Par ailleurs, si Grant avait subi des dommages irrémédiables, la remise aux médias d’un clip où l’azi apparaîtrait avant et après sa détention montrerait les abolitionnistes sous leur jour véritable. Les spécialistes exceptés, nul n’avait vu les résultats d’un effacement mental, ou d’une rééducation ratée. Cela leur fournirait peut-être un prétexte pour reprogrammer l’azic ou justifier sa liquidation. C’était un Alpha, un pur produit des Warrick, et Dieu seul savait quel effet avaient eu sur lui les bandes des extrémistes. Il jugeait préférable de l’empêcher de nuire et s’était permis de le dire à Ari.

Absolument pas, avait-elle rétorqué. À quoi pensez-vous donc ? Il constitue un excellent moyen de pression et il est en outre un témoin à charge contre Rocher. Ne touchez pas cet azi.

Un moyen de pression contre qui ? se demanda Giraud avec amertume. Ari avait couché avec Warrick junior et lorsqu’elle n’était pas occupée à aggraver les ulcères de Jane Strassen en voulant faire moderniser le labo un et envoyer ailleurs les huit étudiants qui y suivaient des cours, le projet Rubin l’obsédait à tel point que nul ne pouvait l’approcher : exception faite de ses azis et, bien sûr, de Justin.

Elle s’offre une petite dépression. La nostalgie de la jeunesse, ce genre de chose.

Elle s’enferme dans sa tour d’ivoire et me laisse le soin de régler tout ce merdier à Novgorod. « Ne touchez pas à Merild ou aux Kruger. Il ne faut surtout pas inciter l’ennemi à passer dans la clandestinité. Parvenez à un accord avec Corain. Cela ne devrait pas être très difficile, pas vrai ? »

Bon sang !Le téléphone sonna. C’était Warrick. Senior. Il demandait que Grant lui fût confié.

— Je ne suis pas habilité à prendre une telle décision, Jordie.

—  Bordel, tout le monde semble vouloir dégager sa responsabilité, dans cette affaire. J’exige que ce garçon quitte l’hôpital.

— Écoutezc

—  Je me fiche de savoir qui est responsable et qui ne l’est pas.

— Vous devriez vous estimer heureux qu’on n’ait pas porté plainte contre votre môme, Jordie. Il est le seul fautif, pour ce qui s’est passé. Alors, ne vous en prenez pas à moic

—  Selon Petros, vous seul pouvez autoriser sa sortie.

— C’est une décision d’ordre purement médical. Elle n’est pas de mon ressort. Si vous tenez à ce garçon, je vous suggère de permettre à Petros d’effectuer son travail et de resterc

—  Ivanov s’est déchargé sur vous de ses responsabilités, Gerry. Denys également. Nous ne parlons pas d’un fichier mais d’un gosse qui a peur.

— Dans une huitaine de joursc

—  Laissez tomber. Vous allez me délivrer un laissez-passer pour cette section et ordonner à ce med de me recevoir.

— Votre fils est auprès de Grant, en cet instant même. Il a reçu un sauf-conduit permanent, pour des raisons que je ne peux d’ailleurs pas comprendre. Il s’occupe de lui.

Un long silence.

— Écoutez, Jordie. Ils parlent d’une autre semaine, deux au maximum.

—  Justin a un sauf-conduit.

— Il est auprès de Grant, en ce moment. Tout va bien. Croyez-moi. Ils ont cessé de lui administrer des sédatifs. Justin a obtenu un droit de visite permanent. J’ai cette autorisation sous les yeux.

—  Je veux que Grant sorte de la section médicale.

— Je vais en parler à Petros. Ça vous va ? Pour l’instant votre fils est avec Grant, et c’est sans doute le plus efficace des traitements. Laissez-moi quelques heures. Je vous ferai parvenir un exemplaire des rapports médicaux. Vous estimez-vous satisfait ?

—  Je passerai vous voir.

— Entendu, je serai à mon bureau.

—  Merci,entendit-il marmonner.

— Il n’y a pas de quoi, murmura Giraud avant de grommeler sitôt la liaison interrompue : Maudite tête brûlée.

Il reprit la rédaction de la liste des sujets qu’il devrait aborder avec Corain puis s’interrompit pour taper une demande adressée à Ivanov : l’envoi rapide d’une copie du dossier médical de Grant au bureau de Jordan Warrick. Et il ajouta sur une arrière-pensée, parce qu’il ignorait ce que pouvaient contenir ces fichiers et quels avaient été les ordres d’Ari : SRIS (sous réserve des impératifs de sécurité).

3

Le nouveau séparateur fonctionnait. Le reste du matériel devait subir une vérification. Ari prenait des notes sur une transplaque, pour la simple raison que la présence d’un scripteur sur le comptoir eût gêné ses mouvements. En certains domaines seul le nec plus ultra pouvait convenir, mais l’appareil démodé transmettait ses écrits à l’ordinateur central qui les classait dans ses fichiers personnels en reconnaissant sa calligraphie. Le processus était archaïque, mais il servait à éviter toute indiscrétion. L’ordinateur entreprenait alors de traduire, transcrire et archiver les informations en leur donnant son code d’accès et son empreinte.

Les travaux qu’elle effectuait ce jour-là n’avaient rien de confidentiel. Il s’agissait d’un test banal, d’un travail de laborantin que n’importe quel tech azi aurait pu faire à sa place. Mais elle aimait effectuer ces sortes de retours dans le passé. Elle avait contribué à polir les tabourets en bois du labo un en utilisant ce matériel pendant d’innombrables heures, occupée au même genre de contrôles sur des antiquités qui faisaient d’un séparateur mis au rebut l’équivalent du fruit d’une technologie futuriste.

Elle n’espérait pas faire la moindre découverte mais voulait pouvoir écrire son rapport à la première personne du singulier, marquer ces travaux de son empreinte et en avoir l’exclusivité, de leur conception à leur achèvement. J’étais plus méticuleuse, au débutc

Je préparais moi-même les cuvesc

Peu de gens auraient été capables de se charger de tous les stades d’un tel projet. Tous se spécialisaient. Mais elle avait débuté dans cette voie pendant la période coloniale, celle des balbutiements de la science. À présent, les collèges formaient des singes savants, de soi-disant scientifiques qui se contentaient d’appuyer sur des touches et de lire des bandes sans rien comprendre à la biologie. Elle luttait contre cette tendance presse-bouton et jugeait indispensable de produire des bandes de méthodologie, bien que ces dernières fussent classées confidentielles par Reseune.

Elle révélerait certains de ses secrets dans son livre. Elle en avait la ferme intention. Ce serait un ouvrage scientifique classiquec elle décrirait l’évolution des procédés employés et présenterait le projet Rubin sous sa véritable perspective : en tant qu’expérimentation des théories qu’elle avait développées au fil des décennies. IN PRINCIPIO était le titre quelle avait retenu en attendant d’en trouver un meilleur.

La machine fournit la réponse à une séquence connue et un point rouge se mit à clignoter pour signaler une divergence.

Merde. Était-ce une contamination ou une erreur de l’appareil ? Elle en prit note, avec honnêteté. Puis elle se demanda si elle devait prendre le temps de faire remplacer le matériel et d’effectuer un nouvel essai avec un autre échantillon, ou tenter de cerner la cause et de l’analyser afin de faire figurer ses conclusions dans le fichier. La première solution eût dénoté un manque de conscience professionnelle évident. Dans le second cas elle risquait de ne rien trouver de probant – c’était fréquent en cas de pannes mécaniques –, ce qui la ridiculiserait ou la contraindrait à s’adresser à des spécialistes de ce genre de matériel.

Arrêter l’appareil etle confier aux techs, passer l’échantillon suspect dans une autre machine, et en faire installer une troisième pour procéder à un contrôle.

Toute expérimentation est sujette à de tels contretemps. Les chercheurs qui soutiennent le contraire sont des menteursc

Elle entendit ouvrir la porte externe du labo, puis des voix lointaines. Celles de ses azis et une autre, familière. Zut.