un peu sur Jason, et je dois sans cesse me rappeler qu’il n’existe pas. Tout ce que je sais avec certitude, à cent pour cent, c’est que la femme de Scott a disparu depuis une semaine. Je sais aussi qu’il est probablement suspect. Et, parce que j’ai vu ce baiser, je sais qu’il avait un mobile. Bien sûr, il ignore peut-être qu’il a un mobile, mais… Oh, à force d’y penser, je mélange tout. Mais comment pouvais-je laisser passer l’opportunité de m’approcher de cette maison que j’ai examinée cent fois depuis les rails et depuis la rue ? De marcher jusqu’à la porte, de rentrer, de m’asseoir dans sa cuisine, sur son balcon, là où ils se sont assis, où je les ai observés ?

C’était trop tentant. Alors me voilà assise dans le train, les bras croisés et les mains coincées dessous pour les empêcher de trembler. Je suis aussi excitée qu’un enfant embarqué dans une aventure. J’étais tellement contente d’avoir un but que j’ai arrêté de penser à la réalité. J’ai arrêté de penser à Megan.

Mais je pense à elle, maintenant. Je dois parvenir à convaincre Scott que je la connaissais – un peu, pas beaucoup. Comme ça, il me croira quand je lui dirai que je l’ai vue avec un autre homme. Si je commence par lui avouer que j’ai menti, il ne me fera jamais confiance. Alors j’essaie d’imaginer ce que ça pouvait donner, de passer à la galerie pour bavarder avec elle autour d’un café. Est-ce qu’elle boit du café ? On aurait parlé art, ou peut-être yoga, ou encore de nos maris. Je n’y connais rien en art, je n’ai jamais fait de yoga. Je n’ai pas de mari. Et elle a trahi le sien.

Je repense à ce que ses vrais amis ont dit à son sujet : « Merveilleuse, drôle, belle, un cœur d’or. » « Aimée. » Elle a commis une erreur. Cela arrive. Personne n’est parfait.

ANNA

Samedi 20 juillet 2013

Matin

Evie se réveille juste avant six heures. Je sors du lit, je me glisse dans sa chambre et je la prends dans mes bras. Je lui donne le sein et la ramène avec moi dans le lit.