23. Formation. Le savoir a une durée de vie brève. La rapidité d'évolution des sciences et des techniques est telle que nul ne peut raisonnablement espérer achever son parcours professionnel avec les connaissances qu'il a acquises avant de l'entamer.

Deux conséquences s'en déduisent naturellement. D'une part, plutôt qu'inculquer un savoir rapidement obsolète, il faut apprendre à apprendre, de sorte qu'ensuite chacun puisse s'adapter au rythme des changements sans être, par eux, ni déstabilisé ni dépassé. D'autre part, la césure doit être moins marquée entre une période initiale de formation et une période ultérieure d'activité. Il n'est de bonne formation que permanente.

Le consensus est tel sur sa nécessité que nul ne songerait à la remettre en cause. Elle constitue un investissement qui ne laisse personne indifférent, travailleurs, entreprises ou collectivités publiques.

Simplifier l'accès des usagers potentiels suppose ensuite de développer l'information. Cela aurait, secondairement, l'avantage d'offrir une protection contre les marchands de formation peu scrupuleux, heureusement assez rares, mais dont l'activité proche de l'escroquerie porte une ombre néfaste sur l'ensemble du système.

Moderniser l'offre, enfin, doit conduire les pouvoirs publics à soutenir les organismes qui acceptent de regrouper leurs forces pour disposer de formations meilleures. De même des progrès sont-ils possibles pour individualiser l'éventail des formations. De ce point de vue, le retard que nous prenons par rapport à nos partenaires est préoccupant. Et l'alternance entre des périodes de formation en entreprise et des périodes hors entreprise peut être utilement généralisée.

24. Société (problèmes de). Le « microcosme », en fait le parisianisme, rend sourd. Replié sur ses petits querelles internes, préoccupé seulement de garder ou conquérir le pouvoir, bruissant de rumeurs de toute sorte, entretenant réseaux, chapelles et coteries, le monde politique utilise les problèmes de société plus qu'il ne s'attache à les connaître ou à les traiter. Ils sont l'occasion de prises de position souvent hâtives, de discours inexperts, ou de fabrication artificielle d'images flatteuses.

Cette coupure, malgré tout, présente un avantage. Si tout problème de société devenait un problème politique, sur lequel se reproduiraient les clivages habituels, le dogmatisme deviendrait contagieux, la politique étendrait son emprise, au détriment des véritables solutions.

C'est à la société elle-même de régler ses problèmes, le politique n'étant qu'un des moyens, une des instances, et pas nécessairement des plus importants. La loi et le décret ont des limites et il faut les connaître.

Il faut également que ceux qui exercent les pouvoirs publics soient assez attentifs aux malaises et aux inquiétudes de la société pour anticiper sur les effets. Qu'il s'agisse de drogue, de délinquance, d'intolérance, aucun trait de plume législative ne peut en supprimer les causes, mais les avoir comprises aide à les expliquer, contribue à y remédier.

Il est à l'œuvre, dans les profondeurs de notre corps social, des mouvements lents, .perceptibles au rythme de la décennie, mais essentiels et gros de conflits multiples, s'ils ne sont pas reconnus, accompagnés, validés, par la coutume ou la loi. L'une de ces évolutions, par exemple, est celle qui petit à petit érode la notion de hiérarchie, l'ampute de ce qu'elle comporte de militaire ou de disciplinaire, pour lui substituer une division fonctionnelle des compétences, et une adhésion consensuelle. Historiquement, la social-démocratie a beaucoup agi dans ce sens, et ses héritiers sont à l'aise pour poursuivre cette transformation, dont on dira un jour qu'elle fut une révolution.

25. Environnement. L'environnement est une des principales préoccupations des Français ; il vient le plus souvent juste après l'emploi et la sécurité dans les sujets sur lesquels ils souhaitent une amélioration. Cet intérêt est encore plus marqué chez les jeunes. Quand on considère la relative abstraction du sujet, ce souci pourrait nous surprendre : tant d'observateurs blases nous répètent que les citoyens ne s'intéressent plus qu'à ce qui les touche individuellement et immédiatement. Cest oublier un peu vite que nos concitoyens,savent repérer ressentiel, qu'ils ont le sens de l'avenir et la volonté d'être de plus en plus maîtres de leur destin.

Ce constat encourageant est d'autant mieux venu ici que l'environnement demandera une discipline toujours plus exigeante de la part de la société tout entière. Pour rester assurés d'un environnement de qualité, nous devrons marcher sur nos deux jambes : une société dont les individus et les groupes prennent chacun leurs responsabilités, un État qui emploie efficacement ses ressources et son autorité. Il n'y aura pas d'environnement satisfaisant sans mobilisation locale, sans presse vigilante, sans associations vigoureuses, sans entreprises conscientes de leurs devoirs, sans civisme individuel et collectif. Il n'y aura pas non plus d'environnement satisfaisant sans une administration exigeante, qui encourage les recherches décisives, qui exerce loyalement et rigoureusement sa surveillance des nuisances et des dangers, qui soutienne efficacement les centres locaux de mise en valeur du milieu naturel.

La maitrise de l'environnement, c'est d'abord etre capable de premunir les citoyens contre les agressions quotidiennes de la pollution, du bruit ; c'est contrôler efficacement les transports de matières dangereuses, étendre à tout le pays un assainissement des eaux et un traitement des déchets adaptés au XXIe siècle. La prévention des risques majeurs est aussi une priorité, car notre collectivité doit s'assurer contre les dangers qui la guettent encore. À cet égard, notre démocratie peut se donner des formes incontestables d'expertise publique, d'information transparente sur les grandes fonctions économiques génératrices de risques, comme le nucléaire ou la chimie lourde. Enfin, la gestion locale de l'environnement, les missions multiples de préservation et de mise en valeur attendent encore une organisation technique et sociale qui permette de valoriser leur extraordinaire potentiel d'emploi et d'insertion professionnelle.

Mais il faut aussi veiller à trois défis nouveaux qui pèsent sur notre avenir commun:

— l'aménagement de l'espace rural exigera des décisions majeures à mesure que la compétition et la rigueur financière ecarteront de la production agricole des espaces défavorisés ; la mise en valeur des paysages ruraux est une responsabilité publique dont dépend l'équilibre futur de notre territoire ;

les nouvelles technologies fines, pour « propres » qu'elles paraissent au regard de la pétrochimie ou du génie civil lourd, comportent des menaces peu soupçonnées : l'informatique a maintenant son code, mais les bio-technologies, par exemple, contiennent un potentiel stupéfiant de dérèglement écologique, à la mesure de leur puissance de demultiplication ; il faudra y veiller, au contact des chercheurs, qui d'ail

leurs le demandent eux-mêmes ;le rapport environnement-compétitivité est en train de se modifier complètement ; l'exigence des consommateurs est telle, le souci de qualité se propage si vite, que les contrôles et les standards de protection sont maintenant un puissant argument de vente ; la production

« propre » devient rentable dans tous les domaines. Dans ce contexte,

la frilosité avec laquelle les organisations patronales et les administrations spécialisées abordent — notamment à Bruxelles — les mises aux normes nécessaires témoigne d'une réflexion insuffisamment renouvelée.

26. Responsabilitй. Elle a une double dimension : répondre de ses actes et agir consciemment. Prenons l'exemple d'un ministre et de celui qui le conteste. Le ministre, constitutionnellement, est responsable de ses actes (politiquement, voire pénalement), tandis que son opposant ne l'est pas. Mais, par bêtise ou par incompétence, par intérêt ou par démagogie, le ministre responsable peut prendre des décisions irresponsables, alors que son opposant qui n'exerce pas de responsabilités peut prendre des positions responsables (il peut également se produire qu'un ministre soit responsable dans les deux sens, et plus facilement encore qu'un opposant ne le soit dans aucun...). À négliger cette dualité, on amputerait la responsabilité quand elle n'a de signification qu'à condition d'être entière. Fuir ses responsabilités est haissable.